Kumba Yala sur le fil du rasoir

Reportées à plusieurs reprises, les législatives anticipées devraient se tenir le 12 octobre. Le président tiendra-t-il jusque-là ?

Publié le 25 août 2003 Lecture : 5 minutes.

«Tous les partis politiques m’ont donné l’assurance que les élections auront lieu le 12 octobre dans des conditions de tranquillité. […] Le président Yala a lui-même assuré que les formations d’opposition auront accès librement et de manière équitable aux organes de communication de l’État. » Depuis le 18 juillet, José Ramos Horta, ministre est-timorais des Affaires étrangères, est chargé par la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP) de suivre le processus des élections législatives du 12 octobre prochain en Guinée-Bissau. Le diplomate, qui a séjourné du 9 au 16 août dans ce petit pays lusophone d’Afrique de l’Ouest, a même rencontré la hiérarchie de l’armée qui lui a promis d’assumer « sa part de responsabilité dans la préservation de la paix et des institutions démocratiques ».
Horta doit bien être l’un des rares observateurs internationaux à afficher un tel optimisme pour la Guinée-Bissau… Le 8 août, une voix autorisée, celle du président de la Commission nationale électorale (CNE), Higinio Cardoso, qualifiait la situation régnant à Bissau de « très tendue ». Cardoso ajoutait même que son pays était assis sur une poudrière et qu’il fallait « beaucoup de sang-froid et de courage pour gérer la situation actuelle ».
Ces élections législatives anticipées, convoquées à la suite de la dissolution par le président Yala de l’Assemblée nationale en novembre 2002, devaient se tenir le 23 février 2003, mais n’ont cessé d’être repoussées depuis. Une première fois au 20 avril, puis au 6 juillet, avant d’être (définitivement ?) fixées au 12 octobre. Les autorités, qui expliquaient ces reports successifs par le manque de ressources financières, avaient sollicité, dès décembre 2002, une aide internationale.
L’ONU, qui suit de très près la situation à Bissau, où elle dispose d’un Bureau d’appui pour la consolidation de la paix, a été la première à répondre. Début 2003, le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) a octroyé une aide de 500 000 dollars destinés à l’organisation du scrutin. Ce sont ensuite les Pays africains de langue officielle portugaise (Palop) qui, à l’issue d’un sommet essentiellement consacré à la situation politique en Guinée-Bissau, ont demandé le soutien « technique et logistique » de la communauté internationale à l’organisation de ces élections. Enfin, l’Union européenne a offert une contribution de 1,2 million d’euros. David Stephen, le représentant à Bissau du secrétaire général des Nations unies, présent à la signature du protocole d’accord de cette aide européenne, a même pu dire, un peu trop vite peut-être, que « la Guinée-Bissau ne pourra plus reporter les élections par manque de financement, car elle a aujourd’hui ce qu’il lui faut pour organiser le scrutin le 12 octobre ».
Visiblement, les sommes annoncées n’ont pas toutes été débloquées à temps. Le 6 août, les responsables de la Commission nationale électorale ont réclamé une fois de plus les 4 millions de dollars nécessaires à la tenue de la consultation. Le recensement électoral, initialement prévu pour avril, puis repoussé au mois de juillet, n’a débuté qu’à la mi-août, et uniquement dans la capitale. Enfin, le fichier électoral fait l’objet d’un contentieux entre les quelque vingt-trois formations politiques qui se lanceront début septembre dans la course aux suffrages.
L’opposition accuse le numéro un bissauguinéen de jouer avec le temps en repoussant régulièrement l’échéance. Le président Kumba Yala, il est vrai, n’est pas sûr d’obtenir la majorité dans la future Assemblée nationale. Aux législatives de novembre 1999, alors qu’il était encore très populaire, sa formation, le Parti de la rénovation sociale (PRS), était arrivé de justesse en tête du scrutin, avec seulement 30 députés sur 102. Pour disposer de la majorité au Parlement, le PRS s’était allié aux 24 députés de la Résistance de Guinée-Bissau/Mouvement de Bafata (RGB/MB).
La coalition a éclaté en octobre 2001, à la suite de divergences entre les deux partis. S’est alors ouverte une longue période de bras de fer entre l’opposition parlementaire et Yala, qui a fini par dissoudre la Chambre en novembre 2002. Il doit, à tout prix, remporter les législatives anticipées, au risque de voir la fin de son mandat se transformer en cauchemar. Sur sa route, il croisera sans doute le PAIGC (Parti africain de l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert), ancien parti au pouvoir encore bien implanté dans le pays, ainsi que l’Union électorale, une coalition de quatre formations, où Francisco Fadul, ancien Premier ministre du gouvernement de transition, symbolise l’opposition radicale. Lorsque, le 14 août, neuf partis d’opposition ont soumis au président Yala un « mémorandum de sortie de crise » proposant la formation d’un gouvernement de consensus, Joaquim Baldé, leader de l’Union électorale, en a vigoureusement rejeté l’idée : « Nous sommes convaincus qu’il n’existe qu’une seule solution pour remonter la pente, c’est la tenue d’élections libres, justes et transparentes pour donner confiance non seulement aux Bissauguinéens, mais aussi à nos partenaires de développement », a-t-il tranché.
Le PRS de Yala est d’autant moins sûr de remporter la consultation qu’il est traversé par de fortes oppositions internes. Et la personnalité atypique de son chef de file n’arrange pas les choses. Depuis son arrivée au pouvoir le 16 janvier 2000, le chef de l’État, imprévisible et autoritaire, a usé trois Premiers ministres et des dizaines de ministres, dont certains ont été limogés moins de quarante-huit heures après leur nomination !
La situation est à ce point inquiétante que, dans un rapport daté du 13 juin, Kofi Annan déclarait à propos de la Guinée-Bissau : « Ce pays dont l’avenir semblait si prometteur après la cessation du conflit armé de 1998-1999 et la tenue d’élections libres et régulières est de nouveau engagé sur la mauvaise pente. » Le front social est en ébullition. Les fonctionnaires enregistrent jusqu’à huit mois d’arriérés de salaires. Le 2 août dernier, le gouvernement, à la suite d’une « évaluation technique faite sur l’ensemble du territoire national », a annoncé, sans consulter le syndicat national des enseignants, l’invalidation de l’année scolaire 2002-2003 dans les établissements publics.
Reste l’armée, dont nul ne sait comment elle va réagir. Le 12 août, la Ligue bissauguinéenne des droits de l’homme a rappelé la détention, depuis décembre 2002, de dix officiers supérieurs, incarcérés dans une prison militaire « sans accusation formelle, sans assistance juridique et dans un état de santé qui nécessite une intervention sanitaire prompte ». Les officiers, accusés « d’avoir voulu renverser le régime du président Kumba Yala » en décembre 2002, sont réputés proches du général Ansumane Mané, l’ancien chef d’état-major, qui avait poussé à l’exil l’ex-président Nino Vieira, le 7 mai 1999. Accusé d’avoir voulu tenter un coup d’État contre Yala, Mané lui-même a été abattu par les forces loyalistes le 30 novembre 2000. Depuis, l’armée, qui avait pris goût aux avantages que confère le pouvoir, est retournée dans ses casernes. Ses plus hauts responsables déclarent urbi et orbi qu’on ne les y reprendra plus. Reste à savoir jusqu’à quand ils supporteront les interminables chicaneries de la classe politique bissauguinéenne…

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires