Kofi Annan tire la sonnette d’alarme

Dans son dernier rapport, le secrétaire général des Nations unies s’inquiète de la dégradation de la situation politique, envisageant même une reprise des hostilités. Un climat qui ne favorise pas la relance économique.

Publié le 25 août 2003 Lecture : 5 minutes.

Le dernier rapport de Kofi Annan sur la Mission des Nations unies en Côte d’Ivoire ne brille pas par son optimisme, c’est le moins que l’on puisse dire ! Le secrétaire général de l’ONU s’inquiète non seulement de la « crise humanitaire aiguë » qui continue de miner l’ensemble du pays, mais surtout de la dégradation de la situation à Abidjan. Certes, une déclaration proclamant officiellement la fin de la guerre a été publiée le 4 juillet par les Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci) et la rébellion. Certes, les États-Unis, réputés pour leurs exigences pointilleuses en matière sécuritaire, ont annoncé le 13 août le retour dans la capitale économique de leurs diplomates « non essentiels », près de dix mois après leur départ provoqué par le déclenchement des hostilités. Reste que les citoyens américains présents à Abidjan doivent éviter de se rendre dans l’intérieur du pays, précise-t-on au département d’État, où la situation ivoirienne est pudiquement qualifiée de « volatile ».
Signe évident que la crispation perdure entre le Nord et le Sud, la réouverture de la frontière avec le Burkina, annoncée pour le 12 août, a été une nouvelle fois reportée sine die. Et le rapport du secrétaire général de l’ONU souligne qu’« il subsiste des tendances négatives qui menacent de réduire à néant les progrès importants réalisés sur le plan de la sécurité. Cette amélioration est désormais compromise par les activités des milices armées opposées à l’accord de Marcoussis. En particulier, les menées des milices du Groupement patriotique pour la paix [GPP], basées dans les quartiers de Marcory et de Yopougon, et des soi-disant « jeunes patriotes » [NDLR : tous supporteurs du président Gbagbo] constituent une grave menace pour la sécurité et les droits de l’homme dans la capitale. » Et Kofi Annan d’ajouter : « Les activités connexes de certaines personnalités politiques en vue, qui ont appelé à la désobéissance civile contre les ministres affiliés aux Forces nouvelles, ont également suscité des tensions dans le pays. »
Dans le camp d’en face, des éléments incontrôlés des Forces nouvelles (qui regroupent les trois mouvements rebelles) maintiennent des postes de contrôle sur les grandes routes, et des éléments libériens « indépendants », toujours présents dans l’Ouest, mettent également en péril la stabilité de la Côte d’Ivoire. Bref, la partition du pays entre le Nord et le Sud se poursuit de facto, l’administration du Nord par les Forces nouvelles perpétuant « un climat d’incertitude qui intensifie la crainte d’une reprise éventuelle des hostilités ». Par ailleurs, et c’est sans doute l’accusation la plus grave, le rapport fait aussi état « d’informations confirmées » sur le réarmement des Fanci ainsi que de « soupçons » selon lesquels les Forces nouvelles, leurs adversaires, feraient de même. « Ces achats d’armes sapent la confiance entre les deux parties et risquent de porter atteinte à l’engagement des Forces nouvelles à désarmer », estime le secrétaire général de l’ONU.
Ce climat délétère ne facilite pas, on s’en doute, le travail des opérateurs économiques, qu’ils soient nationaux ou étrangers. Les projections optimistes d’une croissance de 3 % en 2002 ont été revues à la baisse et ramenées à – 1,2 %. Dans ce pays fortement tourné vers l’agriculture, c’est le secteur primaire qui subit la plus faible contraction (- 0,9 %), tandis que les secteurs secondaire et tertiaire enregistrent respectivement un recul de – 3,8 % et – 5,3 %. Dans le domaine agricole, les opérations de production et de commercialisation du coton, culture pratiquée en zone rebelle, mais aussi de la canne à sucre, du tabac et de la noix de cajou ont fortement chuté. Relativement épargnée par la guerre, la Boucle du cacao a, pour sa part, enregistré une récolte satisfaisante au cours de la campagne 2002-2003 (voir J.A.I. n° 2220, pp. 56-58). Mais rien ne garantit que la campagne qui s’ouvre en septembre soit aussi favorable que la précédente.
Dans le domaine industriel et commercial, « le secteur privé traverse une profonde dépression et la cote de crédit du pays s’est considérablement dégradée. L’hôtellerie continue de subir des pertes d’exploitation et, d’après la Fédération nationale des industries et des services, le volume des activités a chuté de 25 % depuis septembre 2002 », soulignent les experts de l’ONU.
Sur le plan financier, l’État est parvenu à hisser ses recettes au niveau de 1 517 milliards de F CFA (2,3 milliards d’euros) pour l’année 2002, contre une projection initiale de 1 473 milliards de F CFA. Cette performance doit toutefois être relativisée par la hausse générale des dépenses publiques, et plus particulièrement par celle des dépenses militaires requises pour soutenir l’effort de guerre, qui se sont traduites par un déficit global de 91,8 milliards de F CFA. Les perturbations subies par les différentes filières de production, le blocage des lignes de crédit et l’arrêt des activités portuaires provoquées par le conflit ont considérablement influé sur les échanges avec l’extérieur.
Malgré cette accumulation de handicaps, le pays a connu une amélioration de sa balance commerciale due essentiellement à la forte hausse des prix des produits d’exportation (notamment le cacao) conjuguée à une réduction de la valeur des produits importés. En dépit du solde négatif enregistré pour les services, le solde global s’établit à 532,7 milliards de F CFA.
La morosité économique s’est traduite par une forte réduction des prêts bancaires, notamment ceux consentis par les établissements publics. Nombre de succursales bancaires de province, notamment dans le Nord, ont fermé leurs portes en septembre 2002, et les opérations de prêts se sont orientées vers d’autres pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine.
Les prix des produits de base, eux, ont fortement évolué à la hausse, notamment pour les denrées produites dans les zones touchées par la guerre. Simultanément, le flux des ressources extérieures a chuté depuis le début des hostilités, souligne le rapport onusien : « L’aide au titre de l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés se situait à 225 milliards de F CFA à la fin de l’année 2002. Le FMI et la Banque mondiale ont suspendu le décaissement de la deuxième tranche de la Facilité pour la réduction de la pauvreté et la croissance (FRPC) ainsi que la deuxième tranche du crédit de relance économique. » La Côte d’Ivoire, pour sa part, a toutefois continué de respecter ses obligations concernant sa dette envers les institutions financières de Bretton Woods. Ce qui mérite d’être souligné…
Une mission d’évaluation dépêchée par le FMI et la Banque mondiale s’est rendue à Abidjan à la fin du mois de juin. Sans qu’aucune décision n’ait été annoncée jusqu’à maintenant. Reste au pays à donner des gages de stabilité suffisamment forts à ses partenaires. La récente visite du Premier ministre Seydou Diarra en Europe et aux États-Unis visait à mobiliser les ressources nécessaires à l’exécution du programme de reconstruction nationale. Celui-ci doit être finalisé dans les prochains mois. La Communauté européenne a déjà accepté de financer un programme de réhabilitation post-conflit de 30 millions d’euros pour appuyer la réconciliation nationale, le désarmement, la démobilisation des combattants et aider les 800 000 personnes déplacées. La balle est désormais dans le camp des protagonistes de la crise ivoirienne. Même si Kofi Annan semble douter de leur bonne volonté à y mettre un terme.

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