Aristide s’enfonce

Métamorphosé en despote, l’ancien prêtre est aujourd’hui au ban de la communauté internationale. Et ne fait rien pour redorer son blason.

Publié le 25 août 2003 Lecture : 4 minutes.

Alix Lamarque, président du Conseil électoral provisoire haïtien (CEP), a annoncé, le 13 août, la tenue probable des élections législatives le 23 novembre ou le 7 décembre 2003. Impossible vu le contexte actuel, ont répondu les États-Unis par la voix de Luis Moreno, chargé d’affaires à l’ambassade américaine à Port-au-Prince. Le climat d’insécurité, aggravé par les affrontements sanglants entre partisans et adversaires de Lavalas (« l’avalanche » en créole), le parti au pouvoir, et l’absence de représentants de l’opposition au sein du CEP entravent en effet la formation du quorum de neuf membres, nécessaire à la légalité des décisions émanant dudit Conseil. Le retour à la paix civile et la composition pluraliste du CEP sont les deux conditions exigées par la résolution 822 de l’Organisation des États américains (OEA) pour la tenue de ces élections. Pendant ce temps, Haïti s’enfonce…
Le pays est aujourd’hui une ruine, le trafic de drogue florissant, la corruption monnaie courante, les services publics moribonds ; des gangs de jeunes, « les chimères », proches de Lavalas, font régner la terreur. Une milice armée, « les sans-manmans », écume la région de Pernal, à l’Est, quatre fonctionnaires du ministère de l’Intérieur ont été tués le 24 juillet. Au Sud, à Jacmel, réputé paisible, des commerçants sont délestés de leurs biens, les paysans empêchés de travailler leurs terres. Tous les jours, les organisations de défense des droits de l’homme dénoncent les assassinats de journalistes et les méthodes des forces de l’ordre. Des policiers ont récemment torturé à coups de barre de fer Judie Roy, une opposante. Pourtant, il y a treize ans, un homme semblait pouvoir sortir le pays des ténèbres, un messie des bidonvilles devenu président : Jean-Bertrand Aristide, dit Titide.
Renversé en 1991, à peine un an après son élection, il revient au pouvoir en 1994 à la faveur de l’opération américaine Restore Democracy. La Constitution ne lui permettant pas de briguer un second mandat consécutif, il cède son poste durant cinq ans à son homme de confiance, René Préval. Dans ses valises, il a ramené le soutien et l’aide de la communauté internationale. Le peuple exulte : « Tout ce que Titide fait est bon. » En novembre 2000, il reprend par les urnes la direction du pays. Mais la liesse est brève et les ventres toujours vides. D’autant que face aux irrégularités qui ont entaché les législatives de mai 2000, les bailleurs de fonds – Banque interaméricaine de développement (BID), Fonds monétaire international (FMI) et Union européenne – ont décidé de limiter les aides financières à des programmes spécifiques d’éducation et de santé. L’OEA somme le gouvernement haïtien d’organiser de nouvelles élections en 2003. Décrédibilisés, le parti Lavalas et son chef fomentent un faux coup d’État, plongeant la population dans le souvenir pénible des massacres de 1991. Les Haïtiens, médusés, découvrent un nouveau Titide en costume-cravate, métamorphosé par son exil aux États-Unis. Il est marié, père de famille, se fait appeler Son Excellence et roule dans de grosses voitures. On est loin du prêtre en soutane galvanisant les foules de son verbe imagé et anti-impérialiste.
De plus, il s’est entouré de personnages troubles. Certains d’entre eux – le directeur de l’administration pénitentiaire Cliford Larose, le député Nahoum Marcellus, et trois sénateurs, dont le président du Sénat Fourel Célestin – sont soupçonnés de trafic de drogue par le département d’État américain et interdits d’entrée aux États-Unis. De hauts fonctionnaires démissionnent craignant pour leur vie et celle de leur famille, à l’exemple de Jean Robert Faveur ex-directeur général de la police, aujourd’hui exilé aux États-Unis.
Nombreux sont ceux qui s’interrogent sur les dérives despotiques d’Aristide, à qui le monde entier donnait le bon Dieu sans confession. À quel moment a-t-il basculé ? D’où lui vient ce goût du pouvoir ? De son épouse, Mildred, que la rumeur dit proche de Condoleezza Rice et dont on murmure qu’elle pourrait être, à l’instar de Préval, un instrument de préservation du pouvoir ? Hypothèse renforcée par la distribution de petits billets demandant à la population son avis sur une éventuelle présidence féminine, lorsque Mildred visite les écoles et les hôpitaux.
Pour Weibert Arthus, journaliste haïtien établi à Paris, « Aristide a toujours été ainsi ». Dès son premier mandat, il avait interdit formellement à son Premier ministre de répondre aux questions du Parlement, considérant qu’il était le seul devant qui il avait à rendre des comptes. « Il n’est pas fou, ajoute-t-il, seulement tributaire du système haïtien auquel il appartient, marqué par une absence de culture démocratique. » Son parti politique, Fanmi Lavalas, fondé en 1997, illustre cette dérive de par sa structure clanique et le fait que chaque échéance électorale doit impérativement être gagnée à l’unanimité.
Plus grave, le 18 août, le sociologue Leannec Hurbon revient pour AlterPress (un journal électronique) sur un arrêté gouvernemental du 4 avril reconnaissant le vaudou comme religion à part entière : « En légiférant sur des pratiques qui relèvent de la croyance, l’État participe à cette croyance et perd de sa neutralité. » À ses yeux, c’est une démarche qui a pour but de manipuler la population, de la maintenir dans la peur, mais aussi de mettre les adeptes sous sa coupe. Les révélations de Johnny Auxilius, ancien Lavalas et employé à la mairie de Cité Soleil, sur des sacrifices humains – de nouveau-nés mâles en particulier – et les événements tragiques qui ont émaillé ce mois de juillet ont décuplé la pression nationale et internationale. La Fédération des Églises protestantes d’Haïti (FEPH), qui jadis soutenait Aristide, l’exhorte dans un communiqué daté du 11 août à rétablir l’ordre ou à partir. Un message qui sonne comme un avertissement sans frais…

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