Une saga africaine

Un réseau bancaire présent dans cinq – bientôt sept – pays du continent, un parc immobilier, une distillerie, une imprimerie, un projet de holding… Jusqu’où veut aller Yves-Michel Fotso, l’ancien patron de la Camair, parti d’une affaire familiale pour d

Publié le 25 juillet 2005 Lecture : 7 minutes.

São Tomé, lundi 11 juillet au soir. Au volant de sa Chevrolet Corvette, un peu à l’écart du bruit, Yves-Michel Fotso respire. Pour célébrer l’inauguration de la Commercial Bank dans ce petit archipel – et futur eldorado pétrolier – du golfe de Guinée, il vient d’offrir au président Fradique de Menezes et à ses hôtes (les chefs d’État nigérian, mozambicain, équatoguinéen et cap-verdien) une fête nationale comme les Santoméens n’en ont jamais connu. Un feu d’artifice sur front de mer, un concert du groupe Kassav et quelques stars lusophones, et des dizaines d’invités, ministres, hauts fonctionnaires, people et journalistes, acheminés via Douala à bord de deux jets spécialement affrétés. À l’évidence, le fils de Victor Fotso, patriarche presque octogénaire et autodidacte milliardaire désormais retiré dans sa bonne ville de Bandjoun, au coeur du pays bamiléké, sait se rendre utile dans le cadre d’une logique financière imparable : le « win-win » (gagnant-gagnant). Une sorte de tontine à la fois généreuse et éminemment rentable qui a permis à cet homme de 45 ans, formé en France et aux États-Unis, de devenir un acteur économique incontournable en Afrique centrale. Successeur de facto de son père à la tête de l’empire Fotso – le premier groupe camerounais privé -, Yves-Michel Fotso a fait du pôle Commercial Bank un vrai réseau bancaire présent dans cinq – bientôt sept – pays de la zone. Toujours, partout, pour s’implanter puis gagner de l’argent, le jeune Fotso rend des services. En Centrafrique, où la CBCA est la seule banque viable du pays, le président François Bozizé sait ce qu’il lui doit : pendant deux ans, Fotso a consenti crédits et découverts qui ont permis au tombeur de Patassé de maintenir la tête hors de l’eau. Idem au Tchad, où Idriss Déby n’a qu’à se louer de l’efficience de la CBT, et même au-delà de la région, au Mali, où le Groupe a des intérêts. Les initiés n’ignorent pas ainsi que l’appui fourni par Yves-Michel à son ami Amadou Toumani Touré a beaucoup aidé ce dernier à se faire élire en 2002. Faiseur de rois hors de chez lui, ce golden boy (très) fortuné – il est le premier contribuable individuel du Cameroun au titre de l’impôt sur le revenu -, investisseur immobilier à Paris, imprimeur au Tchad ou distillateur à Douala, n’a en réalité qu’un seul véritable problème : il n’est pas encore prophète chez lui.
Le Cameroun, il est vrai, est un pays particulier. La réussite y est autant enviée que jalousée ; l’argent, vénéré pour soi et haï pour le voisin ; le dénigrement, quasi systématique ; et la rumeur, de préférence malveillante, omniprésente. Lorsque le président Paul Biya nomme, un jour de juin 2000, ce jeune entrepreneur prometteur qu’est alors Yves-Michel Fotso à la tête de la Camair, compagnie aérienne nationale alors en plein marasme, le fils de Victor plonge avec enthousiasme dans le marigot, sans savoir ce qu’il lui en coûtera – dans tous les sens du terme. Déterminé à appliquer au fleuron terni de l’orgueil camerounais les remèdes de cheval du secteur privé, Fotso met en place au forceps une politique apparemment contradictoire de développement – avec l’achat de nouveaux avions – et de réduction des coûts. Il coupe les branches mortes, ferme des représentations inutiles, interrompt des liaisons et en ouvre d’autres, met fin à la billetterie de complaisance, s’endette avec l’appui de la Commercial Bank of Cameroon (CBC), la banque mère du Groupe Fotso, et se fait tout naturellement beaucoup d’ennemis. L’expérience dure un peu plus de trois ans et, dès les premiers mois, une rumeur, tenace, se répand : si Fotso, qui a reçu pour mandat explicite de préparer la Camair à la privatisation, se démène tant que cela, c’est bien sûr pour placer son groupe en pole position le jour J. Asphyxié par le ministère des Finances et le non-règlement des consommations de l’État, acculé par des mouvements sociaux à répétition, Yves-Michel Fotso reçoit le coup de grâce quand un loueur mécontent, Ansett, cloue au sol ses appareils. En novembre 2003, il est débarqué. Fin du premier épisode.
À qui veut l’entendre, Yves-Michel dit alors combien il est soulagé de voir s’achever cette épreuve, mais aussi combien cette dernière lui a appris. Fait-il contre mauvaise fortune bon coeur ? C’est possible. Mais à peine a-t-il quitté l’immeuble de Douala qui abrite le siège de la société que la rumeur ressurgit, plus précise, plus venimeuse. Son successeur, l’ancien ministre Thomas Dakayi Kamga, un originaire de l’Ouest lui aussi, y prête une oreille suffisamment complaisante pour déclencher une enquête sur sa gestion. Parallèlement, et tout au long de l’année 2004, des articles de presse manifestement inspirés distillent des pseudo-informations destinées à préparer la phase judiciaire de ce qu’on appelle dès lors « l’affaire Fotso ». On l’accuse ainsi, lui ou son Groupe, sans le moindre élément de preuve, d’être le propriétaire de la quasi-totalité des sociétés d’aviation opérant au Cameroun et au Tchad. Plus grave, on assure qu’il est en réalité de mèche avec les créanciers de la Camair et donc l’un des bénéficiaires des traites de leasing des avions de la compagnie. Exemple : les Boeings 747 et 767 loués à la société américaine GIA International (devenue Avipro en 2002). Fotso, prétendent ses détracteurs, aurait « créé » Avipro avec des complices étrangers pour détourner à son profit les traites, via la CBC. Nommé « conseiller financier » de Dakayi Kamga début 2004, un expert-comptable camerounais résidant à Londres, Francis Nana, va plus loin encore. Dans une correspondance adressée à la Citibank de Singapour (où est enregistrée la société Avipro), il n’hésite pas à avancer le soupçon d’« activité criminelle » et de « blanchiment d’argent ». En janvier 2005, la Camair porte plainte à Douala contre la CBC et son vice-président – Yves-Michel Fotso – pour rétention d’informations. Au même moment, les rumeurs d’une arrestation imminente de Fotso, qui se serait vu signifier une interdiction de quitter le territoire national, circulent avec insistance. C’est l’hallali.
Cette campagne vise en fait un double objectif : discréditer, briser Yves-Michel Fotso, mais aussi différer le plus longtemps possible, voire annuler, la dette importante – près de 10 millions de dollars – due par la Camair à GIA/Avipro pour la location des deux appareils. Sur ces deux fronts, la nouvelle direction de la compagnie va connaître deux échecs. Elle doit retirer sa plainte, il est vrai peu consistante, contre la CBC, et un tribunal de New York, saisi du litige avec GIA/Avipro, tranche en sa défaveur. Le vent du boulet n’a fait qu’effleurer Yves-Michel Fotso, dont la tactique, suggérée, dit-on, par le président Biya lui-même lors de son limogeage de la Camair, a été payante : rester calme, faire le dos rond, plier sous la calomnie, mais ne pas rompre. Tout de même. Le 15 février 2005, Fotso écrit à son successeur – qui sera débarqué à son tour quelques jours plus tard – une longue lettre en forme de réplique. « Je suis à même de me poser la question si, dans le cadre de votre mandat, un alinéa spécifique, mais non écrit, vous commande d’oeuvrer par tous les moyens pour ternir au maximum l’image de votre prédécesseur. Suis-je coupable de n’avoir pas suffisamment défendu le lobby de l’Ouest durant mes quarante mois à la tête de la compagnie nationale ? Ou, peut-être, de votre capacité à me nuire dépend votre maintien à la tête de la Camair ? […] Durant ces quarante mois, j’ai défendu avec une totale abnégation les intérêts de la compagnie, allant même jusqu’à hypothéquer mes biens personnels, caution de 1 milliard de francs CFA, les biens de mon père et de son Groupe, actions sans lesquelles la Camair aurait vu à de multiples reprises son exploitation s’arrêter. […] Je n’ai aucun intérêt professionnel à ce que la Camair, débitrice de plusieurs milliards auprès de la CBC, finisse par sombrer corps et âme. Je n’ai pas davantage d’intérêt personnel à ce que mon nom, qui a été lié durant quarante mois à celui de la Camair, soit associé à son naufrage. »
Depuis le départ de Dakayi Kamga et son remplacement par Paul Ngamo Hamani, un inspecteur des impôts chargé de préparer la scission-liquidation de la compagnie, le climat s’est apaisé, et ce qui reste de la Camair semble même redécoller. Mûri par l’épreuve, Yves-Michel Fotso a orienté ses ambitions vers le développement de son Groupe, dont il rêve de faire le premier à capitaux majoritairement africains de la région. Il pense aussi à créer une fondation humanitaire, puisque la logique du « win-win » doit également profiter aux exclus de la richesse. La politique ? « Je n’en ai jamais fait et je n’en ferai jamais », assure-t-il, même si, en réalité, le Groupe Fotso a toujours été fidèle à un camp : celui de Paul Biya. Il est vrai qu’au Cameroun aussi sa puissance financière fait du Groupe un « faiseur de roi », avec qui tout prétendant potentiel au palais d’Etoudi – et chacun sait que la perspective, même lointaine, de l’après-Biya suscite des vocations – se doit de compter. Pour connaître les vraies raisons de la campagne déstabilisatrice dont il a fait l’objet, et qui l’émeut encore, Yves-Michel Fotso ne doit d’ailleurs pas chercher midi à quatorze heures. Ceci explique bien sûr cela…

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