Spielberg s’attaque au Proche-Orient

Son dernier thriller apocalyptique à peine sorti en salles, le cinéaste américain aborde un sujet politiquement très délicat : l’exécution par le Mossad des Palestiniens reponsables du massacre des J.O. de Munich en 1972.

Publié le 25 juillet 2005 Lecture : 4 minutes.

La Guerre des mondes, le thriller apocalyptique de Steven Spielberg, est à peine sorti en salles que, déjà, le réalisateur américain est sur un autre projet. Il entame à Malte le tournage de son film le plus politiquement délicat : l’histoire du commando du Mossad qui avait pour mission d’abattre les terroristes palestiniens après le massacre des athlètes israéliens lors des jeux Olympiques de Munich en 1972.
Par le passé, Spielberg a déjà pris des risques. En réalisant La Liste de Schindler, il redoutait qu’on l’accuse de vouloir banaliser l’Holocauste. Avec Faut-il sauver le soldat Ryan ?, il a parié, avec succès, sur la capacité des spectateurs à suivre de longues scènes de combats sanglants. Mais avec son film sur Munich, il s’attaque à un sujet sensible, pour ne pas dire jalonné de mines.
Aussi Spielberg s’est-il entouré d’un large éventail de conseillers, allant de son propre rabbin à l’ancien diplomate américain Dennis Ross qui, de son côté, a prévenu le gouvernement israélien. Le réalisateur a présenté son script à Bill Clinton et bénéficié des conseils de Mike McCurry, porte-parole de la Maison Blanche sous la présidence de ce dernier, ainsi que d’Allan Mayer, un spécialiste de la communication.
Le scénario de Tony Kushner, auteur dramatique qui s’essaie au cinéma, évoque au début du film l’exécution des onze athlètes à Munich. Mais il se focalise davantage sur les représailles israéliennes : l’assassinat, sur ordre du Premier ministre Golda Meir, de tous les Palestiniens identifiés par les services secrets israéliens, même s’ils n’étaient qu’indirectement impliqués dans le massacre. En rouvrant le débat sur la tactique très controversée des assassinats ciblés, Spielberg met en jeu le prestige qu’il a acquis auprès des juifs américains et israéliens, non seulement en traitant de l’Holocauste dans La Liste de Schindler, mais aussi en soutenant la Shoah Fondation, qui s’efforce de sauvegarder les témoignages des survivants des camps de concentration. Jusqu’à présent, il s’était toujours tenu à l’écart des événements du Proche-Orient.
Pour compliquer encore les choses, Spielberg s’inspire largement du livre de George Jonas, Vengeance, publié en 1984. Or celui-ci repose sur le témoignage d’un membre présumé de l’équipe d’exécuteurs du Mossad, dont la véracité s’est révélée douteuse. Aux dires de ses amis, Spielberg est profondément conscient du fait que ceux qui l’admirent pour son travail sur l’Holocauste pourraient mal comprendre son nouveau film et le considérer comme préjudiciable à Israël.
En général, Spielberg évite de communiquer sur ses projets, et c’est avec beaucoup de prudence qu’il a laissé filtrer les informations sur son nouveau film. Ainsi a-t-il seulement révélé que la vedette serait, dans le rôle du chef de commando, Eric Bana. Et si le réalisateur a envoyé simultanément le même communiqué au New York Times, à l’hebdomadaire israélien Ma’ariv et à la chaîne de télévision arabe Al-Arabiya, il a refusé de répondre à toute demande d’interview comme à tout questionnaire écrit.
Dans ce communiqué, Spielberg qualifie de « moment déterminant de l’histoire moderne du Proche-Orient » l’attaque de Munich perpétrée par Septembre noir, une branche du Fatah, et la contre-attaque israélienne qui a suivi. L’intérêt que porte Spielberg à la question repose sur sa volonté d’étudier la réaction d’un État « civilisé », prospère, face à une attaque terroriste, comme ce sera le cas des Américains au lendemain du 11 Septembre.
Dans le script de Kushner, les tueurs israéliens s’évertuent à comprendre comment leurs cibles ont été choisies et s’interrogent sur l’efficacité de ces assassinats. « Voir l’attaque de Munich à travers les yeux des vengeurs ajoute à ce terrible épisode une dimension humaine, déclare Spielberg dans son communiqué. En suivant ces hommes, on s’aperçoit, peu à peu, qu’ils sont pris de doutes quant au bien-fondé de leur mission. Je pense que nous pouvons en tirer un important enseignement sur l’impasse tragique dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui. »
Ephraim Halevy, un vétéran du Mossad qui dirigea les services secrets israéliens de 1998 à 2002, prévient qu’il ne faut pas accorder trop de crédit à ces assertions. « Je connais quelques-uns de ceux qui ont participé à ces missions, déclare-t-il. S’ils éprouvent des doutes, c’est de leur mérite qu’ils doutent. » Cependant, les conseillers de Spielberg affirment qu’il évite soigneusement le piège qui reviendrait à accorder la même dimension morale aux attaques palestiniennes et aux représailles israéliennes.
Les rares personnes qui ont eu accès au script ne tarissent pas d’éloges sur Kushner, par ailleurs auteur de Angels of America et de Homebody/Kabul : il a su rendre proches les Palestiniens traqués en donnant un sens à leur motivation. Plus encore, Spielberg se fonde sur de nombreux documents pour expliquer ce qui a poussé les Israéliens à faire de leurs fils des assassins, comme Golda Meir l’aurait regretté à l’époque. « C’est facile d’aborder les événements historiques avec du recul, a déclaré le cinéaste. En revanche, il est moins facile d’essayer de voir les choses comme les gens les ont vécues à leur époque. »

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