Lula condamné… à trancher

Jusque-là épargné par l’affaire de corruption qui éclabousse son parti et son entourage, le président brésilien limoge son plus proche conseiller, José Dirceu, et renforce les centristes de son gouvernement.

Publié le 25 juillet 2005 Lecture : 4 minutes.

Empêtré dans les scandales : le président brésilien a retrouvé son pays tel qu’il l’avait laissé, de retour à Brasília après avoir assisté, à Paris, aux cérémonies officielles du 14 Juillet. Une situation qui dure depuis deux mois, au cours desquels la vie politique n’a plus semblé rythmée que par des révélations en série mettant en cause, à chaque fois, de hauts dirigeants du Parti des travailleurs (PT) et certains de ses plus proches collaborateurs. Pour Lula, comme pour ses partisans, le coup est rude. Le parti qu’il a créé en 1980 à l’issue de durs combats menés sous la dictature militaire, qu’il a dirigé pendant près de vingt ans et qu’il a porté au pouvoir après lui avoir taillé une solide réputation d’intégrité, ce parti si… différent, qui pouvait imaginer le voir un jour confronté, comme tant d’autres, à des scandales politico-financiers ?
Certes, jusque-là, personne n’a mis Lula en cause. Mais pour cet homme qui a fait de l’éradication de la faim et du combat pour la moralisation de la vie publique ses priorités, cette affaire s’annonce comme la plus grave crise à affronter depuis sa prise de fonctions le 1er janvier 2003.
Tout commence le 14 mai. L’hebdomadaire Veja publie une série d’images extraites de vidéos montrant un directeur des postes, Mauricio Marinho, en train de recevoir un petit pot-de-vin de 1 millier d’euros. Pour sa défense, ce dernier déclare avoir agi pour le compte de Roberto Jefferson, président du Parti travailliste brésilien (PTB) et allié de Lula dans la coalition gouvernementale. Il précise même que d’autres entreprises publiques pourraient être concernées.
Quand l’opposition réclame, le 17 mai, la création d’une commission d’enquête parlementaire (CPI), chacun se souvient qu’en 1992 c’est une CPI qui a contraint le président Fernando Color à la démission pour… corruption. Le 6 juin, l’affaire prend une ampleur nouvelle quand l’accusé Jefferson se fait accusateur. Il dénonce, dans les colonnes du quotidien Folha de São Paulo, un système d’achat de votes de députés pour le compte du parti du président, minoritaire au Congrès. Il précise que le trésorier du PT, Delubio Soares, a payé des dessous-de-table mensuels de 10 000 euros à des députés de droite en échange de leur soutien au Parlement. Des accusations qu’il réitère devant la commission d’éthique de la Chambre. Mais Jefferson prend soin d’épargner Lula et précise que le président aurait mis fin à ces pratiques, après qu’il lui en eut révélé l’existence au début de l’année. Ce jour-là, raconte-t-il, « le président a pleuré, m’a donné l’accolade. […] J’ai vu un homme de bien, simple, correct, qui s’est senti trahi ». En revanche, il interpelle José Dirceu, ministre en charge la Maison civile (cabinet présidentiel) et proche conseiller de Lula : « Si vous ne quittez pas le gouvernement, vous allez faire d’un homme bon un accusé. » Jefferson donne des exemples précis, cite des noms, avance des chiffres. On apprend ainsi que c’est un publicitaire, Marcos Valerio, qui réceptionne les valises de billets à Brasília pour redistribuer l’argent aux députés. Lula ordonne une enquête et promet de « trancher dans le vif ». Ce qu’il fait, et au plus haut niveau. Le 16 juin, il se sépare de celui que tous soupçonnent d’être le « cerveau » de ce système occulte : José Dirceu.
Le 2 juillet, la publication d’un document révèle l’existence de liens financiers pour plus de 1 million d’euros entre, d’un côté, José Genoino et Delubio Soares (respectivement président et trésorier du PT) et, de l’autre, Marcos Valerio. Encore lui. Avec leur camarade Silvio Pereira, secrétaire général du parti, ils seront à leur tour contraints de démissionner.
Parallèlement à ce grand ménage au sein du Parti des travailleurs, Lula poursuit son remaniement ministériel, au détriment de sa propre formation. Trois nouveaux ministres, tous centristes, entrent au gouvernement.
Pour la gauche du PT, c’est une stratégie inacceptable. Elle ne fait qu’élargir un peu plus la fracture entre Lula et la base sociale qui l’a porté au pouvoir tout en resserrant les liens avec les tenants du libéralisme. La droite, elle, qui pensait mettre à profit ce scandale dans la perspective des élections générales de 2006, se retrouve désorientée par la bonne cote de popularité du président. Car même après de nouvelles révélations indiquant que la société de son propre fils Fabio (30 ans) aurait bénéficié d’un apport de 1,8 million d’euros d’une entreprise de télécoms, la moitié des personnes interrogées continue de penser que Lula ignorait tout de ces pratiques et combat la corruption.
Cette popularité lui donne les moyens de trancher dans le vif, comme il l’a promis, et, surtout, de reprendre en main son équipe. Comme le soulignait un commentateur du journal O Globo, il ne faudrait pas que « son image d’homme bien entouré de malfaiteurs donne l’impression d’un président absent des décisions, désinformé, dont les conseillers disposent d’assez d’autonomie pour monter un système d’une telle ampleur […] ».
En tout cas, s’il veut pouvoir affronter à nouveau le verdict des urnes en 2006, Lula doit agir vite. Avant que la commission d’enquête parlementaire ne rende public son rapport, ou que de nouveaux scandales ne viennent alourdir un peu plus le climat.

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