Jusqu’où ira Ayman Nour ?

En cherchant à diviser l’opposition, le pouvoir a donné un coup d’accélérateur à la carrière de ce jeune loup de 41 ans qui a de bonnes chances de capter, à la présidentielle du 7 septembre, l’essentiel des votes protestataires. À condition qu’il ne soit

Publié le 25 juillet 2005 Lecture : 6 minutes.

Inconnu du grand public il y a un an, Ayman Nour est aujourd’hui considéré comme l’adversaire numéro un d’Hosni Moubarak à la présidentielle du 7 septembre. C’est ainsi, en tout cas, qu’il est perçu par les partisans du raïs, au pouvoir depuis 1981, et qui s’apprête, à presque 77 ans, à rempiler pour un cinquième mandat de six ans. Comment cet avocat cairote de 41 ans a-t-il pu se propulser sur le devant de la scène en un laps de temps si court ?
Élu à deux reprises, en 1994 et 1999, au Majlis al-Chaâb (le Parlement), sous les couleurs du Wafd (« Délégation », libéral), Nour n’hésite pas à provoquer une scission au sein de cette formation. La manoeuvre, encouragée par le régime, est payante. Le 26 octobre 2004, il reçoit l’autorisation de créer Al-Ghad (« Avenir »), premier parti d’opposition à être légalisé en Égypte depuis une vingtaine d’années. Il s’empresse de mettre les points sur les « i » : « Nous aimons et apprécions Moubarak, mais nous aimons aussi cette nation et voudrions la voir se développer comme les autres », explique-t-il, résumant ainsi, en quelques mots, son programme politique.
Le 6 novembre 2004, le jeune député réunit le premier congrès d’Al-Ghad et s’en fait élire président. Première décision : il refuse la subvention accordée par la Commission des partis. Il multiplie ensuite les déclarations contre le gouvernement, stigmatise la corruption et appelle à des réformes politiques. Son audace, inhabituelle au pays des Pharaons, lui vaut la sympathie des Égyptiens.
Vers la mi-décembre, les manifestations du mouvement Kifaya (« Ça suffit ! ») contre un nouveau mandat de Moubarak sortent enfin l’Égypte de sa torpeur. Des figures de la société civile comme Saad-Eddine Ibrahim, directeur du Centre Ibn-Khaldoun d’études sociologiques et politiques, et l’écrivain féministe Nawel Saâdaoui annoncent leur candidature à la présidentielle. Pour, disent-ils, lever le tabou de la candidature unique, qui a été jusque-là le lot des électeurs égyptiens.
Encouragé par les pressions américaines en faveur d’élections libres et de réformes démocratiques dans le monde arabe, le leader d’Al-Ghad s’engouffre dans la brèche. La réaction des autorités ne se fait pas attendre. Le 21 janvier 2005, au lendemain d’une brève rencontre au Caire avec l’ex-secrétaire d’État Madeleine Albright, venue promouvoir la vision américaine de la démocratie, Nour est arrêté, ainsi que six autres membres de son parti. On les accuse d’avoir falsifié des mandats pour permettre la création d’Al-Ghad. L’emprisonnement du jeune leader, placé en détention préventive, provoque de vives réactions. Au Caire d’abord, où la société civile multiplie les appels pour sa libération. À Washington ensuite, où Condoleezza Rice fait part à son homologue égyptien Ahmed Aboul Gheit, le 15 février, des « vives inquiétudes » des dirigeants américains, tout en exprimant « l’espoir très fort de voir une solution intervenir rapidement ». Dans la foulée, la secrétaire d’État américaine annule une visite au Caire inscrite au programme de sa première tournée en Europe et au Proche-Orient. L’Union européenne se joint au concert de réprobations.
L’« affaire Nour » ne tarde pas à donner ses premiers fruits. Le 26 février, le président Moubarak, qui a moyennement apprécié l’« ingérence » américaine dans les affaires égyptiennes, annonce sa décision de réformer la Constitution en vue de permettre la pluralité des candidatures à la présidentielle. Le 12 avril, il fait libérer – sous caution – le chef du parti Al-Ghad. Ce dernier sera cependant inculpé dix jours plus tard.
Ces décisions, prises sous les pressions conjuguées de la rue égyptienne et de la communauté internationale, ne font qu’accroître la notoriété de Nour. À sa sortie de prison, il se dirige directement à Bab al-Chaâria, quartier populaire du centre du Caire, son fief électoral. « Nous t’aimons président ! » scandent ses partisans, vêtus d’orange, couleur de leur parti. « Nous avons décidé de participer à toutes les élections en Égypte, y compris la présidentielle. La bataille n’est pas seulement celle d’Al-Ghad, mais aussi celle d’une génération entière, privée du droit de choisir son président », lance le jeune leader à la foule venue l’acclamer.
Le 20 juin, Nour fait partie des neuf personnalités invitées à rencontrer la secrétaire d’État américaine lorsqu’elle appelle, au Caire, à la suppression de l’état d’urgence, à l’arrêt de la violence policière contre les manifestants, à l’indépendance de la justice et à la présence d’observateurs internationaux pour superviser les élections à venir.
« L’homme des Américains en Égypte n’est autre que Moubarak », lance le député de Bab al-Chaâria à ceux qui l’accusent d’être un « pion de Washington ». Nour, qui ne parle même pas anglais – son doctorat en droit a été soutenu dans une université russe -, n’a jamais mis les pieds aux États-Unis ni noué le moindre contact avec des responsables américains, rappelle que son parti, à la différence du Parti national démocratique (PND, au pouvoir), a souvent critiqué la politique américaine dans la région.
Comparaissant en liberté, le 28 juin, devant le tribunal correctionnel de Bab el-Khalk, au Caire, le leader d’Al-Ghad ne manque pas de transformer son procès en une démonstration de force. Malgré l’imposant dispositif de sécurité déployé autour du bâtiment, plusieurs dizaines de ses partisans parviennent à se rassembler, à clamer son nom et à lancer ses slogans hostiles au régime. Dans la foule, son épouse, Gamila Ismaïl, porte-parole du parti, multiplie les déclarations dénonçant un procès monté de toutes pièces.
Au cours de la première audience, quatre des six coaccusés reconnaissent avoir « falsifié », sur la demande de Nour, des signatures sur les mandats présentés pour l’obtention de l’autorisation d’Al-Ghad. Le lendemain, coup de théâtre : l’un des quatre accusés revient sur ses aveux et accuse les autorités de l’avoir contraint, sous la menace, à faire un faux témoignage. Nour passe alors à l’attaque. Aux avocats des autres coaccusés qui émettent des soupçons sur l’origine de sa fortune personnelle, il répond : « Je suis prêt à produire toutes les attestations sur les sources de mes revenus, mais je demande que Moubarak, son fils et sa famille fassent de même. »
Le tribunal décide finalement de reporter les délibérations au 24 septembre, laissant ainsi à Nour la possibilité de faire avaliser sa candidature et de faire campagne pour la présidentielle.
Le leader d’Al-Ghad, qui est entré pour ainsi dire par effraction dans l’arène politique égyptienne, est souvent qualifié d’« opportuniste », de « populiste » et de « prétentieux ». Le jeune homme, qui a réussi, en quelques mois, à se donner une stature de chef de l’opposition, ne manque cependant pas d’atouts. D’abord, il a pour lui sa jeunesse, dans un pays où la scène politique – pouvoir et opposition réunis – est occupée par des dinosaures.
Ses chroniques – autrefois publiées par le quotidien Al-Wafd et, depuis peu, par l’organe de son parti, Al-Ghad – sont fort appréciées des lecteurs. Auteur de plusieurs essais politiques à succès, cet avocat de profession est aussi un excellent tribun, qui sait parler au petit peuple un langage direct, emporté, mais juste. Son discours centriste, alliant libéralisme à l’américaine et défense des défavorisés, brasse large. Quant à ses diatribes contre Moubarak et son projet de république héréditaire, elles font mouche. Et même s’il vit (et reçoit) dans un appartement luxueux avec piscine au huitième étage d’un immeuble situé dans un quartier huppé du Caire, sa popularité ne cesse de grandir parmi les couches populaires. Ses gestes en faveur des pauvres (distributions d’aides diverses, bons d’achat…) lui valent la sympathie de l’homme de la rue comme des intellectuels de gauche et des notables de droite.
Ses atouts sont d’autant plus évidents que les autres candidats déclarés de l’opposition à la présidentielle, notamment Khaled Mohi-Eddine, chef du Tagammu (gauche socialiste), et Talaât Sadate, neveu de l’ex-président, chef du parti Al-Ahrar (Libéraux), sont peu populaires et manquent cruellement de charisme. Dans un scrutin pluraliste, libre et transparent – en l’absence des Frères musulmans, empêchés de présenter un candidat, leur mouvement n’étant pas encore légalisé -, Nour a donc toutes les chances de capter, le 7 septembre, l’essentiel des votes protestataires. À condition, bien sûr, que le régime n’entrave pas sa candidature par l’un des procédés dilatoires dont il a le secret. Lui, en tout cas, y croit ferme et promet aux Égyptiens une « surprise à l’iranienne », en allusion au récent succès du novice Mahmoud Ahmadinejad face au vieux briscard Ali Akbar Rafsandjani. Nour président ? C’est presque le titre d’une comédie égyptienne…

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires