Fespam : que la fête continue !

Organisé tous les deux ans, le Festival panafricain de musique est une manifestation désormais bien installée. Il avait cette année pour thème « l’héritage de la musique africaine dans les Amériques et les Caraïbes ».

Publié le 25 juillet 2005 Lecture : 5 minutes.

Il soufflera sa dixième bougie l’an prochain. Depuis sa création en 1996, le Fespam (Festival panafricain de musique) a tenu bon, en dépit d’une histoire jalonnée de ratés et d’une avalanche de critiques brocardant sa « désorganisation ». Depuis 1996, l’événement a même fini par s’imposer comme le rendez-vous incontournable des virtuoses de la musique africaine. Qui oserait aujourd’hui en contester l’existence et le remettre en question ? Certainement pas la population de Brazzaville. Depuis dix ans, la capitale du Congo a organisé les quatre éditions du festival, dont la dernière, qui s’est déroulée tout récemment, entre le 9 et le 16 juillet dernier.
À l’origine de cette grand-messe, deux manifestations nées dans les années 1960, décennie au cours de laquelle l’Afrique « culturelle et artistique » s’affirme. Le Festival mondial des arts nègres d’abord, organisé à Dakar en 1966, avec l’appui de Léopold Sédar Senghor, sur une initiative de la Société africaine de culture. Un événement resté, hélas, sans suite. Le Festival culturel d’Alger ensuite, organisé en 1969. Objectif : montrer au monde entier la richesse culturelle de l’Afrique et son apport à la civilisation.
Si l’idée d’organiser des rencontres culturelles sur le continent est acquise grâce à ces deux manifestations, la décision de mettre sur pied un rendez-vous panafricain spécifiquement tourné vers la musique n’est pas encore à l’ordre du jour à cette époque. Les ministres africains de la Culture tentent, certes, de peaufiner un tel projet et d’en préciser les contours. Mais le pas ne sera franchi qu’en 1976. L’Organisation de l’unité africaine (OUA) – devenue depuis l’Union africaine (UA) – prend alors la décision de créer un festival panafricain de musique destiné à promouvoir la musique africaine. Trois pôles sont retenus – la musique traditionnelle, la musique moderne et la musique religieuse -, à l’instar du Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (Fespaco), chargé, lui, de mettre en valeur le cinéma du continent. Pour accueillir l’événement, préférence est donnée à l’Afrique centrale, terre de musique par excellence. C’est à cette occasion que le Congo-Brazzaville rafle la mise.
Mais il faudra encore attendre une vingtaine d’années pour que le projet se concrétise. Ce sera chose faite en 1996. Depuis, le Festival panafricain de musique (Fespam) se déroule tous les deux ans et sa programmation s’enrichit, à l’image de celle du Fespaco : strictement panafricain à l’origine, il intègre désormais les rythmes venus des Caraïbes et des Amériques.
Dès sa deuxième édition en 1998 pourtant, le festival fait une entorse à la règle. À cause de la guerre civile qui a ruiné les capacités économiques du Congo l’année précédente, la fête est reportée d’un an. Rendez-vous est donc pris pour le mois d’août 1999. Bien que la situation politique du pays soit encore fragile – le Congo rebasculera dans la violence cinq mois plus tard -, le festival a bien lieu et sa continuité est assurée. Du 1er au 8 août 1999, il a pour thème « La musique africaine et la construction de la paix et de l’unité nationale ». Un grand moment d’émotion, que le chef de l’État, Denis Sassou Nguesso, ne manque pas de souligner lors de la cérémonie d’ouverture : « Je devine votre stupéfaction devant les meurtrissures encore visibles de la guerre ; moi, je pense déjà à l’avenir. En ces lieux dévastés où nous sommes, je vois s’étendre une ville nouvelle, plaisante, avec des avenues larges et ombragées, bordées d’élégantes demeures entourées de jardins d’agrément », déclare-t-il. Au menu de cette édition « exceptionnelle », une belle brochette de musiciens, dont Amy Koïta, Papa Wemba, Ismaël Lô, et quelque 2 000 festivaliers. La population congolaise, et celle de Brazza en particulier, retrouve le goût de la fête et le chemin des boîtes et des bars-dancings.
Deux ans plus tard, le Congo est en pleine reconstruction. Pour sa troisième édition, qui se tient du 4 au 11 août 2001, le Fespam prend son envol. Sa dimension panafricaine s’affirme. Le thème retenu en témoigne : « Mille tambours à l’unisson pour une Afrique sans frontières ». Une multitude d’artistes (Extra Musica, Werrason, Pierre Akendengue, Bisso Na Bisso) venus d’une bonne vingtaine de pays du continent sont présents. Sans oublier la diaspora. Bilan : 25 délégations, quelque 2 600 festivaliers et un succès populaire certain.
En août 2003, le Fespam a sept ans. Il prend sa vitesse de croisière. Du coup, on l’attend au tournant. Avant même son déroulement, on anticipe sur ses ratés. Les mauvaises langues gagnent en partie leur pari, mais c’est quand même la fête. Du 2 au 8 août, Brazzaville danse et les foules en délire, des moins de 20 ans pour la plupart, se pressent sur tous les sites « off » du festival, dans les communes populaires de Makélékélé, Talangaï, Mfilou comme en centre-ville, à Poto-Poto ou au Musaf (Marché de la musique africaine). Les nantis, eux, se rendent au stade Massemba-Débat, pour le programme « in ». À l’affiche, des stars comme Manu Dibango, Extra Musica, Meiway, G7, Petit-Pays, Youssou Ndour, Magic System, Brenda Fassie, Macase, Marsha Moyo, King Mensah, Zao, Tiken Jah Fakoly, Oumou Sangaré, Koffi Olomidé, Bonga, les Bantous de la capitale, Bana Potopoto, Kelly Prince, Werasson et bien d’autres… Au total, 25 pays représentés, 800 artistes et quelque 3 000 participants pour un budget de 3 milliards de F CFA, financé à 95 % par le Trésor public congolais !
Reste que cette édition 2003 fut aussi marquée par un loupé de taille. Alors qu’ils devaient étroitement associer Kinshasa à la manifestation qui avait pour thème « Itinéraires et convergences des musiques traditionnelles et modernes », ses organisateurs n’ont guère réussi à faire participer la capitale du Congo démocratique à la fête. À l’exception de la tenue dans ses murs d’un symposium plutôt discret sur les instruments traditionnels, la ville est restée à l’écart. Il est vrai qu’après plusieurs années de guerre la RDC venait tout juste d’entamer sa transition !
En cette année 2005, le festival a été placé sous le signe de l’innovation et du « retour aux sources ». Si Brazzaville est resté le siège des festivités, ces dernières se sont délocalisées aussi à Pointe-Noire, la ville du pétrole, située au bord de l’océan Atlantique, et à Kinshasa, l’autre fief du ndombolo et de la rumba du Pool Malebo. Une sélection rigoureuse des invités et des partenaires a été faite. Koffi Olomidé, Baba Maal et d’autres « grands » du continent ont été conviés. Mais, pour répondre au thème « L’héritage de la musique africaine dans les Amériques et les Caraïbes », le festival a accueilli également des musiciens nord-américains, cubains et colombiens. Ces derniers se sont produits au coeur du quartier populaire de Poto-Poto, dans le stade Félix-Eboué, haut lieu historique de la capitale congolaise, tandis que les communes populaires – Talangaï, Makélékélé et Moungali – ont abrité les sites « off ». Le tout pour un coût total estimé à 4 milliards de F CFA, dont quelque 2,5 milliards de F CFA financés par le gouvernement congolais. Autre événement de cette édition 2005 : l’organisation d’un symposium sur la « route de l’esclavage » à Loango (voir ci-dessous), non loin de Pointe-Noire, l’une des portes du « non-retour » de la côte congolaise. Pour se souvenir des heures sombres de l’histoire africaine. En chantant…

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