En attendant des lendemains meilleurs

Meurtri par trois guerres civiles successives, le pays tente de mettre un point final aux crises à répétition. Accords de paix, désarmement, lutte contre la pauvreté : les gestes de bonne volonté ne manquent pas, mais ils ne sont pas toujours suivis d’eff

Publié le 25 juillet 2005 Lecture : 5 minutes.

Auparavant, le samedi était une bonne journée pour les commerçants du marché de Poto-Poto, situé au coeur de Brazzaville. Mais aujourd’hui, « ce n’est plus ça », tranche Amadou, qui a la mine des mauvais jours. « Les affaires n’ont pas vraiment redémarré depuis la fin de la guerre, en 1998 », regrette ce vendeur de vêtements et de lingerie féminine, d’origine sénégalaise. Trop de boutiques, trop de concurrence et pas assez de clients. En plus, « les policiers me coûtent près de 2 000 F CFA par jour », poursuit Amadou en baissant la voix, voyant deux hommes en uniformes s’approcher. Intarissable sur les tracasseries administratives et la présence chinoise de plus en plus importante dans la capitale congolaise, il ajoute, en colère : « On se nourrit d’espoirs pendant que les Chinois cassent les prix. On se demande comment ils font pour gagner de l’argent et payer les taxes. Moi, si je ne règle pas ma patente de 654 000 F CFA, ma boutique sera fermée. Comment voulez-vous que l’on s’en sorte ? »
L’ambiance est plus apaisée le long de l’avenue de la Paix, où se succèdent une série de magasins aux noms suffisamment évocateurs pour deviner la nationalité de leurs propriétaires. Les établissements Kito, Shanghai ou bien encore Guang Zhou Bai proposent de la vaisselle, des chaussures, des jouets, des parfums, des vêtements et du matériel hi-fi à des prix défiant toute concurrence. Les étalages sont soignés, les articles séduisants, mais les gérants chinois restent murés dans le silence du fait de la barrière de la langue et s’en remettent à leurs vendeurs pour répondre aux questions. Tous les produits viennent de Chine et les réseaux d’importation réduisent au maximum le nombre d’intermédiaires. Au comptoir, un Congolais de Kinshasa achète deux walkmans à 3 000 F CFA pour les revendre dans la rue et en tirer de quoi survivre.
À Brazzaville, les salaires moyens oscillent entre 30 000 et 40 000 F CFA, mais il faut compter au moins la moitié de cette somme pour se loger. « Le reste permet à peine de se nourrir en achetant le strict nécessaire : du riz, du manioc et un peu de poisson », confie Aimé, un chauffeur de taxi qui reste au volant de sa voiture plus de douze heures par jour pour ramener quelques poignées de CFA à sa femme et ses deux enfants. « Les fruits et la viande, c’est de temps en temps », conclut ce Congolais qui, par sagesse, s’est toujours tenu à distance du jeu politique… Mais qui ne peut s’empêcher de s’interroger sur l’utilisation des revenus pétroliers en voyant passer un cortège de Peugeot 607 toutes neuves.
Originaire du Pool, Aimé n’est pas retourné voir sa famille depuis le déclenchement des hostilités dans cette région, en 1998. « La route n’est pas encore sûre et, dans mon village, la plupart de mes biens ont été détruits. Je préfère attendre. » Ce n’est pas le chef de la mission néerlandaise de Médecins sans frontières à Brazzaville qui va le contredire. « La situation sanitaire est déplorable, aucun système de soins ne fonctionne dans la province, excepté les trois hôpitaux et les douze centres de santé auxquels nous apportons un soutien médical et logistique. Il n’y a pas d’économie locale, les populations soumises au pillage vivent dans le dénuement le plus complet et ont bien du mal à cultiver leurs champs », déclare Philippe Hamel, qui évoque aussi les conséquences psychologiques et les traumatismes liés à la guerre.
Dans ces conditions, le seul espoir réside dans les négociations entamées entre le pouvoir et la rébellion du Conseil national de la résistance (CNR), dirigée par le pasteur Ntoumi. Après avoir signé un accord de paix en mars 2003, les deux parties ont lancé une opération de démobilisation, désarmement et réinsertion (DDR) supervisée par un Comité de suivi, en janvier 2004. Mais plus d’un an après, rien ne s’est encore vraiment passé. Pire encore, un train et un convoi des Nations unies ont été attaqués en avril dernier. « Des éléments isolés que nous avons arrêtés », affirme Philippe Ané, le porte- parole du CNR à Brazzaville. « Ils ont été liquidés, estime plutôt un observateur. Dans la perspective d’élections locales, le pasteur Ntoumi veut à tout prix ramener la sécurité et afficher sa bonne volonté en direction de la communauté internationale et de la population », conclut-il. De fait, le chef rebelle a quitté la localité de Vindza, où il vivait retranché, pour entreprendre une collecte d’armes auprès de ses hommes dispersés dans la province. Il est bien difficile de savoir combien ont été ramassées, mais une chose est sûre, elles n’ont pas été détruites. « Ces armes seront brûlées lorsque nous aurons obtenu des garanties politiques », affirme Ntoumi, sans plus de précision. Son porte-parole à Brazzaville se montre plus loquace : « Nous voulons un accord global comprenant la tenue d’élections locales dans le Pool avec une candidature de notre chef, des postes au sein des institutions nationales, y compris dans les ministères, et un mécanisme pour l’intégration de nos ex-combattants dans l’armée nationale. » Rien de moins. Philippe Ané appelle cela un projet politique pour « vivre ensemble ». Avant d’ajouter : « Les armes stockées en lieu sûr sont un moyen de pression, mais les négociations doivent aboutir, car les clivages ne sont pas idéologiques. Ils portent sur des conflits de personne. » Et de conclure : « Il y a aussi une dimension alimentaire. » Voilà qui a le mérite de la franchise. Mais à l’heure des marchandages, c’est en fait l’ensemble de la classe politique qui s’agite dans la perspective des élections législatives de 2007 et du scrutin présidentiel de 2009. Un éventuel retour de l’ancien maire de Brazzaville, Bernard Kolélas, actuellement en exil au Mali, ou bien encore un rapprochement du pouvoir avec Jacques Joachim Yhombi Opango, ex-Premier ministre de Pascal Lissouba, sont autant de rumeurs alimentant la gazette congolaise.
Du côté du parti présidentiel, le débat fait toujours rage entre les refondateurs, qui souhaitent moderniser et élargir leur formation, et les conservateurs qui s’arc-boutent sur l’héritage et la mémoire de l’ancien chef d’État Marien Ngouabi, fondateur du Parti congolais du travail (PCT). « Le président Denis Sassou Nguesso compte les points, mais sifflera la fin de la récréation en fonction de ses intérêts », confie un journaliste qui rappelle que l’actuel chef de l’État s’était présenté sous la bannière de « L’Éléphant » et non pas celle du PCT lors de l’élection présidentielle en 2002. « Il pourrait bien renouveler l’expérience si le parti ne lui offre pas une assise électorale suffisamment large », conclut-il.
« Toutes ces chamailleries » ne m’intéressent guère, soupire Jacques, marchand ambulant, qui a tout perdu durant le conflit. Une opinion largement partagée dans les rues de Brazzaville. Si le Fonds monétaire international (FMI) a salué en mai dernier les efforts réalisés par le gouvernement pour lutter contre la pauvreté, si la communauté internationale souligne les progrès effectués dans l’utilisation des recettes pétrolières, les habitants espèrent une amélioration de leurs conditions de vie. Pour l’instant, entre coupures d’électricité, robinets fermés et rues défoncées, le compte n’y est pas. La situation relève même parfois de l’urgence pour les plus fragiles et les plus démunis. Gabjani, 14 ans, atteint d’une tumeur au cerveau, a perdu la vue mais pas son sourire, sur son lit d’hôpital. Il doit subir un scanner, sa famille a réuni l’argent, mais l’appareil est en panne.

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