Elle chante ? Qu’elle meure !

Passion, de Mohamed Malas (sortie à Paris le 10 août)

Publié le 25 juillet 2005 Lecture : 3 minutes.

« Une jeune femme s’est passionnée pour les chansons de la grande cantatrice égyptienne Oum Kalsoum. Cette passion suffit pour qu’elle soit soupçonnée d’être amoureuse d’un autre homme que son mari. Son frère, deux de ses cousins et son oncle décident de l’assassiner, en présence de ses trois enfants. Devant le juge d’instruction, le frère déclare : « Nous nous sommes présentés chez elle après le départ de son mari. Quand elle a ouvert la porte, nous l’avons poignardée à mort, ensuite mon oncle l’a achevée avec son pistolet. » »
C’est cet entrefilet paru le 26 septembre 2001 dans un petit journal local syrien qui a donné à Mohamed Malas l’idée de réaliser Passion. Le film raconte les derniers mois de la vie d’une femme, Imane, qui va connaître le même tragique destin que l’« héroïne » du fait divers réel. Pour raconter la genèse de cet horrible « crime d’honneur », il a transposé cette histoire à Alep en septembre 2000 et imaginé le contexte familial traditionnel qui a pu mener à un tel acte. Alep n’a pas été choisi par hasard : la deuxième ville de Syrie est connue pour son amour de la musique. Quant à septembre 2000, c’est le mois de la mort d’Hafez al-Assad et de son remplacement par son fils qui promet d’effectuer des changements dans le pays (qu’on attend toujours, comme on le sait, pour l’essentiel).
C’est sur cette toile de fond que va se dérouler la marche inconsciente vers la mort d’Imane, qui aimait tant chanter pour son plaisir et pour le bonheur des siens. Malgré des signes annonciateurs – on lui enlève la « garde » de la fille d’un de ses frères, prisonnier politique, etc. -, elle est bien incapable de deviner la cruauté des hommes de sa famille. Comment croire qu’ils puissent être tous ligués – à l’exception de son mari, attentionné et toujours amoureux après dix ans de vie conjugale – pour mettre fin au scandale que représente sa « passion » ? Mais l’engrenage est fatal. Puisqu’elle a été déjà déclarée « coupable » par son oncle ultrarigoriste, tous ses faits et gestes, désormais surveillés, plaideront forcément contre elle. Conclusion : au mieux elle est folle, au pire elle est infidèle, donc, de toute façon, elle déshonore ses parents.
Bien que jamais traité à la manière d’un polar, le film ménage un certain suspense jusqu’à son dénouement brutal. Il s’agit plutôt, cependant, de la dénonciation d’un certain état politique et social d’un pays condamné par ses dirigeants autoritaires à l’immobilisme et à l’obscurantisme. Et surtout de portraits de personnages, Imane en tête bien sûr, qui, par leur vie même, illustrent les maux dont souffre la Syrie – et tant d’autres pays arabes aussi il est vrai. D’un film avant tout « social », donc. Ce qui fait son mérite, dans la mesure où il réussit fort bien à tenir son propos par petites touches, sans pour autant verser excessivement dans le pathos. Mais aussi sa limite. Car ce film engagé ne réussit que par moments à échapper à cette pesanteur qui est la contrepartie de son parti pris scénaristique. Difficile d’être envoûté, comme Imane l’est par la musique, par un film qui dénonce plein écran une injustice tellement évidente qu’elle ne laisse place à aucune approche vraiment subtile d’une situation pourtant nécessairement complexe.
À tel point que ce film, qui comprend pourtant de très belles scènes et des moments forts, ne nous apprend finalement pas grand-chose sur ce qu’il dénonce. Dommage ! Mohamed Malas, considéré à juste titre depuis ses premiers longs-métrages de fiction (Les Rêves de la ville en 1984, La Nuit en 1992) et quelques documentaires (notamment Le Rêve en 1984) comme un des grands noms du cinéma arabe tourne, hélas ! trop peu pour qu’on puisse pronostiquer qu’il nous livrera bientôt un nouveau grand film, sur un thème traité de façon moins convenue. Espérons-le pourtant.

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