Donald Kaberuka

C’est finalement le ministre rwandais des Finances qui présidera la Banque africaine de développement à partir du 1er septembre.

Publié le 25 juillet 2005 Lecture : 6 minutes.

A 8 ans, il subit une grande injustice… À 53, il est élu président de la Banque africaine de développement (BAD) qui pèse plus de 52 milliards de dollars… Donald Kaberuka faisait partie des premiers flots de réfugiés qui avaient fui la persécution des Tutsis au Rwanda en 1959. Le 21 juillet 2005, à Tunis, il a été choisi par la majorité des soixante-dix-sept pays membres de la BAD pour diriger la Banque du 1er septembre 2005 au 31 août 2010, un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. Comment ce Rwandais inconnu il y a encore si peu sur la scène financière panafricaine et internationale s’est-il battu pour s’en sortir ? Comment a-t-il réussi à s’imposer à la BAD ? Et que va-t-il faire à la tête de la Banque la plus importante du continent ?
Aîné d’une famille de cinq enfants, Donald Kaberuka est né le 5 octobre 1951 à Byumba, à 66 km au nord de Kigali et à 30 km de la frontière ougandaise. Fuyant les premiers massacres de Tutsis en 1959, il débarque avec sa famille à Kampala. Quelques mois plus tard, son père préfère franchir le lac Victoria pour s’installer en Tanzanie. C’est à Dar es-Salaam que le jeune Donald poursuit ses études primaires, puis secondaires au lycée des garçons de Tabora et, enfin, universitaires dans la capitale tanzanienne. Il ne redouble aucune classe, au contraire il rattrapera le temps perdu. Baccalauréat en main à 18 ans, il parvient, aidé de son père, à trouver les moyens pour aller étudier l’économie à la faculté d’East Anglia, près de Norwich, en Angleterre. Une université très ouverte aux étrangers : plus de mille étudiants venus d’une centaine de pays. Donald Kaberuka figurera sur la liste des meilleurs étudiants de l’année 1980.
Un bon début qui l’amène tout droit à la licence en sciences économiques puis à un doctorat (PhD) à l’université de Glasgow, en Écosse, avant le retour à Londres en 1984. Il y trouve du travail dans la finance et les matières premières (étain, café, cacao), notamment auprès de Goldman Sachs et la Lloyd’s. Ce qui ne l’empêche pas de donner également quelques cours à l’Institut de recherches sur le développement de l’université de Sussex en tant que visiting fellow. Trois ans plus tard, il est recruté comme conseiller économique près l’Organisation interafricaine de café (OIAC) et quitte Londres pour Abidjan. « C’est là que j’ai commencé à comprendre les fragilités des économies africaines et leur forte dépendance à l’égard des prix des matières premières », explique-t-il.
Mais, à Kigali, le vent tourne. Dans le bon sens, cette fois, même si la guerre civile se termine dans un bain de sang en 1994. Sa mission à Abidjan prend fin en 1996. Marié et père d’une fille et d’un garçon, Donald Kaberuka, comme tant d’autres exilés, décide de se mettre au service de son pays. Un nouveau challenge commence avec sa nomination, en mars 1997, comme secrétaire d’État au Budget. Il y fait du bon travail – réformes fiscale et douanière, restructuration de la dette et de la Banque centrale -, du moins selon le président Paul Kagamé, qui le propulse, six mois après, à la tête du ministère des Finances et de la Planification économique. Et l’y a maintenu jusqu’à ce jour.
Un long bail qui fait de Kaberuka le détenteur du record de longévité ministérielle et lui permet, au moment où il s’apprête à partir, d’afficher un bilan impressionnant : un taux de croissance économique de 7 % à 8 % par an, des relations harmonieuses avec tous les bailleurs de fonds, une dette extérieure allégée de 1,1 milliard de dollars (90 % de la dette héritée en 1997), un plan stratégique à long terme (« Vision 2020 ») et de nombreux projets de réformes : propriété foncière, finances, nouvelles technologies, investissements…
Le voilà qui doit aujourd’hui quitter le chantier ouvert, non sans un pincement au coeur. L’idée de partir a germé il y a deux ans, mais n’a jamais été rendue publique. La question de la succession à la présidence de la BAD était posée : le Marocain Omar Kabbaj termine son second et dernier mandat en septembre 2005. Pourquoi le Rwanda ne serait-il pas candidat ? C’est un petit pays, et la BAD a toujours été gouvernée par le ressortissant d’un actionnaire minoritaire, comme le Soudan (1967-1970), la Tunisie (1970-1976), le Ghana (1976-1979), la Zambie (1980-1985), le Sénégal (1985-1995) et le Maroc (1995-2005). De surcroît, le Rwanda appartient à l’Afrique centrale, une région qui n’a jamais eu sa chance à la BAD et dispose, enfin, d’un « bon candidat » : jeune, économiste de formation et de carrière, ambitieux, compétent et parfaitement multilingue (français, anglais, swahili, kinyarwanda)… Mais pour Donald Kaberuka, tout cela ne suffit pas. Il lui faut d’abord « tâter le terrain » des électeurs, les ministres des Finances des cinquante-trois pays africains et des vingt-quatre pays non régionaux. Pendant deux ans, il mènera une campagne discrète. À la fin de 2004, il se sent confiant. Plusieurs actionnaires lui ont témoigné leur appui, sinon leur sympathie, en particulier l’Afrique du Sud (en la personne de Trevor Manuel). Idem pour les États-Unis, le Japon, l’Allemagne et plusieurs pays scandinaves. Les soutiens africains ont été, on s’en doute, plus hésitants, chacun voulant préserver sa marge de manoeuvre. Donald Kaberuka décide alors, avec les encouragements de Paul Kagamé de se lancer dans la bataille. Mais il ne dévoile son jeu qu’en février 2005, quand il dépose candidature, à quelques mois de l’échéance électorale. Seuls deux pays le parrainent : le Kenya et les Seychelles, contre sept pour le candidat du Zimbabwe, six pour celui du Gabon, cinq pour le Nigérian, trois pour le Ghanéen…
Les « bulldozers » ne prêtent pas attention à la « petite machine » rwandaise qui se met en branle. Le pays des Mille Collines met sur pied une équipe de campagne soudée de plusieurs membres de la présidence et du gouvernement, notamment Charles Murigande, le ministre des Affaires étrangères et Solina Nyirahabimana, sa collègue à la Présidence. Une autre équipe est formée au sein du ministère des Finances, composée, entre autres, de Vincent Karega, de Jean-Jacques Nyirubutama et de François Nkulikiyimfura. Elle suit les faits et gestes de tous les candidats et développe les arguments de campagne sur le thème : « la BAD peut faire plus et mieux »… Kaberuka ne tarit pas, lui, d’éloges sur la gestion d’Omar Kabbaj (nommé le 21 juillet président honoraire) et du staff de la BAD. Il met en confiance ses interlocuteurs les plus hostiles, en particulier la France, qui n’en promet pas moins de voter en sa faveur si son candidat, le Gabonais Casimir Oyé Mba, se retrouve éliminé. Promesse tenue.
Mais le Rwandais n’arrivera pas à combler son retard dans le vote africain. En effet, pour être élu, il faut une double majorité : 50,01 % des voix africaines et 50,01 % des voix africaines et non africaines réunies. Le 18 mai à Abuja, Kaberuka obtient 40,53 % des voix africaines, contre 59,46 % pour le Nigérian Olabisi Ogunjobi (voir J.A.I. n° 2323). Le vote est reporté à Tunis. Prévu pour durer deux jours (21-22 juillet), il sera terminé en moins de deux heures, le 21 juillet. Kaberuka rafle 78,82 % des suffrages (55 pays sur 77) et 68,20 % des voix africaines (30 pays sur 53). C’est le plus important score enregistré à la BAD : le Zambien Wila D. Mung’Omba l’avait emporté avec un peu plus de 50 % en 1980, le Sénégalais Babacar Ndiaye avec 63,4 % en 1985 et Omar Kabbaj avec 63,32 % en 1995.
À l’issue du scrutin, les premiers mots de Kaberuka sont pour l’Afrique : « La BAD sort renforcée de cette élection, confie-t-il à J.A.I., c’est une victoire pour l’Afrique et un démenti pour les divisions artificielles entre francophones et anglophones, entre Africains et non-Africains, entre Afrique centrale et Afrique occidentale… La sagesse a prévalu, et la BAD a donné la preuve de ses capacités à organiser les règles d’une compétition ouverte et d’un scrutin transparent. J’ai contribué à la renaissance de mon pays après la guerre, j’apporte aujourd’hui mon expérience, mon énergie à l’ensemble du continent. Je félicite le président Omar Kabbaj pour son excellent travail, et je dis au staff et à tous les partenaires de la Banque que je travaillerai en étroite collaboration avec eux. Mon ambition est de créer les conditions d’une croissance économique plus forte en Afrique, d’une mobilisation plus importante des ressources locales et extérieures ainsi que d’une action plus efficace de la Banque sur le terrain. »

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