[Tribune] Être jeune en Afrique, c’est vivre un cauchemar éveillé

Être jeune en Afrique, c’est avoir, très tôt, la sensation d’être né dans un paradis qui a parfois des allures de purgatoire, sans avoir la certitude de vivre assez vieux pour se réveiller et en sortir.

De jeunes burkinabés manifestent dans la rue contre le coup d’État du 16 septembre, à Ouagadougou © Theo Renaut/AP/SIPA

De jeunes burkinabés manifestent dans la rue contre le coup d’État du 16 septembre, à Ouagadougou © Theo Renaut/AP/SIPA

Publié le 20 février 2019 Lecture : 2 minutes.

Depuis la publication, en 2017, du très médiatisé rapport « Génération 2030 » de l’Unicef sur l’avenir démographique du continent, rien n’a changé. Les éléments de langage dont il regorgeait sont toujours paresseusement repris par les médias : la jeunesse africaine serait, d’un point de vue démographique, soit un « potentiel », soit une « catastrophe ». Une vision manichéenne dont il faudrait se départir en se penchant sur ce que cette génération éprouve.

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Être jeune en Afrique, c’est avoir, très tôt, la sensation d’être né dans un paradis qui a parfois des allures de purgatoire. C’est connaître la précarité, la faim. Pas celle qu’illustrent les clichés de l’enfant noir, les yeux exorbités et le ventre ballonné. Plutôt une faim existentielle : la faim (ou la soif) de réalisations, exacerbée par la conscience d’un potentiel sous-­exploité au mieux, inexploité au pire.

Cette faim est également renforcée par l’état de décrépitude des structures de formation

« Dès que j’ai le bac, je pars »

Cette faim est également renforcée par l’état de décrépitude des structures de formation, quand la scolarité s’apparente à un parcours du combattant. Si bien que beaucoup se donnent du courage en répétant un mantra : « Dès que j’ai le bac, je pars. » Le signe le plus criant de l’échec des politiques publiques en Afrique est cette fuite des cerveaux, symbolisée par des files interminables devant les ambassades étrangères.

Pour moi, avoir 18 ans en Afrique, c’est avoir le cerveau retourné par le discours inquisiteur des dirigeants qui ont peur de la force de leurs jeunesses : « L’école aux écoliers, la politique aux politiciens… », dit Paul Biya. Avoir 20 ans, c’est pouvoir se vanter d’avoir assimilé la très éculée formule de Kennedy : « Ne demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, demande ce que tu peux faire pour ton pays ». C’est être frustré de ne pouvoir rien revendiquer.

Avoir 35 ans, c’est être un as de la conjugaison, votre temps de prédilection étant le futur simple, indicateur infaillible d’un présent compliqué

Un horizon lointain

Avoir 30 ans dans nombre de pays d’Afrique centrale équivaut à n’avoir connu qu’un seul président ou, pour les plus chanceux, plusieurs présidents portant néanmoins le même patronyme. Avoir 35 ans, c’est être un as de la conjugaison, votre temps de prédilection étant le futur simple, indicateur infaillible d’un présent compliqué. « Nous ferons, nous améliorerons, nous transformerons… » Le tout à un horizon généralement lointain.

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Avoir 36 ans au Cameroun – tel est mon cas –, c’est halluciner quand le président annonce, à l’occasion de la fête de la jeunesse, le chiffre de 500 000 emplois créés en 2018, auxquels s’ajouteront 500 000 autres en 2019… Être jeune en Afrique, c’est vivre un cauchemar éveillé sans avoir la certitude de vivre assez vieux pour se réveiller et en sortir.

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