Crime d’un terroriste ordinaire

Verdict connu d’avance et absence de défense : le meurtrier présumé du cinéaste Theo Van Gogh et le procureur font du procès une tribune.

Publié le 25 juillet 2005 Lecture : 4 minutes.

Coran sous le bras et tête recouverte d’une sorte de keffieh : Mohammed Bouyeri, 27 ans, accusé du meurtre du cinéaste Théo Van Gogh, s’installe dans le box des accusés encadré par des policiers, le lundi 11 juillet 2005.
Theo Van Gogh, qui était aussi un polémiste très critique à l’égard de l’islam, avait été abattu et poignardé le 2 novembre 2004 dans le quartier est d’Amsterdam – le quartier le plus « multiculturel », soit dit en passant – alors qu’il se rendait comme d’habitude en bicyclette à son travail. Détail macabre, Bouyeri avait épinglé avec un couteau sur le corps de sa victime une note de cinq pages justifiant son acte à coups de citations du Coran et contenant des menaces envers d’autres personnalités.
La cour contraint le Maroco-Néerlandais à assister à son propre procès contre sa volonté. Dans l’une de ses rares déclarations, il ne reconnaît pas la légitimité de ses juges. Il a donc ordonné à son avocat, Peter Plasman, de ne pas plaider. Celui-ci se bornera, en réponse à une question du président de la cour, à confirmer… qu’il ne dira rien. Qu’importe : son client a admis et même revendiqué le crime qui lui vaut de comparaître devant la justice.
Dans ces conditions, on aurait pu s’attendre à ce que le procureur général se borne à constater l’absence du moindre doute dans cette affaire : des dizaines de témoins ont reconnu l’accusé, il a admis les faits et ne montre ni regrets ni remords. Pour un non-juriste, un réquisitoire d’une dizaine de minutes paraissait amplement suffisant.
Ce sera tout le contraire : le procureur parle pendant plusieurs heures, ne s’arrête que de temps en temps, pour boire un verre d’eau. La reconstitution des faits survenus ce fameux 2 novembre, avec projection de diapositives montrant avec un sens hallucinant du détail où fut retrouvée telle ou telle douille, où se tenait tel ou tel témoin, à quel moment – à la minute près – l’accusé a fait feu contre les policiers, etc., prend à elle seule plus de deux heures. Jamais démonstration ne parut si solide, ni si inutile.
Cependant, il y a plus dans le réquisitoire. Il s’agit non seulement d’établir sans l’ombre d’un doute la culpabilité de l’accusé, mais aussi, selon la conception néerlandaise de la justice, de se servir du procès pour mettre en garde la société en général. Ainsi, le procureur s’adresse à ceux qui seraient tentés de suivre le même chemin que Mohammed Bouyeri. « Pour tous ces jeunes, il doit être évident que le choix de l’extrémisme ne peut être la solution à leurs problèmes. Qui se détourne ainsi de la société consacre ainsi sa propre exclusion. »
Le seul fait nouveau dans le réquisitoire tient dans la constatation qu’aucune preuve de complicité dans l’assassinat de Van Gogh n’a pu être établie. Pourtant la presse avait fait ses choux gras d’un mystérieux réseau prototerroriste hâtivement baptisé « Hofstad », ce qui n’est d’ailleurs qu’un des noms de La Haye, où habitent la plupart des suspects. Douze membres présumés de ce groupe, accusés de terrorisme dans d’autres dossiers, doivent prochainement être jugés.
En conclusion, le procureur a résumé ainsi son long discours : « J’estime avoir prouvé que l’accusé a tué, seul, et avec préméditation Theo Van Gogh. Il a commis ce crime avec une intention terroriste, celle de susciter la peur au sein de la population néerlandaise et de faire vaciller la structure politique, économique et sociale des Pays-Bas. » C’est pourquoi il requiert la prison à vie contre l’accusé. Il faut noter qu’aux Pays-Bas une telle sanction pénale, très rarement prononcée, sera toujours appliquée à la lettre : elle signifie vraiment la prison à vie, sans aucune remise de peine. C’est exactement ce que souhaite le procureur : Mohammed Bouyeri, fils d’immigrés né et élevé à Amsterdam, à qui la société néerlandaise a donné toutes ses chances, « ne doit plus jamais faire partie de notre société ouverte ».
À la fin de la séance, le président du tribunal demande à Bouyeri s’il a quelque chose à ajouter. À la surprise générale, le jeune homme prend effectivement la parole pendant quelques minutes. Ce sera sa part du show. Il commence par déclarer assumer pleinement ses responsabilités et avoir agi au nom de sa religion. Par conséquent, ajoute-t-il, « je peux vous assurer que si je venais un jour à être libéré, je referais exactement la même chose ». Inconscience ou fanatisme ? De tels propos, de l’avis de tous les spécialistes, ne laissent aucun choix à la cour sinon la prison à vie, d’autant plus que le jeune homme désigne nommément ses prochaines victimes, parmi lesquelles la députée d’origine somalienne Ayan Hirshi Ali, qui avait réalisé avec Théo Van Gogh un film, Submission, très critique envers l’islam. Après le meurtre de Van Gogh, elle a dû vivre dans la clandestinité pendant plusieurs mois, ce qui d’ailleurs a ajouté un nouveau chef d’accusation envers Bouyeri : entrave au travail d’un élu du peuple…
S’adressant à la mère de Théo Van Gogh, assise à quelques mètres de lui, Bouyeri déclare : « J’ai agi par conviction, et non pas parce que je hais votre fils », ajoutant qu’elle est la seule personne devant laquelle il reconnaît une quelconque obligation. Puis il prononce ces mots extraordinaires : « Cela dit, je ne peux pas ressentir votre douleur, car vous êtes une infidèle. » L’infidèle est restée stoïque.

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