Au revoir et merci

Contrairement à certains de ses pairs, le chef de l’État a décidé de ne pas toucher à la Constitution pour rester au pouvoir.

Publié le 25 juillet 2005 Lecture : 3 minutes.

« Si vous ne quittez pas le pouvoir, il arrive un jour où le pouvoir vous quitte » : c’est par cette phrase sibylline que le président béninois Mathieu Kérékou a levé, le 11 juillet, le suspens sur sa candidature à la présidentielle de 2006. Fini donc les rumeurs d’une modification constitutionnelle qui, seule, lui aurait permis, à 72 ans, de briguer un troisième quinquennat. « Je ne vais pas réviser la Constitution pour me maintenir au pouvoir. En étant candidat à l’élection présidentielle de mars 1996, je savais ce qui m’attendait », a-t-il précisé en faisant référence aux articles 42 et 44 de la Loi fondamentale qui limitent, respectivement, à deux le nombre de mandats successifs et à 70 ans l’âge d’un candidat à la magistrature suprême.
Ainsi Kérékou n’aura pas succombé à la tentation de rester au pouvoir coûte que coûte à l’heure où certains de ses homologues africains ont, eux, modifié les textes qui ne servaient pas leurs ambitions politiques. Dès 2001, le président guinéen, Lansana Conté, a fait sauter ce verrou. Deux ans plus tard, Gnassingbé Eyadéma au Togo et Omar Bongo Ondimba au Gabon obtiennent aussi de pouvoir rester dans leur fauteuil ad vitam aeternam. Cette année, ce sont le Tchadien Idriss Déby et l’Ougandais Yoweri Museveni qui les rejoignent par la grâce d’un lifting constitutionnel. Pour l’ancien marxiste-léniniste béninois, « le Bénin est le pionnier de la démocratie en Afrique et il le sera sur toute la ligne ». Hors de question de détourner en sa faveur le vent de pluralisme politique qui a soufflé sur le continent au début des années 1990 et qui a conduit à la tenue des conférences nationales et à l’élaboration des Lois fondamentales actuellement en vigueur.
Si l’ensemble de la classe politique et de la société civile a salué la sagesse du « Caméléon », sa décision n’en a pas moins surpris. Car le silence dans lequel s’était muré Kérékou, tout occupé à la construction d’un nouveau palais présidentiel, avait été interprété par l’opinion comme une volonté de s’accrocher au pouvoir. Une impression renforcée par les récentes sorties de certains de ses proches. En avril dernier, Martin Dohou Azonhiho, l’un des caciques de l’époque révolutionnaire, évoque la nécessité de « dépoussiérer » la Constitution, adoptée selon lui « à la va-vite » lors de la Conférence nationale de 1990. Peu après, c’est au tour du conseiller économique du chef de l’État, Sébastien Azondékon, de déclarer qu’il serait moins onéreux d’autoriser le président à rester au pouvoir jusqu’en 2008, date à laquelle auraient pu être organisées les trois élections – présidentielle, législatives et communales -, normalement échelonnées sur trois ans.
Qu’est-ce qui a finalement décidé le « Caméléon », comme on appelle Kérékou, à se désolidariser de ses affidés les plus révisionnistes à huit mois du scrutin ? La levée de boucliers de la société civile, orchestrée par l’ONG Élan en 2004 autour du slogan « Touche pas à ma Constitution ! », a sans doute montré au chef de l’État que sa cote de popularité s’érodait. Alors que lui-même réalisait qu’il n’avait plus l’adhésion de l’ensemble des 80 partis de la mouvance présidentielle. « Kérékou n’aurait pas eu les moyens politiques d’obtenir une révision constitutionnelle. Une telle manoeuvre aurait nécessité de rassembler le vote, à bulletins secrets, des quatre cinquièmes des députés. Or la composition de l’Assemblée nationale et l’ambition de certains hommes politiques – comme Bruno Amoussou [ancien ministre d’État], pour qui le scrutin de 2006 constitue la dernière chance de se faire élire, à 66 ans – ne lui auraient pas permis d’atteindre cet objectif », explique un observateur politique.
En annonçant sa retraite après vingt-neuf années au pouvoir (1972-1991 et 1996-2006), le « Caméléon » espère aussi que son « courage » occultera son bilan économique mitigé ainsi que la multiplication des affaires de corruption et le clientélisme. « Il en sortira grandi », prophétise un ancien ministre.
En tout cas, le pragmatisme du chef de l’État ne va pas manquer de susciter ouvertement les convoitises. Mais qui peut combler le vide laissé par la disparition des deux personnalités politiques qui ont polarisé le pays depuis 1972, Mathieu Kérékou et son adversaire de toujours, Nicéphore Soglo, 71 ans ?

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