Salam Fayyad

Modéré et intègre, apprécié aux États-Unis, où il a résidé, et en Israël, le nouveau Premier ministre palestinien est tout désigné pour mettre fin à l’asphyxie financière responsable de l’effondrement de Gaza.

Publié le 25 juin 2007 Lecture : 5 minutes.

On le reconnaît à sa silhouette massive, à son visage lisse, charpenté, qui le fait ressembler à un Mahmoud Abbas sans moustache, ainsi qu’à son costume de bonne coupe, sa cravate de soie, ses lunettes à fine monture dorée et ses cheveux gris ras encadrant un large front dégarni. Sans parler de cette grosse serviette de cuir noire que 53 000 membres des services de sécurité palestiniens et 124 000 fonctionnaires de l’Autorité palestinienne n’ont pas quittée des yeux depuis qu’il a reçu, le 15 mars, le portefeuille des Finances dans le « gouvernement palestinien d’union ». Les troubles récents n’ont guère affecté le style de Salam Fayyad. Nommé le 15 juin Premier ministre du gouvernement de crise constitué par Mahmoud Abbas après la mutinerie de Gaza et l’éviction d’Ismaïl Haniyeh, il n’a pas endossé le battle-dress et pas davantage bouclé son holster, préférant rester fidèle à son personnage de banquier prospère, « oncle d’Amérique » idéal pour des millions d’affamés.

Né en 1952 dans un village proche de Tulkarem, sur la rive occidentale du Jourdain qui faisait alors partie de la Jordanie (son père et son grand-père avaient siégé au Parlement de la monarchie hachémite), Salam Fayyad émigre en 1967 à Amman avec toute sa famille après la guerre des Six Jours et l’annexion de la Cisjordanie par Israël. Brillant, évoluant dans un milieu aisé, il décroche un diplôme d’ingénierie à l’Université américaine de Beyrouth, puis un doctorat d’économie et une maîtrise en comptabilité à l’Université du Texas, à Austin, aux États-Unis.
Après quelques années dans l’enseignement et la recherche en Jordanie, le jeune homme va s’installer en Amérique. De 1987 à 1995, virtuose du billet vert, il se fait remarquer par ses collègues de la Banque mondiale de Washington où ses aptitudes professionnelles le promettent, semble-t-il, à une belle carrière. Mais les accords d’Oslo, signés en 1993 entre Arafat et Rabin sous l’égide du président Clinton, incitent les exilés palestiniens à réintégrer leur pays. Fayyad se sent coupable de « siroter ses cocktails sur le Potomac » et veut mettre ses compétences au service de l’espérance de paix. Il décide donc de « rentrer à la maison », d’abord comme représentant du Fonds monétaire international (FMI) à Jérusalem (de 1995 à 2001), ce qui lui donne notamment l’occasion de superviser les réformes financières de l’Autorité palestinienne, puis comme PDG de l’Arab Bank – la principale banque du Moyen-Orient – pour la Cisjordanie.

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Son choix est fait : il sacrifiera sa tranquillité, son confort et ses revenus de banquier à la cause d’un peuple qui semble devoir enfin accéder à l’indépendance. Ironie du destin : Fayyad rend visite à Arafat, dans son bureau présidentiel de la Mouqataa, à l’instant même de la ruée des troupes israéliennes sur le QG palestinien. C’est traîné sur le sol par des gardes, la cravate en bataille et pour une fois privé de sa déjà célèbre mallette que le futur ministre entend sonner la fin de l’alerte. Refusant d’être évacué, il se réfugiera pendant plusieurs jours dans la chambre de l’indomptable leader au keffieh !
En dépit des circonstances rocambolesques de son entrée en politique, Fayyad n’oublie pas le message qu’il est venu délivrer à Arafat : « L’occupation ne justifie en rien la mauvaise gouvernance. » C’est donc tout à la fois en réformateur et en gestionnaire que Fayyad s’empare des finances palestiniennes quand Arafat, cédant aux pressions de la Maison Blanche, est contraint de créer un nouveau ministère qu’il confie à l’ex-banquier. La mission de celui-ci est simple à définir, sinon à remplir : il s’agit de mettre les finances de l’Autorité palestinienne aux normes internationales. Dans un objectif de transparence, Fayyad publie sur Internet les actifs de l’OLP, les informations sur les investissements palestiniens et la liste des comptes courants détenus par les responsables de l’Autorité. Il met fin aux délégations de signature douteuses, efface les listes de clientèles. Bref, c’est une bombe qui fait de nombreuses victimes parmi les corrompus de l’entourage du leader palestinien.
L’efficacité de son action pour démêler l’écheveau du système financier palestinien, la pertinence de ses analyses, son charisme et ce côté « réglo » que les Américains aiment tant ouvrent à Fayyad toutes les portes : il devient l’icône du « bon Palestinien », le factotum en Cisjordanie du Saoudien le prince Bandar, le « chouchou de Condoleezza », le familier du président Bush qui s’isole avec lui pour lui parler football. Quand on ne croise pas Fayyad à l’American Colony, à la table de Tzipi Livni, ministre israélienne des Affaires étrangères, on le rencontre « de l’autre côté », à Jérusalem-Ouest, sur la terrasse de l’hôtel King David. Il est même invité en 2005 au mariage de la fille de Dov Weisglass, le chef de cabinet de Sharon, en présence du Premier ministre israélien ! Pour la première fois, grâce à lui, tant les Israéliens que les Américains et les donateurs européens peuvent désormais contrôler que les fonds reçus par la Palestine ne glissent pas aussitôt vers les caisses des réseaux terroristes.
Voilà qui ne sera pas sans importance pour la suite, même si la victoire des intégristes du Hamas aux élections législatives de janvier 2006 est d’abord venue jeter une ombre sur la success story de Salam Fayyad. Celui qui avait cru, en acceptant le « job » de ministre des Finances de la Palestine, que ses anciens amis de Washington, de Bruxelles ou de Tel-Aviv continueraient à lui être fidèles s’est en effet heurté à un mur de glace quand il a plaidé en faveur de la levée du boycottage infligé par Israël et les Occidentaux au gouvernement palestinien.
Le simple fait de siéger avec le Hamas l’a transformé en pestiféré, l’obligeant à négocier sou par sou le versement par Israël des taxes dues à la Palestine pour payer les salaires de ses fonctionnaires exsangues. Fayyad s’est bien époumoné à réclamer les fonds dont son pays a un besoin vital, mais le Hamas rend décidément sourds les Occidentaux.

En « libérant » son gouvernement de la présence des islamistes, fût-ce au prix d’une dissidence meurtrière qui hypothèque l’avenir de son pays, Mahmoud Abbas tente un dernier pari. Avec l’appui du nouveau Premier ministre – le seul membre de son équipe qui dispose encore de la confiance de ces partenaires pas comme les autres que sont, pour la Palestine, Israël et les États-Unis -, il espère mettre fin à une asphyxie financière qu’il juge en grande partie responsable de l’effondrement de Gaza. Salam Fayyad a déjà fait passer son message à tous ses concitoyens : « Nous avons les capacités, le niveau d’éducation et le talent pour bâtir une économie prospère et une démocratie forte. » Pourquoi sacrifieraient-ils ces dernières en prêtant l’oreille aux sirènes du Hamas ?

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