Qui est vraiment Soumaré ?

En nommant comme Premier ministre un technocrate pur jus, le chef de l’État a créé la surprise. Mais surtout apaisé la guerre, déjà ouverte, pour sa succession.

Publié le 25 juin 2007 Lecture : 5 minutes.

Le tout-Dakar bruissait de rumeurs et de conjectures sur l’identité du Premier ministre au lendemain de la réélection le 25 février du chef de l’État, Abdoulaye Wade. Tous les pronostics ont été déjoués. En annonçant, le 19 juin, la composition de l’équipe qui succède à celle de Macky Sall, démissionnaire après la proclamation des résultats des élections législatives du 3 juin, Wade a surpris son monde. Alors que plusieurs noms circulaient, le président a jeté son dévolu sur un technocrate pur jus pour diriger le gouvernement.
Jusqu’ici ministre délégué auprès du ministre de l’Économie et des Finances, chargé du Budget, Cheikh Hadjibou Soumaré, 56 ans, est le nouveau locataire de la « Maison militaire », ce bâtiment colonial d’un blanc immaculé qui fait face au palais présidentiel et abrite la primature. Il prend place dans un bureau peint en jaune qui, bien qu’occupé par Macky Sall depuis avril 2004, reste hanté par le fantôme d’Idrissa Seck, chef du gouvernement de novembre 2002 à avril 2004. Le siège a beau être éjectable (cinq personnes s’y sont succédé depuis l’avènement de Wade, en mars 2000), il a été âprement disputé.
Sans coloration politique, Cheikh Hadjibou Soumaré, qui, jusqu’ici, n’a jamais eu d’autre ambition que de gérer en technicien la santé financière de l’État, est apparu comme une solution par défaut. Plusieurs noms ont en effet circulé dans les couloirs du palais présidentiel de l’avenue Léopold-Sédar-Senghor au cours de ces dernières semaines. D’abord, celui du sortant, Macky Sall. Mais le bénéficiaire du bail le plus long à la « Maison militaire » a été finalement délogé. Sans doute a-t-il pâti de la guerre de succession, de plus en plus ouverte, qui l’oppose, par médias et proches interposés, au fils et conseiller du chef de l’État, Karim Wade. Alors que ce dernier constituait, il n’y a encore pas si longtemps, son principal soutien au palais, Sall n’a pas pu survivre au choc de leurs intérêts (politiques) respectifs.

En guise de lot de consolation, le désormais ex-Premier ministre a atterri au perchoir de l’Assemblée nationale, en passe de devenir une véritable voie de garage après la très probable réforme qui devrait substituer le président du Sénat à celui de l’Assemblée nationale dans le rôle de dauphin constitutionnel. Il n’était pas acquis, loin s’en faut, que Macky Sall se retrouvât à la tête des députés. De source proche de la direction du Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir), le palais a tenu, dès son limogeage, à indiquer aux parlementaires nouvellement élus sous la bannière du PDS qu’aucune consigne de vote n’avait été donnée pour la désignation du président de l’Assemblée. Incident révélateur de sa subite disgrâce, le 19 juin, Sall, qui devait prendre part à une réunion du comité directeur du PDS, a été retenu à la porte du palais par un gendarme par trop pressé de le fouiller. « Je vous emmerde, vous et celui qui vous a donné ces ordres », s’est-il emporté avant de bouder la rencontre.
La victoire de la « Génération du concret » (association fondée par Karim Wade) sur le « camp » de Sall se reflète nettement sur la composition de la nouvelle équipe gouvernementale. Alors que les proches de ce dernier comme Aliou Sow (Jeunesse) et Aïda Mbodj (Femme, Famille et Solidarité nationale) ont été éjectés, onze des trente-quatre ministres appartiennent, peu ou prou, au cercle du fils du président : Hamath Sall (Développement rural et Agriculture), Ibrahima Sarr (Budget), Mamadou Lamine Keïta (Jeunesse et Emploi)…
Pour diriger la nouvelle cordée, Wade a tour à tour pensé aux ministres de l’Éducation nationale, Moustapha Sourang, des Infrastructures et des Transports terrestres, Habib Sy, des Affaires étrangères, Cheikh Tidiane Gadio Avant de revenir à une idée qu’il avait mise en uvre au cours de son premier mandat (avec Mame Madior Boye, de mars 2001 à novembre 2002) et qu’il a plusieurs fois agitée : nommer une femme à la tête du gouvernement.

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Dès la deuxième semaine de juin, les hypothèses Aminata Niane (directrice de l’Agence nationale de promotion des investissements et des grands travaux) et Aminata Tall (ex-ministre d’État et maire de Diourbel) ont été successivement examinées. Présidente du Conseil constitutionnel, Mireille Ndiaye, elle, aurait même été consultée. Mais elle a hésité, sous la pression de ses enfants soucieux de ne pas la voir finir dans l’estomac des crocodiles du marigot politique sénégalais.
Place donc à Cheikh Hadjibou Soumaré, inspecteur du Trésor, produit de l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam). Après avoir débuté sa carrière comme percepteur dans différentes villes du pays (Kaolack, Sédhiou, Bambey), il a gravi tous les échelons pour se retrouver directeur général des finances, le 1er août 2000. Entre-temps, Soumaré était passé par les postes de chef de division des statistiques de finances publiques, de chef du service de la monnaie et du crédit, de conseiller technique du ministère des Finances, et de directeur du Budget. Cette carrière dans l’administration financière publique n’a été interrompue que de septembre 1991 à septembre 1995, quand il a exercé la fonction d’administrateur provisoire de la Banque du crédit et du commerce international (BCCI-Sénégal).
Devenu ministre délégué du Budget le 23 mai 2001, Soumaré était, jusqu’à sa nomination à la primature, avant-dernier du gouvernement dans l’ordre protocolaire. Subitement hissé au sommet, il est appelé à jouer le rôle du plus petit dénominateur commun au cours de ce dernier mandat de Wade, paramètre qui suscite déjà des querelles de succession. Au Budget pendant six ans, et ce malgré plusieurs remaniements ministériels, il connaît suffisamment le système de l’intérieur pour savoir où mettre les pieds.
Bien que technocrate, Soumaré, vrai timide mais faux doux, est loin d’être naïf. Il lui a fallu de la ressource pour échapper, lui l’ordonnateur des dépenses consacrées aux chantiers de Thiès, à l’accusation de malversations qui a conduit Idrissa Seck en prison, en juillet 2005. Et il a dû user, avec son ministre de tutelle Abdoulaye Diop (détenteur du portefeuille de l’Économie et des Finances), d’une véritable capacité de persuasion pour sauver sa tête, que toute l’opinion réclamait.

Afin de se rapprocher de Wade, Soumaré s’est montré, ces dernières années, beaucoup plus flexible qu’Abdoulaye Diop, ministre intransigeant qui n’hésitait pas à discuter les projets budgétivores du président. Mais le nouveau chef du gouvernement, sans doute l’un des meilleurs connaisseurs de l’économie sénégalaise, est aujourd’hui contraint de fermer les vannes. Des dérapages ont récemment obligé l’État à recourir à un emprunt obligataire de 50 milliards de F CFA (76,2 millions d’euros) pour pouvoir absorber des arriérés de dette intérieure.

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