Le testament de Konaré

Pour le président de la Commission, qui a décidé de ne pas briguer un second mandat, le sommet d’Accra, prévu début juillet, sonne comme l’heure du bilan. Mais aussi comme un plaidoyer pour un meilleur fonctionnement de l’organisation. Sera-t-il entendu ?

Publié le 25 juin 2007 Lecture : 5 minutes.

Qu’il quitte la présidence de la Commission de l’Union africaine (UA) au terme de son mandat prévu à la fin du sommet d’Accra qui se tiendra du 1er au 3 juillet, ou qu’il y reste encore quelque temps, sous la pression des chefs d’État, Alpha Oumar Konaré, 61 ans, veut laisser à son successeur la maison en ordre. Il y a un an, le 1er juillet 2006 à Banjul, l’ancien président malien, qu’on sait fier et courageux, annonçait qu’il ne briguerait pas de second mandat. Depuis son élection le 10 juillet 2003, il a tenté de contourner les obstacles, les contrariétés, les vexations, l’impuissance De guerre lasse, il a préféré rendre son tablier pour rester fidèle à lui-même et à l’idée qu’il se fait de l’Afrique. Non sans avoir au préalable atteint quelques-uns des objectifs qu’il s’était fixés.

Il lui fallait, tout d’abord, donner à l’Union un siège digne de ses ambitions, en lieu et place de celui hérité de la défunte Organisation de l’unité africaine (OUA) à Addis-Abeba, l’une des capitales les moins accessibles à tous points de vue et qui abritent l’un des régimes les plus controversés sur le plan démocratique. Le 25 mai, journée mondiale de l’Afrique – tout un symbole -, Konaré a posé, en compagnie du président en exercice de l’UA, le Ghanéen John Agyekum Kufuor, la première pierre d’un bâtiment ultramoderne qui devrait voir le jour d’ici à trois ans. Les maquettes du futur siège, réalisé par les Chinois pour un montant de 150 millions de dollars, seront présentées à Accra lors du sommet.
Ces changements « de façade » suffisent-ils pour autant à rendre « l’exécutif plus fort et plus responsable », comme l’avait lui-même écrit Konaré dans la feuille de route qu’il s’était imposée et qu’il avait présentée aux chefs d’État en juillet 2004 ? Non, évidemment. Et le président de la Commission le sait. Les nombreux blocages auxquels il a dû faire face lors de son mandat ont finalement eu raison de sa détermination et de son enthousiasme. S’il a lui-même pris la décision de rendre son tablier, il n’en a pas moins élaboré un projet de réforme de la Commission. À charge pour les dirigeants réunis dans la capitale ghanéenne de se prononcer.

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Pour améliorer le fonctionnement de l’exécutif panafricain, Konaré suggère que son chef soit élu pour un seul et unique mandat de sept ans, au lieu d’un renouvelable tous les quatre ans. Le président bénéficierait ainsi de plus de temps pour s’habituer au fonctionnement des institutions et ne consacrerait pas la fin de son septennat à son éventuelle réélection. Plus important encore, « Alpha » souhaiterait que le chef ait son mot à dire sur la nomination de ses commissaires ainsi que sur l’attribution des portefeuilles. L’équipe de Konaré – première Commission d’une Union encore jeune – a en effet été nommée directement par les pays membres, et son président n’a jamais eu l’ascendant sur ses collaborateurs, encore moins sur le vice-président qui tient, de par la définition de son poste, les cordons de la bourse. Selon Konaré, si le président ne dispose d’aucune autorité, la Commission ne pourra pas devenir le réel exécutif continental qu’il appelle de ses vux. Ses ex-pairs ont-ils, eux, réellement la volonté de renforcer cet organe ? De la réponse à cette interrogation dépendra, pour beaucoup, la marque que Konaré laissera dans l’histoire de l’UA.
Autre sujet d’importance à l’ordre du jour : les États-Unis d’Afrique, jusqu’ici serpent de mer. Sur ce dossier, les débats promettent d’être animés, et « Alpha » devrait jouer les arbitres entre ceux qui y sont favorables, tels le Libyen Mouammar Kadhafi ou le Sénégalais Abdoulaye Wade, et ceux qui souscrivent plutôt à l’idée d’un gouvernement de l’Union (étape intermédiaire avant la mise en place des États-Unis d’Afrique). Lors du précédent sommet organisé à Addis-Abeba en janvier dernier, les membres de l’UA avaient expédié le dossier, faute d’avoir pu trouver un terrain d’entente. Konaré avait toutefois obtenu, en guise de lot de consolation, l’adoption de la Charte africaine des droits de l’homme, de la démocratie et de la bonne gouvernance qui consacre le caractère fondamental des processus électoraux libres et transparents, ainsi que la limitation des révisions constitutionnelles.

Ce sont justement ces questions délicates qui ont fait de lui un premier président de la Commission si présent. Agaçant, « donneur de leçons », l’ancien professeur s’est parfois attiré les foudres des chefs d’État du continent, peu enclins à se faire taper sur les doigts. La place trop importante qu’il a voulu occuper lui a également valu de cinglants désaveux. En juin 2005, il a nommé un médiateur dans la crise togolaise et s’est fait remettre à sa place par le Nigérian Olusegun Obasanjo, alors président en exercice, qui n’a pas apprécié une initiative jugée trop personnelle.
Son engagement en faveur de certains principes et sa dévotion à l’UA lui ont permis de s’attirer, en revanche, les bonnes grâces des partenaires de l’organisation. Les États-Unis et l’Union européenne le considèrent comme un interlocuteur fondamental. Les premiers ont nommé récemment, pour la première fois, un ambassadeur accrédité uniquement à l’UA, tandis que la seconde a institué un partenariat de proximité avec l’organisation et prépare avec elle une stratégie Europe-Afrique. C’est par l’intermédiaire de l’UA – et en particulier son département Paix et Sécurité – que se font dorénavant les négociations entre bailleurs de fonds et pays en crise, comme, par exemple, au Darfour. Konaré est parvenu à donner à l’organisation un visage bien différent de celui de l’OUA, longtemps perçue comme une étrange institution de chefs africains.
Le défi n’était pas mince, mais il a su le relever. En partie tout du moins. Konaré avait réclamé 600 millions de dollars de budget annuel pour l’organisation. Ce dernier est passé de 40 millions au temps de l’OUA, à seulement 70 millions aujourd’hui, une somme qui permet à peine de couvrir les frais de fonctionnement. Il avait réclamé davantage de fonctionnaires compétents. Au moins deux cents manquent à l’appel. Il avait voulu faire décoller les économies africaines. Le Nepad, bras économique de l’UA, est (presque) au point mort. Il souhaitait favoriser la coopération entre les sous-régions. Les niveaux de développement de celles-ci n’ont jamais été aussi inégaux. Quant à la « vision partagée » du continent, le sommet d’Accra permettra de voir si, enfin, les 53 chefs d’État sont sur la même longueur d’onde et ont envie de suivre le même chemin. Ce qu’on sait déjà être une gageure, tant les différences de conception sont grandes entre, par exemple, Thabo Mbeki et Mouammar Kadhafi.

Mais le plus urgent pour les « 53 » est de trouver un successeur à Konaré, qui devra prolonger sa mission si personne ne se porte candidat avant la fin du sommet d’Accra. L’ancien président malien n’est pourtant pas le seul Africain capable de mener le bateau gîtant de la Commission. Mais il a tant façonné le poste à son image, tant essayé de rappeler aux chefs d’État qu’il n’y a pas si longtemps il était l’un des leurs, qu’aujourd’hui la question se pose, lancinante, de savoir qui pourrait le remplacer. Le nom de son successeur, qu’il s’agisse d’un ancien chef d’État ou bien d’un technicien davantage chargé de gérer le quotidien du navire que de lui donner son cap, constituera, lui aussi, une partie du bilan d’Alpha Oumar Konaré.

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