Le Nigeria de Yar’Adua

En quête de légitimité, le nouveau chef de l’État prend position sur tous les dossiers brûlants. Sans réellement convaincre.

Publié le 25 juin 2007 Lecture : 6 minutes.

Regards et sourires bienveillants, Umaru Yar’Adua et Jonathan Goodluck posent sur de gigantesques affiches placardées le long des artères congestionnées de Lagos. « Forward ever, backward never » (« Toujours en avant, jamais en arrière »), assure le slogan en lettres jaunes. Pris dans le piège quotidien des embouteillages qui enflent sous une pluie battante, les automobilistes irritables se fichent de cette promesse comme des vendeurs de camelote en tout genre qui les importunent.
Deux mois après leur élection, le 21 avril, au cours d’une parodie sanglante de démocratie – près de 200 morts ont été dénombrés, le bourrage des urnes et l’intimidation des électeurs dénoncés -, le président et le vice-président du Nigeria sont encore en quête d’une légitimité que les urnes ne leur ont pas donnée. Toutes les ficelles sont bonnes pour plaire aux quinze millions de Lagosians, qui, en une journée, peuvent perdre jusqu’à six heures de leur temps dans les embouteillages. L’élection est passée, mais c’est un peu comme si le successeur d’Olusegun Obasanjo et son numéro deux étaient toujours en campagne.
« Voter ? Pourquoi je serais allé voter ? Le résultat était connu d’avance », se demande encore Femi, un journaliste de 45 ans qui vient de perdre son emploi et tente de faire vivre ses deux enfants à l’aide de petits boulots. À 58,01 %, le taux de participation du 21 avril – que la Commission électorale a tardé à dévoiler – a été nettement plus faible que lors du scrutin présidentiel de 2003 (69,1 %). Et pourtant, pour la première fois dans l’histoire de la fédération, le pouvoir se transmettait d’un civil à un autre.

Au lendemain comme à la veille de l’élection, les Nigérians ne sont pas dupes : anonymes ou big men, ces hommes d’affaires qui affichent leur réussite dans des costumes impeccables et d’imposants 4×4, chacun admet que Yar’Adua a été placé à Aso Rock par le président sortant Olusegun Obasanjo. Dans le pays, tout le monde s’accorde à dire que, la fin de son second mandat approchant, ce dernier s’est accroché au pouvoir et a trouvé un dauphin qu’il espère docile pour continuer à tirer les ficelles. Dans les quotidiens, la photo du nouveau chef de l’État est d’ailleurs toujours accompagnée de celle, tutélaire, de son prédécesseur. Parfois, les activités de l’ex-président font même la une. « Obasanjo back to School », annonce une manchette montrant la photo d’un candide « Baba » (l’un des surnoms d’Obasanjo), un livre sous le bras. Le nouveau retraité s’est inscrit en faculté de théologie pour occuper ses vieux jours
À côté des nostalgiques d’Obasanjo qui lui savent gré d’avoir sorti le pays de la spirale des dictatures militaires, d’autres créditent toutefois son successeur de qualités rarement reconnues aux politiciens de la fédération. D’abord, Yar’Adua, ancien professeur de chimie, n’est pas un général, mais un « diplômé », soulignent les Nigérians. Dans un pays dirigé pendant vingt-huit ans par des chefs en kaki aussi prompts à user de la matraque que du bulletin de vote, c’est loin d’être un détail. « Yar’Adua est honnête, ajoute David, chercheur en sciences politiques et spécialiste de la corruption. Avec celui de l’État de Zamfara, il est le seul gouverneur à avoir déclaré son patrimoine. Obasanjo ne l’a pas fait ! » Conformément à une règle tacite voulant que la présidence, après avoir été pendant huit ans entre les mains d’un chrétien du Sud, revienne à un musulman du Nord (et inversement pour la vice-présidence), Yar’Adua est originaire d’un État du Nord, celui de Katsina, dont il a été gouverneur. Il y a laissé des finances excédentaires et le souvenir d’un homme modeste. « Sa vie est simple, ce n’est pas une série de gaspillages et d’intrigues, poursuit David. Il est rigoureux. » Le restera-t-il ? « Ce n’est pas parce qu’un président est propre que son gouvernement ne sera pas corrompu, prévient le chercheur. Car ici, pour maîtriser les politiciens, il faut une personnalité forte. »
Et le charisme du nouveau chef de l’État ne s’impose pas au premier coup d’il. Sa réputation est celle d’un homme discret, timide, voire falot. « Il est trop faible, il ne réussira pas à s’imposer et à s’émanciper d’Obasanjo », assure un observateur qui préfère garder l’anonymat. D’un côté, le poulain doit remercier, par un maroquin dans un gouvernement qui peine à voir le jour ou quelque poste en vue dans l’administration, les gouverneurs membres du People’s Democratic Party (PDP), au pouvoir, forcés par Obasanjo d’accepter sa candidature. D’un autre, le président mal élu doit faire taire une opposition persuadée que la victoire lui a été volée Pour Francis, Béninois d’une cinquantaine d’années qui regarde se succéder les chefs d’État nigérians depuis qu’il est arrivé à Lagos, en 1978, Yar’Adua saura se tirer d’affaire : « Il est président et il a tous les pouvoirs. Méfiez-vous, il vous réserve des surprises ! »

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Pour faire mentir sa réputation, l’ancien professeur s’est glissé dans ses habits de président dès le lendemain de son investiture, le 29 mai. Effets de boubou ou volontarisme, il s’est agité sur la scène politique en s’exprimant sur tous les sujets brûlants. La crise dans le Delta du Niger qui fait fuir les investisseurs étrangers et baisser la production pétrolière (de 25 % en 2006) ? Il sollicite le concours de l’ONU. La corruption en col blanc qui prive les Nigérians de recettes considérables ? Tolérance zéro, aucun des gouverneurs sortants ne doit être épargné par la Commission des crimes économiques et financiers (EFCC). La grogne de l’opposition ? Le gouvernement sera « de large ouverture ». Sur la scène internationale aussi, Yar’Adua fait mine de s’affirmer : il se montre au sommet du G8, s’entretient avec Ban Ki-moon, le secrétaire général de l’ONU, et impose ainsi au reste du monde le Nigeria comme puissance incontournable du continent.
Finalement, la mise en scène des premiers pas du jeune Yar’Adua (il n’a que 55 ans) n’intéresse que les médias et les politiciens. Le quidam de Lagos, lui, a l’esprit ailleurs. Dans ce capharnaüm où l’essentiel de la population vit de l’économie informelle – commerce de rue, racket des automobilistes, mendicité – et en dessous du seuil de pauvreté, il pense à sa survie quotidienne. Il subit de plein fouet l’augmentation par Obasanjo, quelques jours avant de rendre le pouvoir, des prix de l’essence à la pompe de 15 % et le doublement de la TVA, passée de 5 % à 10 %. Il se résigne à faire plusieurs heures de queue aux stations-service – car, dans le premier pays pétrolier d’Afrique, les quatre raffineries ne fonctionnent qu’à 30 % de leurs capacités
Les syndicats, eux, sont partis au combat la fleur au fusil : le 18 juin, le Nigerian Labour Congress (NLC) et le Trade Union Congress (TUC), les deux principales centrales du pays, ont appelé à « une grève illimitée ». Les organisations du secteur pétrolier ont agité la même menace, faisant craindre aux majors un arrêt de la production. Le nerf de la guerre mis en péril, le gouvernement a reculé : le 18 juin, la hausse de la TVA était finalement suspendue et celle des prix de l’essence, diminuée de moitié. Abuja s’engageait aussi à appliquer la hausse générale des salaires de 15 %, promise en janvier dernier mais restée lettre morte.
Rien n’y a fait, le mot d’ordre était maintenu et suivi, augmentant la pénurie de carburant, perturbant l’activité économique et contrariant Yar’Adua qui cherche par tous les moyens à soigner les multinationales, les compagnies pétrolières en premier lieu. Quinze jours avant d’être investi, il recevait tout ce que le pays compte d’opérateurs étrangers et annonçait que ses première, deuxième et troisième priorités étaient « l’économie ». Avec le même pragmatisme que les Nigérians, un participant concluait : « Il a été mal élu, mais il n’est pas pire que ses adversaires. »

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