« L’affaire Borrel ne nous concerne pas ! »

Publié le 25 juin 2007 Lecture : 4 minutes.

Djibouti somnole dans la moiteur de ce début d’été. Affolé par l’arrivée précoce du Khamsin, ce vent chaud venu du désert égyptien, le thermomètre frôle les 45 °C. Le 27 juin, le pays fêtera en grande pompe le 30e anniversaire de son indépendance, mais l’événement n’aura peut-être pas le retentissement international espéré. À cause de « l’affaire ».
L’affaire Borrel, bien sûr, du nom de ce juge français retrouvé mort au fond d’un ravin, en face de la bien nommée île du Diable, à 80 km de Djibouti, par un matin d’octobre 1995. Après avoir longtemps privilégié la thèse du suicide par immolation, la justice française penche désormais pour celle de l’assassinat. Élisabeth Borrel, qui n’a jamais cru que son mari se soit donné la mort, est convaincue de l’implication des autorités djiboutiennes et accuse l’ancien président Jacques Chirac d’avoir voulu étouffer le scandale au nom de la raison d’État.
En marge d’un long entretien que nous publierons en intégralité dans notre prochaine édition, Ismaïl Omar Guelleh, le président de la République de Djibouti, répond à nos questions sur cette affaire qui empoisonne ses relations avec la France.

Jeune Afrique : L’enquête sur la mort du juge Borrel s’accélère. À Paris, Jean-Claude Marin, le procureur de la République, a annoncé le 19 juin que la justice retenait désormais la thèse de l’homicide, et non plus celle du suicide…
Ismaïl Omar Guelleh : Je l’ai dit et le répète, il s’agit d’une affaire franco-française. Les Français ont avancé la thèse du suicide, puis celle de l’assassinat, cela les regarde, ce sont eux qui mènent la danse. J’ai l’impression que, dans cette affaire, l’opinion française cherche un bouc émissaire africain, un dirigeant de préférence. Comme si les Africains étaient tous des truands. Comme si nous avions pour habitude de tuer nos invités ou de perpétrer des assassinats politiques !
Les magistrats français sont juges et parties, puisque le Syndicat de la magistrature est partie civile dans cette affaire, sans que cela émeuve personne. Les médias français sont terrorisés et reprennent sans discuter la thèse véhiculée par la partie civile. Pourtant, il n’y a pas le moindre début de mobile crédible. Tout ça repose sur les déclarations de soi-disant « témoins » qui se sont emparés de cette histoire pour raconter des fables et obtenir de la Belgique l’asile politique auquel ils n’avaient pas droit. C’est leur procès, leur pays, leurs histoires, cela ne nous intéresse et ne nous regarde pas.

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Des pièces saisies lors des perquisitions du mois d’avril aux ministères de la Justice et des Affaires étrangères indiqueraient que les autorités françaises vous auraient suggéré de déposer un recours contre la France devant la Cour internationale de justice, afin de contraindre la juge Sophie Clément à transmettre le dossier d’instruction à la justice djiboutienne
Comme si nous étions des enfants ou des mineurs qui avions besoin qu’un Blanc nous tienne par la main ! Trente ou cinquante ans après les indépendances, on continue à considérer les Africains comme de grands enfants. Il est vraiment malheureux que les Européens n’arrivent pas à se défaire de leur complexe de colonisateurs.
Regardez, hier encore [le 20 juin, NDLR], comment Denis Sassou Nguesso et Omar Bongo Ondimba, les présidents congolais et gabonais, ont été traînés dans la boue par les médias français parce qu’ils ont acheté des propriétés en France avec de l’argent soi-disant mal acquis. On découvre que ces propriétés ne sont pas à leur nom ? Peu importe, elles sont au nom de leurs proches, alors, c’est du recel. Mais qu’est-ce que c’est que cette logique ? À côté de ça, tout le monde feint d’oublier que les puissances coloniales ont pillé l’Afrique pendant des générations, en toute impunité. Et qu’à bien des égards ce pillage des ressources naturelles continue.

Le président Nicolas Sarkozy a reçu Élisabeth Borrel le 19 juin à l’Élysée. Il lui a promis de prendre connaissance des documents classifiés concernant la mort de son mari, afin, éventuellement, de les transmettre à la justice
Il voulait peut-être faire plaisir à l’une de ses compatriotes qui se plaignait de n’avoir jamais été reçue par son prédécesseur et se disait victime d’un déni de justice. C’est son affaire. À Djibouti, nous ne nous mêlons pas des affaires des autres et n’aimons pas qu’on se mêle des nôtres.

Vous étiez proche de Jacques Chirac. Avez-vous eu des contacts avec son successeur ou son entourage ? Qu’attendez-vous de lui ?
Avec son entourage oui, avec lui, pas encore. Nous n’avons pas d’a priori, nous entretenons des relations d’État à État avec la France et souhaitons maintenir de bonnes relations avec Sarkozy, comme avec Giscard, Mitterrand et Chirac avant lui.

L’affaire Borrel peut-elle affecter la « relation particulière » entre Djibouti et la France ?
À vous entendre, on a l’impression que la France a peur de Djibouti ! Nous disposons d’une position stratégique ? Mais cela ne date pas d’hier. Nous n’avons aucune espèce d’ascendant sur la politique française. La France est à Djibouti de son plein gré, nous avons accepté cette présence et avons signé une convention. Si les termes de cette convention ne nous intéressent plus, nous la dénoncerons. Et les Français feront de même. Mais nous n’en sommes pas encore là, du moins de notre côté.

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