RDC : Joseph Kabila, cartes sur table

Désormais sûr de lui, le président parle sans détour de Bemba, de la guerre à l’Est, de la corruption, des mobutistes et de Sankara.

Joseph Kabila, le président de la RDC. © Gwenn Dubourthoumieu/J.A.

Joseph Kabila, le président de la RDC. © Gwenn Dubourthoumieu/J.A.

Publié le 25 juin 2007 Lecture : 21 minutes.

Cité de l’Union africaine, quartier du mont Ngaliema, Kinshasa, mardi 12 juin en début de matinée. Joseph Kabila, 36 ans, reçoit Jeune Afrique pour sa première grande interview depuis le début de l’année. La veille encore, il portait au menton la barbe naissante des jeunes sages, qu’il lui arrive de laisser pousser. Mais c’est rasé de près, en costume taillé sur mesure, qu’apparaît le président congolais. Lisse, net, presque impénétrable.

Sur son bureau, qui fut celui de son père assassiné en 2001, un ordinateur, un dictionnaire anglais-français, des dossiers aux couleurs de la République, un livre d’art sur la Turquie et, derrière, posée sur une étagère, une photo de lui-même avec Jacques Chirac sur le perron de l’Élysée. Fauteuils de cuir moutarde,
tapis orientaux. L’ensemble est clair, impersonnel, un rien kitsch.

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À l’écouter parler de sa voix à la fois adolescente et métallique, dans un français impeccable – que de progrès en ce domaine depuis six ans ! -, on se demande comment le fils du très autoritaire et tonitruant Laurent-Désiré Kabila peut porter sur ses épaules le poids d’un pays continent aussi peuplé que la France. Élu en octobre 2006 avec 58 % des voix, cet homme secret, introverti et énigmatique recèle en vérité une grande habileté politique, une évidente force de caractère, un vrai courage physique, et cette sorte d’aura ambiguë que projettent autour d’elles les personnalités indéchiffrables aux réactions imprévisibles. De son père omnipotent et écrasant, Joseph Kabila a hérité une tendance à se méfier de ses congénères – il n’a, parmi ses pairs chefs d’État, aucun véritable ami – mais aussi un sens exacerbé du patriotisme et de la puissance potentielle du Congo. L’apprenti maladroit et mutique des premières années, que l’on disait manipulé par le « clan des Katangais » et que les présidents recevaient avec condescendance et paternalisme, a cédé la place à un homme sûr de lui, à l’humour acide et dont la réserve naturelle ne passe plus désormais pour de la timidité.

Chez lui, il le sait, la situation reste mouvante. Du Bas-Congo aux deux Kivus, les tensions sont toujours vives. Alors que le riche Katanga rêve d’autonomie les yeux rivés sur l’Afrique australe, Kinshasa, mégapole polluée, vibrante et anarchique de sept millions d’habitants, peine à se relever. Partout, les fruits de la paix et de la démocratie se font attendre pour une population exsangue, prompte à fustiger les lenteurs et les lourdeurs d’un gouvernement obèse. Quant à l’état de grâce, il est mort les 22 et 23 mars dernier, lorsque la Garde républicaine a taillé en pièces les miliciens du sénateur Jean-Pierre Bemba, en plein cur de la capitale. En quasi-exil au Portugal depuis deux mois et demi, celui qui fut le principal adversaire de Joseph Kabila à la présidentielle de 2006, recueillant 42 % des voix au second tour, ne semble pas près de rentrer à Kinshasa, tant son éloignement arrange tout le monde – y compris ses propres lieutenants et le président du Sénat, l’ex-dinosaure mobutiste Kengo wa Dondo.

De tout cela et de bien d’autres choses, Kabila parle ici sans détour, cartes sur table. À l’issue de notre entretien, dans une grande salle voisine, face à soixante ministres et vice-ministres, sagement assis avec, à sa droite, Antoine Gizenga, 82 ans, Premier ministre aux allures de patriarche, le chef de l’État congolais a présidé le Conseil de gouvernement. Lorsque, après avoir scanné la salle de ses yeux perçants, il a pris la parole d’une voix douce pour nous demander de bien vouloir respecter le huis clos des débats, on aurait pu entendre les mouches voler. Qui a dit que Joseph, fils du mzee, n’avait pas de charisme ?

Jeune Afrique : Au lendemain de votre élection, il y a huit mois, vous avez défini cinq chantiers prioritaires. Cinq défis que vous avez promis de relever pendant votre mandat : les infrastructures, la santé, l’éducation, l’habitat, l’eau et l’électricité. D’ici à 2011, en si peu de temps, la tâche paraît gigantesque. Vous n’avez pas vu trop grand ?

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Joseph Kabila : Le mandat de cinq ans, ce n’est pas moi qui en ai défini la durée, c’est la Constitution. Mais n’ayez crainte : en 2011, chacun de ces cinq chantiers aura considérablement évolué. Il y faut, certes, des moyens, bien au-delà des 180 millions de dollars octroyés par la Banque mondiale ou des malheureux 25 millions du FMI. Le gouvernement et moi, nous nous battons pour cela. C’est l’étape actuelle.

Il y faut aussi des conditions. La bonne gouvernance en est une. Dans vos discours, vous ne cessez de fustiger ce que vous appelez « les antivaleurs » : corruption, gabegie, détournements, etc. Fort bien. Sauf que ce terme d’« antivaleurs » a été forgé par un certain Mobutu Sese Seko, qui prétendait lutter contre, avec les résultats que l’on connaît. Quelles garanties ont les Congolais que l’Histoire ne se répétera pas ?

Le gouvernement d’aujourd’hui n’est pas celui de Mobutu.

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Mobutu pouvait effectivement faire ce genre de promesses sans que cela soit suivi d’effets. Mais le gouvernement d’aujourd’hui n’est pas celui de Mobutu. Il est issu d’élections démocratiques qui se renouvelleront à l’avenir et il a donc tout intérêt à tenir ses obligations de résultats. Deux exemples : la réforme en cours de la justice et la Commission de révision des contrats miniers. Et puis, c’est une affaire de conviction. La bonne gouvernance est une exigence des Congolais, je me dois d’y répondre.

Les Congolais semblent déçus tout de même par les lenteurs du gouvernement. L’état de grâce est terminé, et le désenchantement pointe. En avez-vous conscience ?

Nul n’est plus pressé dans ce pays que le président de la République. Nul n’est plus impatient que moi de voir des résultats. Mais le Congo est un géant endormi depuis quarante ans et qui commence tout juste à se réveiller. Ce n’est pas une mince affaire, en tout cas pas une affaire de huit mois. Nous sortons de plusieurs années de guerre, ne l’oubliez pas. Cela dit, je comprends la frustration des gens, elle est légitime. Mais qu’on nous laisse travailler un peu avant de juger ce gouvernement. En septembre prochain, il sera possible de tirer un premier bilan.

Votre Premier ministre Antoine Gizenga est une personnalité éminemment respectable. Un monument historique, dit-on. Mais il a 82 ans et derrière lui une vie éprouvante. Son âge n’est-il pas un handicap ?

Je ne le pense pas et je me garderai bien d’émettre sur son action un jugement prématuré. Je vois plutôt qu’il travaille et que son gouvernement travaille. Pour le reste, je vous l’ai dit, attendons septembre.

Jean-Pierre Bemba, votre principal adversaire politique, qui a recueilli 42 % des voix lors de l’élection présidentielle, vit depuis plus de deux mois au Portugal dans une sorte d’exil qui ne dit pas son nom. N’est-ce pas là un raté de taille dans le fonctionnement de la toute jeune démocratie congolaise ?

Écoutez. Ségolène Royal a obtenu 47 % à la présidentielle française. Est-elle partie se cacher ou se soigner en Nouvelle-Zélande ? Non. Elle est restée à Paris pour se battre sur le terrain politique. Le dysfonctionnement est ailleurs. Si M. Bemba est parti, c’est que le terrain sur lequel il a voulu jouer le troisième tour des élections – et sur lequel il a perdu – n’avait rien de politique. Les événements des 22 et 23 mars dernier ont été très graves. Il est indispensable d’en identifier les responsables et de les traduire en justice, sinon on risque de ne jamais en finir avec l’impunité dans ce pays. Ce que je dis là est également valable pour les événements du Bas-Congo, fin janvier, et pour ceux de l’Ituri. Le sénateur Bemba est, certes, parti de Kinshasa le 11 avril avec l’autorisation du président du Sénat. Mais la justice congolaise, elle, réclame son dû. Le procureur général de la République a ouvert une enquête et demandé la levée de l’immunité parlementaire de M. Bemba. Laissons donc la justice faire son travail.

Quelle est votre analyse des événements de mars ? Certains, dans votre entourage, assurent que Jean-Pierre Bemba voulait s’emparer du pouvoir par la force – ce que ce dernier dément formellement. D’autres avancent la thèse de la panique : Bemba refusait de désarmer sa garde parce qu’il craignait pour sa sécurité…

Il y a un peu de tout cela. De l’affolement sans doute, mais aussi une volonté de porter atteinte aux institutions élues de ce pays. Le résultat, vous le connaissez. Vingt-quatre heures de combat à Kinshasa et beaucoup de vies fauchées.

Combien ? Un ambassadeur européen a parlé de deux cents à six cents morts.

C’est exagéré. Plus d’une centaine, sans doute, dont les militaires et les policiers. Mais une centaine de trop.

Avez-vous reçu l’aide de troupes angolaises ?

Non, absolument pas.

Pourtant, cela se dit et se publie toujours.

Vous savez, la rumeur, ici, c’est comme une maladie grave. Elle emporte toujours ceux qui la propagent.

La communauté internationale vous a accusé d’avoir fait à cette occasion un usage disproportionné de la force. Que répondez-vous ?

Lorsque l’armée libanaise utilise ses chars lourds et ses hélicoptères de combat pour venir à bout de deux à trois cents miliciens islamistes terrés dans un camp de réfugiés, tout le monde trouve cela normal. À Kinshasa, nous avions six cents rebelles en face de nous. Aucun hélicoptère n’est entré en action et très peu de blindés. J’ai privilégié l’usage de l’infanterie sur celui des chars, afin de réduire le nombre des victimes. À cause de cela, nous avons perdu plus de quarante hommes. Soyons sérieux : l’usage de la force a été tout à fait proportionnel à la menace, voire en deçà.

Souhaitez-vous que la procédure ouverte contre le sénateur Bemba aille à son terme ?

Je crois que c’est le souhait de tout le monde. En tant que garant de la Constitution, je dois faire en sorte que ces événements ne se reproduisent pas. Il est donc nécessaire que la justice fasse son travail.

Jean-Pierre Bemba voulait m’éliminer physiquement.

Quel était, selon vous, l’objectif de Jean-Pierre Bemba ?

Je vous l’ai dit. La prise du pouvoir.

Et que comptait-il faire de vous dans cette hypothèse ?

M’éliminer physiquement.

En êtes-vous sûr ?

Il le disait ouvertement à tout le monde, en plein Kinshasa : « Ce sera moi ou lui », « aujourd’hui, on va le tuer ». Quand on regarde bien le plan de progression de ses troupes les 22 et 23 mars, il est clair que son but était de prendre d’assaut ma résidence. Que voulez-vous de plus ?

Vos proches ont ouvertement critiqué le comportement des Casques bleus de la Monuc lors de ces événements. Partagez-vous ces accusations de passivité ?

J’avoue que je me pose certaines questions. La Monuc n’a pas de rôle proactif, et c’est là tout le problème. Les Casques bleus étaient présents tout autour du QG de Bemba quand les miliciens drogués en sont sortis pour s’attaquer à la police et à l’armée. Ils sont restés l’arme au pied sans intervenir. Il y a de quoi s’interroger.

Une réconciliation est-elle encore possible entre vous et M. Bemba ?

En tant que chef de l’État, je n’en fais pas une affaire personnelle. Mais il faut que la justice passe.

Et s’il se décidait finalement à accepter les conditions sécuritaires prévues par les accords de novembre 2006 pour les anciens vice-présidents, c’est-à-dire douze gardes du corps et pas un de plus, pourriez-vous passer l’éponge ?

Il faudra y réfléchir à deux fois. Après ce qui s’est passé, tout est à revoir. Je vous le rappelle : il y a eu des morts, beaucoup de morts. Et le temps de l’impunité est révolu.

De très violents affrontements ont opposé il y a cinq mois votre armée aux membres du mouvement Bundu dia Kongo, dans la province du Bas-Congo, faisant plus de trois cents morts. Saura-t-on un jour qui est responsable ?

J’y compte bien. Une commission d’enquête s’est rendue sur le terrain à la demande du procureur général. Nous attendons également la levée de l’immunité parlementaire d’un député directement impliqué dans ces incidents [Il s’agit du député Muanda Nsemi, fondateur du mouvement politico-religieux Bundu dia Kongo, ndrl]. L’Assemblée nationale vient d’examiner ce dossier. J’attends son rapport, car j’aimerais bien, moi aussi, savoir exactement ce qui s’est passé.

N’y a-t-il pas eu une occasion manquée au lendemain de votre élection ? Pourquoi n’avez-vous pas profité de votre victoire pour tendre la main à Jean-Pierre Bemba et l’inclure dans une formule d’union, une sorte de partage du pouvoir ?

Je suis un homme de consensus, je ne suis donc pas, dans le fond, hostile à l’ouverture.

C’eût été au contraire une erreur historique. Les élections démocratiques de 2006 ont été une vraie révolution, et il était hors de question de donner aux Congolais l’impression que rien n’avait changé. Qu’est-ce qui a plombé ce pays pendant des décennies, si ce n’est précisément cette conception du pouvoir comme un gâteau à partager ? Pour les politiciens de cette époque, l’État et la nation étaient de simples slogans, seul comptait leur intérêt propre : « Je suis ministre ou PDG, j’ignore de quoi demain sera fait, il faut donc que j’accumule tout de suite. » Une culture de la prédation qui a donné les résultats que l’on connaît.

Je suis un homme de consensus, je ne suis donc pas, dans le fond, hostile à l’ouverture. Mais à condition que ceux qui entrent au gouvernement ne cherchent pas à le saboter. Et puis, la question se pose-t-elle vraiment ? Je crois me souvenir que Jean-Pierre Bemba s’est prononcé contre un gouvernement d’union nationale et que son parti a adopté la même position à l’égard du Premier ministre Gizenga. Aurais-je dû les supplier de nous rejoindre ? Vous me connaissez mal.

Depuis, l’opposition semble avoir pris la tête du Sénat. Avez-vous été surpris par l’élection de Kengo wa Dondo à la présidence de la Chambre haute du Parlement ?

En politique, il faut s’attendre à tout. Je suis un démocrate, je l’ai prouvé, j’ai donc accepté ce résultat sans état d’âme.

D’autant plus que Kengo a été élu avec des voix issues de votre propre majorité…

Oh, vous savez, j’ai moi aussi été élu avec des voix issues de l’opposition !

Derrière Kengo wa Dondo, les anciens mobutistes ont fait un retour en force au Sénat. Mokolo wa Mpombo, Mario Cardoso, Bemba Saolona, Lunda Bululu Tous y occupent des postes importants. Ce n’est pas évident de devoir cohabiter avec les collaborateurs de celui que votre père a combattu pendant quarante ans…

Tous ceux qui ont travaillé avec Mobutu sont désormais des citoyens comme les autres.

Notre combat était dirigé contre un régime et un système, le mobutisme. Aujourd’hui, le mobutisme a disparu. Tous ceux qui ont travaillé avec Mobutu sont désormais des citoyens comme les autres, avec les mêmes devoirs et les mêmes droits, dont celui de faire partie de l’élite politique de ce pays. Ceux dont vous parlez ont été élus. C’est cela aussi la démocratie. Je ne pense pas qu’ils ont pour objectif de restaurer les habitudes et les errements du passé. Si tel était le cas, nous leur barrerions la route.

Pourriez-vous travailler avec Kengo ?

Quand on est parvenu à travailler – difficilement, j’en conviens – avec quatre vice-présidents, dont deux anciens rebelles, et à organiser les premières élections générales libres dans l’histoire du Congo, je crois que l’on peut travailler avec tout le monde. Moi, en tout cas, je travaille avec tout le monde, sauf avec le diable. Et Kengo n’est pas le diable.

En septembre prochain, ce sera le dixième anniversaire de la mort de Mobutu au Maroc. Pourquoi ses cendres n’ont-elles toujours pas été rapatriées chez lui, à Gbadolite ?

Je ne vois aucun obstacle à ce qu’un ancien chef de l’État soit enterré dans son pays.

Dès 2001, j’ai envoyé à Rabat une délégation s’entretenir de cette question avec la famille du défunt maréchal. Mon souhait était et demeure que la dépouille soit ramenée au Congo pour y être inhumée. Qu’est-ce qui bloque ? Je crois que vous devriez poser la question à son fils, le ministre d’État Nzanga Mobutu. Peut-être y a-t-il des divergences à ce sujet au sein même de la famille. En ce qui me concerne, en tout cas, je ne vois aucun obstacle à ce qu’un ancien chef de l’État soit enterré dans son pays de la façon la plus officielle qui soit.

L’État congolais compte-t-il s’opposer à la récupération par la famille Mobutu de quelque 6 à 7 millions de dollars bloqués dans des banques suisses et qui pourraient être dégelés en 2008 ?

Six millions seulement ? Je crois me souvenir qu’à une certaine époque, il y en avait beaucoup, beaucoup plus. À un moment, l’État congolais avait entamé des démarches pour recouvrer cet argent. Ces démarches n’ont pas, depuis, été poursuivies, d’où la perspective que vous évoquez. Pour l’instant, je n’ai pas ce dossier en main. Je verrai.

Comptez-vous rouvrir un jour le procès des assassins présumés de votre père, qui ont été jugés et condamnés à de très lourdes peines ? Ou persistez-vous à dire qu’il n’y aura ni pardon ni révision ?

Le terme d’assassins présumés n’est pas correct puisque, comme vous le dites vous-même, ils ont été jugés et reconnus coupables. Dès lors, je ne vois pas pourquoi nous devrions rouvrir ce procès. C’est clair.

De nombreux Congolais préfèrent toujours vivre en exil…

Je m’insurge contre ceux qui fuient leur pays en invoquant de prétendus prétextes de sécurité, alors qu’ils le font pour des motifs purement alimentaires. Les anciens dignitaires mobutistes sont pour la plupart revenus en toute liberté. Beaucoup ont recouvré leurs biens en justice ou tentent de le faire.

Quand l’armée congolaise sera-t-elle en mesure d’assurer la sécurité intérieure et extérieure du pays ?

Chaque jour, cette armée monte un peu plus en puissance. Je me suis donné deux ans pour former des unités combattantes capables de défendre notre intégrité nationale. C’est un processus qui s’achèvera avec l’intégration de toutes les forces armées congolaises présentes sur notre sol. Y compris la Garde républicaine, dont deux bataillons ont déjà été intégrés.

Vous avez critiqué le rôle de la Monuc lors des événements de mars. Ce contingent, fort de 17 000 hommes, doit-il rester et, si oui, jusqu’à quand ?

La Monuc joue un rôle essentiel. Mais elle doit être beaucoup plus efficace. Quand on voit ce qui se passe à l’est du pays, où sont concentrées 80 % de ses forces, on se pose mille et une questions. Si la Monuc ne devient pas plus active, si elle n’obtient pas de meilleurs résultats sur le terrain, si le Conseil de sécurité ne lui donne pas des instructions en ce sens, sa présence même n’aura plus peu à peu sa raison d’être. Déjà, les populations de l’Est se demandent parfois à quoi elle sert.

Le général Laurent Nkunda et ses sept mille miliciens du Nord-Kivu font-ils, à vos yeux, partie des « forces négatives » à éradiquer, ou espérez-vous encore le ramener au bercail ?

Écoutez. Le statut de M. Nkunda est clair. Il a été nommé général de brigade par le gouvernement en 2003, avec une affectation précise : le commandement de la 8e région militaire du Nord-Kivu. Lui et d’autres officiers ont refusé de prêter serment et de regagner leurs bases, entrant ainsi en dissidence. En 2004, après avoir rassemblé des centaines de jeunes gens armés, il a fait mouvement vers le Sud-Kivu et s’est emparé par la force de la ville de Bukavu. Et cela au vu et au su de la Monuc et de la communauté internationale, qui voudraient aujourd’hui nous voir négocier avec ce monsieur. Trois jours plus tard, nous avons repris Bukavu. Nkunda et sa bande se sont alors repliés au Nord-Kivu. Un mandat d’arrêt a été délivré contre lui par la justice militaire.

Fin 2006, il a de nouveau puisé des effectifs au sein de deux brigades non encore intégrées afin d’attaquer la localité de Goma, objectif que nous l’avons empêché d’atteindre. J’ai néanmoins proposé, au début de cette année, que le processus d’intégration des hommes de Nkunda au sein de l’armée nationale se poursuive, en commençant par l’étape de l’identification. Nous en sommes là. Mais je dois dire que M. Nkunda n’est pas un cas unique. Il y a, au Nord-Kivu, un certain nombre de criminels de guerre recherchés par la justice nationale et internationale, qui ont fait de cette région leur bastion.

Il y a aussi, dans l’Est, quelques milliers d’irrédentistes hutus rwandais opposés au régime de Kigali, ex-génocidaires et Interahamwes de la première, voire de la seconde génération…

Six mille hommes à peu près, soit cinq fois moins qu’il y a dix ans. Pour eux, il y a deux options : soit ils déposent les armes et rentrent chez eux au Rwanda, soit nous les désarmons de force et nous les expulsons.

Pensez-vous que Laurent Nkunda bénéficie du soutien du Rwanda ?

Dans la région des Grands Lacs, tout est possible.

J’espère bien que non. Mais, dans la région des Grands Lacs, tout est possible

Pourquoi n’y a-t-il toujours pas eu d’échange d’ambassadeurs entre Kinshasa et Kigali ?

La réouverture des ambassades, c’est l’étape ultime. Si cela intervient dans six mois, un an ou cinq ans, je veux que ce soit sur des bases solides et sans aucune suspicion réciproque. Auparavant, nous devons régler une fois pour toutes ce casse-tête des groupes armés entretenus par l’un ou l’autre pays contre son voisin. Vous avez évoqué le cas Nkunda, mais il y a d’autres groupes, jusqu’en Ituri.

Avec l’Angola, un différend frontalier vous oppose à propos d’une demi-douzaine de villages de la région de Kahemba, dans le Bandundu. Ne craignez-vous pas que cela dégénère en conflit ouvert ?

Absolument pas. Nous avons de très bonnes relations avec les autorités de Luanda. Cette affaire est simple : dans cette zone comme tout le long de notre frontière avec l’Angola et la Zambie, il existe des endroits mal délimités, d’autant que nous avons de part et d’autre des populations à la fois identiques et mouvantes. D’où des contradictions. En l’occurrence, il s’agit de villages congolais à la population mixte. Des commissions conjointes ont travaillé, des enquêtes ont eu lieu. Il faut maintenant avoir recours à une technologie moderne afin de fixer une fois pour toutes le tracé commun tout le long de la frontière – soit 2 500 kilomètres.

Vous vous êtes rendu début juin au Congo-Brazza. À l’issue de cette visite officielle, vous avez eu une petite phrase qui prête à interprétation : « J’ai passé la nuit à Brazzaville et je suis toujours vivant. » C’était de l’humour ?

À votre avis ? Bien sûr. Je faisais référence à la rumeur, toujours la rumeur, selon laquelle les autorités de Brazzaville seraient nos ennemies jurées, alors que mes rapports avec le président Sassou Nguesso sont excellents. Il faut parfois savoir sourire de la rumeur.

Regrettez-vous Jacques Chirac ?

C’est un homme bien. Il a, je crois, puisqu’il me l’a dit, une affection particulière pour l’Afrique et aussi pour moi. Un monsieur bien, donc.

Vous avez encore un problème, disons de visibilité, à l’égard des Congolais. Ils se plaignent de ne pas vous voir, de ne pas vous entendre. Seriez-vous fâché avec la communication ?

Et, pourtant, le président est là ! Et il travaille, sans repos ni vacances. Cela fait plus de dix ans que je mène cette vie quasi monacale, sans compter les années au maquis. J’ai beau être encore jeune, il arrive que le corps se fatigue. Devrais-je communiquer sur cela ? Je vais bientôt commencer de longues tournées à l’intérieur du pays, comme je l’avais promis. Là, vous me verrez, vous m’entendrez. Mais si c’est du culte de la personnalité que vous recherchez, vous risquez d’attendre longtemps.

Avez-vous changé ?

Oui, et mon pays aussi. Lorsque je regarde en arrière, je me dis que j’ai acquis, en termes d’expérience et de sagesse, ces six dernières années, ce que d’autres accumulent pendant toute une vie. Quant au Congo, il est de retour dans la cour des grands de ce continent. On ne tardera pas à s’en apercevoir.

La Constitution vous donne droit à deux mandats de cinq ans. Vous devrez donc, si vous êtes réélu, quitter le pouvoir au plus tard en 2016, à l’âge de 45 ans. Ne serez-vous pas tenté de faire modifier cette disposition pour demeurer aux affaires ?

La Constitution, c’est sacré

Certains de vos pairs l’ont dit. Avant de changer d’avis.

Le pouvoir use. Il faut savoir s’arrêter.

Mais Joseph Kabila n’est pas comme les autres. J’ai donné ma parole d’honneur en promulguant cette Constitution, je n’y toucherai donc pas. Le pouvoir use. Il faut savoir s’arrêter.

Doit-on vraiment vous croire ?

Je vous donne ma parole d’officier. Que voulez-vous de plus ?

La révision en cours d’une soixantaine de contrats miniers signés pendant la période de transition ne risque-t-elle pas de gêner certains membres de votre entourage ?

Cela ne me gêne pas à titre personnel, ni aucun de mes proches. De quoi s’agit-il ? D’une évaluation de la situation, cinq ans après l’adoption du code minier en 2002 : qu’est-ce qui n’a pas marché ? Comment corriger les erreurs ? Comment mieux profiter des réussites ? C’est une démarche responsable qui n’a qu’un seul but : la réappropriation par le Congo de son patrimoine minier. Il ne s’agit pas de régler des comptes avec tel ou tel partenaire étranger ou congolais, mais de se dire, les yeux dans les yeux, ses quatre vérités.

Votre gouvernement compte soixante ministres et vice-ministres. Êtes-vous sûr qu’aucun d’entre eux ne songe à profiter de son poste pour s’enrichir ?

Je l’ai clairement dit en Conseil des ministres : ce type de mentalité est désormais banni.

Et si l’un d’entre eux est attrapé la main dans le sac ?

Sa destination est toute trouvée : la prison de Makala.

À qui pensez-vous ?

Je ne vous le dirai pas ! Une chose est sûre : quand on fera le bilan en septembre prochain, il y aura beaucoup de candidats pour Makala.

Manifestement, le mois de septembre sera décisif.

Ce gouvernement aura six mois d’exercice plein. Il faudra faire le point, redresser ce qui doit l’être et planifier la suite. L’année 2008 devra être celle de la vraie relance économique. Les équipements ont été commandés, les chantiers sont définis, place au décollage.

Avec une dette publique de 14 milliards de dollars, que vous traînez comme un boulet…

Jusqu’à quand le traînerons-nous, ce boulet ? Si j’avais l’argent pour rembourser ces milliards, croyez-moi, je n’hésiterais pas. Le simple service de cette dette nous coûte 30 à 50 millions de dollars par mois ! Rien qu’avec cette somme, nous pourrions transformer Kinshasa. Notre objectif est donc clair : atteindre le plus vite possible le point d’achèvement de l’initiative PPTE [Pays pauvres très endettés, ndrl].

Lors de notre dernier entretien, en avril 2006, vous aviez confessé votre admiration pour Che Guevara. Mais on me dit qu’en réalité votre vraie référence, c’est Thomas Sankara, le président burkinabè assassiné en 1987. Exact ?

Qui vous l’a dit ? Et puis, peu importe. C’est vrai.

Pourquoi ?

Sankara était un visionnaire.

Comment le dire sans heurter qui que ce soit ? Sankara était un visionnaire. J’avais 16 ans quand il est mort. Je crois qu’il s’est sacrifié pour nous. Il nous manque beaucoup, voilà tout.

Quelle leçon vous a-t-il apprise ?

La fierté. Si les Congolais retrouvent le sens de la fierté et si j’ai pu contribuer à réunir les conditions pour que mon pays soit un jour la Chine de l’Afrique, j’aurais accompli ma mission.

Au Congo, comme ailleurs, l’activisme des Chinois inquiète les Occidentaux…

Mais pas les Congolais ! Lorsqu’il s’agit de refaire le grand boulevard Lumumba qui relie Kinshasa à l’aéroport de N’Djili, l’Union européenne renâcle et la Chine offre ses services. Si c’est notre bien et notre développement que veulent nos amis occidentaux, ils devraient donc s’en réjouir.

Votre épouse, Marie Olive Kabange, s’est démenée pendant la campagne électorale. La première dame ferait-elle de la politique ?

Non, je ne le pense pas. C’est une personne tout à fait déterminée, c’est vrai, et qui m’a beaucoup aidé. Mais elle a aussi ses activités propres dans les domaines caritatif et humanitaire.

C’est un atout pour vous ?

Un atout et une chance. La femme est l’avenir de l’homme, dit-on. Et les Congolaises sont l’avenir du Congo.

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