Guerre totale contre les « Frères »

Principale force d’opposition, la confrérie islamiste était jusqu’ici interdite, mais tolérée. Le temps des demi-mesures est révolu.

Publié le 25 juin 2007 Lecture : 3 minutes.

« Le pouvoir ne recule plus devant rien pour neutraliser notre mouvement », s’inquiète un proche de Mohamed Mehdi Akef, le guide spirituel des Frères musulmans égyptiens. Lors des sénatoriales des 11 et 18 juin, la confrérie, interdite mais tolérée, a été dans l’incapacité de remporter le moindre siège – en dépit de sa popularité croissante. Il est vrai que dans de nombreux bureaux ses sympathisants ont été empêchés de participer au vote, tandis qu’un millier de ses cadres étaient arrêtés. « Jusqu’ici, les Frères jouaient au chat et à la souris avec les autorités, explique un analyste. Ils ont souvent été réprimés depuis vingt-cinq ans, mais l’objectif n’était pas de les étrangler, seulement de les contenir. »
Cette stratégie a montré ses limites. En 2005, l’association avait, à la surprise générale, remporté 88 sièges sur 454 à l’Assemblée du peuple, devenant du même coup la première force d’opposition parlementaire, loin devant les libéraux du Wafd, les marxistes du Tagammou et les nationalistes arabes d’Al-Arabi En-Nassiri. Parallèlement, la réislamisation de la société est en marche. L’écrasante majorité des Égyptiennes portent désormais le hijab. La plupart des universités et de nombreuses organisations socioprofessionnelles sont contrôlées par les Frères. « Nous sommes encore loin de l’État islamique, reconnaît l’un de leurs dirigeants, mais nous avons réussi à faire évoluer une grande partie de la société vers davantage de piété. Seule une minorité reste attachée aux valeurs occidentales. »
Il y a plus inquiétant encore. La confrérie est en effet parvenue à s’assurer de nombreux soutiens dans l’armée et l’administration. Et elle a bien l’intention de s’en servir : « Si on peut prendre le pouvoir, il faut le prendre », a coutume de dire Akef, farouchement hostile à la mise sur orbite de Gamal Moubarak, le fils et dauphin présomptif du raïs. « Non à la transmission héréditaire du pouvoir » : tel est aujourd’hui le principal mot d’ordre de la confrérie, relayé par les laïcs du mouvement Kefaya.
Au Caire, certains sont convaincus que Gamal, nommé vice-président du parti au pouvoir (le PND) au début de 2006, est directement à l’origine du durcissement en cours. Il est vrai qu’il a tenté, en vain, de mettre sur pied avec l’opposition laïque une « coalition républicaine » anti-islamiste et, avec plus de succès, de diaboliser les Frères musulmans aux yeux de ses amis américains.
Deux erreurs tactiques ont contribué à ternir l’image de la confrérie auprès des chancelleries occidentales. Le 3 août 2006, en pleine guerre du Liban, Mehdi Akef avait affirmé que son mouvement était en mesure de dépêcher dix mille combattants « bien entraînés » pour aider le Hezbollah face à l’armée israélienne. Au mois de décembre suivant, dans l’enceinte de l’université Al-Azhar, au Caire, une spectaculaire manifestation d’étudiants islamistes encagoulés avait tourné à la démonstration de karaté. Même l’opposition laïque, qui redoute l’apparition d’un État (islamiste) dans l’État, s’en est émue. La direction de la confrérie a eu beau désavouer publiquement l’initiative, le mal était fait et les services de sécurité en ont aussitôt tiré avantage. Mohamed Khairat Al Chater, l’homme fort de l’organisation, a été placé en détention, en compagnie de 180 étudiants.
Les Américains n’ont pourtant pas rompu tout contact avec les Frères musulmans. Le 28 mai, au Caire, David Price, le président de la commission démocratie à la Chambre des représentants, s’est par exemple longuement entretenu avec Mohamed Saad al-Ketatni, le président de leur groupe parlementaire. « L’administration Bush, explique un expert européen, sait que l’organisation n’est pas adepte de la violence politique. Elle ne s’opposera donc pas a priori à son éventuelle accession au pouvoir, même si elle ne la souhaite évidemment pas. »

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