« Dépasser nos frontières »

Au moment d’ouvrir son capital, Paul Derreumaux, le patron de Bank of Africa, détaille la stratégie d’expansion de son groupe.

Publié le 25 juin 2007 Lecture : 6 minutes.

Africain d’origine française, Paul Derreumaux dirige Bank of Africa, groupe qu’il a créé au Mali en 1982 et qui est aujourd’hui présent dans neuf pays, du Bénin (créée en 1989) au Kenya (2004), en passant par le Niger (1994), la Côte d’Ivoire (1996), le Burkina (1998), Madagascar (1999), le Sénégal (2001) et l’Ouganda (2006). À 61 ans, dont plus de vingt-cinq à la tête de la BOA, Paul Derreumaux est en train de conclure un accord majeur avec le groupe marocain BMCE Bank, d’Othman Benjelloun. L’appui de ce nouveau partenaire doit donner à BOA les moyens de ses ambitions et lui permettre de dupliquer son modèle de réseau bancaire africain dans d’autres pays. Défenseur de la cause du continent et de son développement, il nous confie sa vision de l’évolution du secteur en Afrique subsaharienne, tout en n’omettant pas de souligner – avec le doigté qui sied à un homme aussi réservé – qu’il en est aujourd’hui l’un des grands acteurs.
Jeune Afrique : La banque marocaine BMCE va prendre 35 % de votre groupe à la faveur d’une augmentation de capital. L’opération est-elle bouclée et sur quel montant porte-t-elle ?
Le dossier devrait être fin prêt à notre niveau en juillet prochain, mais l’opération reste soumise à l’agrément de nos assemblées générales et des autorités de tutelle compétentes, auxquelles nous réservons la primeur des considérations chiffrées.

Comment faut-il interpréter cet accord ?
Paul Derreumaux : Il s’agit d’un partenariat « gagnant-gagnant », suivant l’expression consacrée, c’est-à-dire un accord dont chacune des deux parties sort visiblement grandie. BMCE devient l’actionnaire bancaire stratégique d’un grand groupe bancaire d’Afrique subsaharienne déjà présent dans neuf pays, rentable, dynamique et bien diversifié, et va ainsi disposer sans délai d’un réseau renforçant ses activités internationales, tant en matière de banque commerciale que de banque d’investissement. Quant au groupe BOA, il reçoit l’appui d’une banque de taille internationale, avec laquelle il partage une même vision d’expansion et de participation active au développement du continent, et qui dispose d’une expérience de premier plan dans des domaines que nous considérons comme stratégiques pour notre propre croissance.

la suite après cette publicité

Vous parliez de domaines stratégiques pour votre croissance. Dans le détail, quels sont vos objectifs d’expansion à court terme ?
Nous avions déjà des projets précis d’investissements pour 2007 simultanément à cette alliance. Le premier concerne notre implantation en Tanzanie, qui est, elle aussi, dans la dernière ligne droite. Nous espérons voir cet accord finalisé dans les prochaines semaines. Le second concerne Maurice, où nous avons aujourd’hui un agrément bancaire, que nous prévoyons de concrétiser cette année. Nous avons d’autres projets d’expansion, mais nous souhaitons pour l’instant les garder confidentiels.

Toujours en Afrique de l’Est ? Pourquoi ce choix ?
Il y a eu trois grands paris dans la vie de BOA. Le premier, c’était de créer le concept même de réseau bancaire, en 1982. Le second a été de quitter la zone franc et l’Afrique de l’Ouest en allant à Madagascar en 1999. Et le troisième, que nous relevons en ce moment, est de créer un groupe transafricain, biculturel, avec une présence à la fois en Afrique francophone et en Afrique anglophone. C’est ainsi qu’en 2004 nous avons racheté Indosuez au Kenya. Il s’agissait d’un saut vers l’inconnu. Nous avons racheté une banque qui représentait 1 % du marché, qui était uniquement orientée vers les entreprises, et cette clientèle n’avait aucune idée de notre groupe, ni de son expérience et de sa réputation en Afrique francophone. Nous avons néanmoins développé ce projet, ce qui a conduit à la création d’un second pôle géographique d’activité, avec la création de la BOA Uganda en octobre 2006, par rachat des activités de la Belgolaise. Nous étudions aujourd’hui des projets d’expansion géographique à l’intérieur de ces deux zones, Afrique de l’Ouest et Afrique de l’Est-océan Indien.

D’où, et quand, vous est venue cette notion de réseau africain ?
Elle existait dès le début, en 1982, dans la motivation des actionnaires qui ont fondé BOA Mali. L’idée de créer un réseau bancaire africain est une forme de réponse à ce qui existait déjà pour les filiales des banques françaises en Afrique. Les BNP, les Société générale étaient présentes partout. De même, notre concurrent régional [Ecobank, NDLR] commençait à se déployer. Nous avons pensé que c’était un bon schéma et que nous pouvions l’adopter, mais avec une approche d’actionnariat et de clientèle un peu différente.
C’est-à-dire ?
Dès le départ, notre banque a été orientée fortement vers une clientèle tout public. D’ailleurs, nous n’avions guère d’autre possibilité, puisque nous n’avions pas de maison mère et que nous devions rechercher les dépôts de la clientèle sous toutes les formes possibles. Par ailleurs, et dès le début, nous avons adopté un même modèle d’actionnariat pour toutes nos banques. Il est fondé sur un concept d’équilibre entre trois composantes : des privés africains, un holding nommé African Financial Holding (AFH), créé en 1989 et qui représente les intérêts du groupe BOA, et des actionnaires institutionnels, comme Proparco, la BOAD, la SFI ou encore le FMO, qui font partie de ceux qui nous suivent depuis le début. AFH est le seul qui soit présent au capital de toutes nos filiales, et partout nous avons des actionnaires privés locaux qui ont une grande importance. C’est ce qui nous différencie.

Quel regard portez-vous sur le paysage bancaire ouest-africain aujourd’hui ?
En se limitant à l’Afrique de l’Ouest francophone, qui est la région que je connais le mieux, il y a deux caractéristiques notoires. Après les différentes étapes de consolidation qui ont marqué les années 1980-1990, on assiste tout d’abord à l’avènement des réseaux africains de banques privées, comme Ecobank et nous-mêmes, ou encore la Banque atlantique. Il y a également des réseaux plus institutionnels, comme la Banque régionale de solidarité Je constate par ailleurs une augmentation rapide du nombre de banques dans chaque pays. C’est un phénomène nouveau, mais il s’est déjà produit en Afrique anglophone, où l’augmentation de la concurrence est venue il y a une quinzaine d’années. Au Bénin, par exemple, le nombre de banques est passé de cinq à douze. Ce phénomène est lié au taux de bancarisation qui, en Afrique francophone, est l’un des plus faibles au monde, ce qui révèle que les banques sont en sous-nombre.
Il y aura donc une nouvelle phase de consolidation
Immanquablement, et elle se produira dans plusieurs directions. Premièrement, les banques qui sont suffisamment solides vont sortir de leur zone de prédilection, comme nous l’avons fait depuis 1999. D’autres sont en train de le faire, qu’elles soient aussi bien d’Afrique de l’Ouest que d’Afrique centrale. Deuxièmement, il y aura des transformations importantes de l’environnement réglementaire qui, en Afrique de l’Ouest, est en retard par rapport à ce que l’on observe en Afrique de l’Est, notamment. Il y aura un durcissement des accès aux agréments, une augmentation du capital minimum pour exercer et une transformation des conditions de fonctionnement. Enfin, conséquence des deux premiers phénomènes, il se produira un mouvement de concentration, avec une consolidation des petites banques.

la suite après cette publicité

Côté clientèle, quel est l’objectif prioritaire d’un groupe comme le vôtre ?
Il est tout à fait certain qu’il faut améliorer le taux de bancarisation des populations. Le processus est déjà en cours. Il se traduit par une politique volontariste d’ouverture de nouvelles agences de la part des banques les plus importantes sur nos marchés. Cette stratégie de proximité va se poursuivre et se renforcer. Pour les banques, elle représente un moyen de montrer leurs différences par rapport aux autres et de collecter davantage de ressources. Autre phénomène : nous entrons dans une phase de modernisation des produits bancaires, un des enjeux étant d’attirer vers les banques des populations non bancarisées et non alphabétisées. Dans cet objectif sont en train d’apparaître des solutions utilisant des cartes prépayées, que l’on commence déjà à utiliser en RD Congo, par exemple, où il y a très peu de comptes bancaires et où la carte prépayée est introduite par les banques sud-africaines et les opérateurs de téléphone mobile. Améliorer l’accès des populations au système bancaire est un défi majeur des années qui viennent. Il sera probablement appuyé par les autorités, qui manifestent de manière croissante le souci d’amener les populations vers la banque.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires