Chantier pharaonique

Le projet d’aménagement de la vallée du Bouregreg, l’un des plus ambitieux du royaume, devrait relancer l’économie locale.

Publié le 25 juin 2007 Lecture : 6 minutes.

Le Nil a beau s’appeler ici le Bouregreg et les pyramides n’avoir pour toute réplique qu’un mausolée datant de la seconde moitié du XXe siècle, le projet est bel et bien pharaonique. Symbole de la restructuration en cours de Rabat, l’aménagement de l’oued qui sépare la capitale marocaine de Salé, sa ville jumelle, est l’initiative d’embellissement urbain la plus importante qu’ait jamais connue le royaume. Quelque 6 000 hectares de terrain à lotir dans une vallée fluviale qui se déploie sur une quinzaine de kilomètres de long, six tranches de travaux, un investissement de plus de 2,7 milliards d’euros pour les deux premières seulement : du jamais vu de mémoire de R’bati.

Pour l’heure toutefois, un peu plus de cinq cents jours après le premier coup de pioche donné en janvier 2006, les berges du Bouregreg ressemblent toujours à un vaste chantier. Camions, pelleteuses et ouvriers multiplient les va-et-vient de part et d’autre du cours d’eau qui fait, lui, l’objet d’un intensif dragage pour permettre à des bateaux plus imposants de remonter son lit. Rive gauche, la construction d’un quai de 1 400 mètres en pierre de Shoul – la pierre traditionnelle de Rabat – et le dédoublement du boulevard qui longe la berge sont en cours. Rive droite, la décharge sauvage qui avait acquis droit de cité au fil des ans a disparu. « 600 000 m3 de remblais ont également été édifiés pour surélever de trois mètres la plate-forme sur laquelle sera construite la future Cité des arts et des métiers », explique Faïçal Lahmamsi, chef de secteur au sein de l’entreprise qui réalise les travaux de terrassement sur la première séquence du projet, « Bab al-Bahr ». En fait, la réalisation la plus tangible pour l’instant est la marina, située en face de la tour Hassan. D’une capacité de 350 anneaux, elle vient de voir le jour et pourra accueillir à terme des bateaux de plaisance de 2 à 4 mètres de tirant d’eau, en attendant la construction d’un port océanique en eaux profondes et d’une digue circulaire qui donnera naissance à une vaste rade à l’embouchure du Bouregreg.
Si les R’batis éprouvent encore quelques difficultés à imaginer le visage qu’aura leur ville transformée, le lancement prochain de la construction des grandes infrastructures de transport devrait le rendre plus concret. À partir de l’automne, la pause de la plate-forme qui accueillera les deux futures lignes de tramway qui relieront Rabat à Salé commencera. Elle s’accompagnera de l’édification du nouveau pont Moulay-El-Hassan rehaussé et du percement d’un tunnel automobile sous la colline des Oudayas, afin d’aménager une esplanade piétonne entre la kasbah et la médina. La date de livraison de l’ensemble est fixée à 2010.

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Le début des travaux de la deuxième phase, baptisée Amwaj, devrait également contribuer à satisfaire la curiosité de la population. Présenté par l’Agence d’aménagement de la vallée du Bouregreg comme le futur « cur de ville », elle abritera l’espace le plus densément bâti du projet. Île artificielle, musée national, jardins suspendus, palais des congrès, shopping mall, centre d’affaires, appartements de standing, villas, cinéma et espaces de loisirs haut de gamme : c’est là aussi que se trouveront les installations les plus prestigieuses de la vallée.

Les quatre zones en amont qui courent jusqu’au barrage Sidi-Mohammed-Ben-Abdallah feront la part belle à la préservation des écosystèmes et de l’environnement, si l’on en croit les aménageurs. Golf, centre équestre, activités nautiques non polluantes sur le réservoir et hébergements touristiques de taille réduite : l’emprise foncière devrait y rester limitée. Même si, sur la rive droite du tronçon situé face à la nécropole de Chellah, un parc de loisirs, des logements de standing, des commerces et une technopole autour d’un vaste plan d’eau artificiel d’une centaine d’hectares seront édifiés à partir de 2010.
« Protéger un espace écologiquement sensible est le premier principe qui a présidé à l’élaboration du projet d’aménagement de la vallée du Bouregreg. Nous avons donc commencé par dépolluer le site, avant d’y construire des bâtiments qui respecteront son cadre naturel et paysager », explique Lemghari Essakl, le directeur général de l’Agence. Depuis le début des travaux de la première « séquence » d’aménagement, plus de 200 000 tonnes d’ordures ont en effet été retirées des berges du fleuve, et une nouvelle décharge contrôlée, celle d’Oum Azza, capable de traiter 750 000 tonnes de déchets ménagers, est entrée en activité début juin, à une quarantaine de kilomètres de l’agglomération. Elle remplacera à terme celles d’Oujla et d’Akreuch, en passe d’être fermées. « Toutes deux étaient responsables du déversement dans le Bouregreg de lixiviats [déchets liquides] qui contribuaient à la destruction de sa faune et de sa flore », confie Xavier Jourdan, directeur de l’entreprise Segedema, qui assure la collecte et le traitement des ordures ménagères de Rabat. Le problème s’était accentué un peu plus encore ces dernières décennies, avec la réduction du débit du cours d’eau consécutive à la construction du barrage Sidi-Mohammed-Ben-Abdallah en 1972.

Enfin, des mesures ont été prises pour cesser de faire de la rivière un gigantesque égout. « L’oued et l’océan sont aujourd’hui dans un état de pollution grave et avancée : 200 000 m3 d’eaux usées s’y déversent chaque jour. Vu d’avion, l’embouchure n’est plus qu’une gigantesque tache marron », avance Jean-Michel Tiberi, directeur régional de la société Redal, en charge de la dépollution de la corniche et de la vallée. Ses services installent actuellement un réseau d’assainissement liquide couvrant la métropole. Il doit conduire, à terme, les effluents vers deux stations de prétraitement raccordées à deux émissaires sous-marins de 2 kilomètres de long. Le premier, situé à une quinzaine de kilomètres au sud de Rabat, sera opérationnel fin 2008 ; le second, qui sera construit à une dizaine de kilomètres au nord de Salé, entrera en fonction en 2010. Ils rejetteront au large les eaux prétraitées, là où les courants seront assez forts pour les disperser.

« L’autre objectif majeur de la vallée aménagée, c’est qu’elle devienne un espace commun à Rabat et à Salé pour que cet endroit constitue un trait d’union entre les deux villes », reprend Lemghari Essakl. « L’aménagement du Bouregreg est un rééquilibrage bienvenu, renchérit Driss Sentissi, le maire de Salé. Il va redonner au fleuve sa fonction d’axe structurant, après avoir longtemps séparé l’agglomération. Pendant trop longtemps, on a considéré que Salé n’était que la banlieue de la capitale. Aujourd’hui heureusement, le projet vient réparer cette erreur », poursuit l’édile qui en veut pour preuve que « les réalisations qui généreront le plus de recettes, comme la marina ou la Cité des arts et des métiers, se trouveront côté Salé ».
Dans ce concert de louanges, quelques questions taraudent, pourtant, certains R’batis. Le prix du ticket du futur tramway, la taille réduite des logements sociaux réservés aux « bidonvillois » délogés de la vallée ou la flambée des prix de l’immobilier sont les inquiétudes le plus souvent exprimées. « Si le billet dépasse 5 dirhams, les gens continueront à prendre leur voiture et rien ne changera », prévient l’un. « Le tarif du mètre carré dans la capitale a triplé en trois ans », s’agace l’autre. « Compte tenu de son patrimoine naturel et historique, cette vallée est un espace qui mérite une grande attention architecturale. Il est donc normal d’y développer un urbanisme haut de gamme, se défend, de son côté, Lemghari Essakl. Le projet, porteur, permettra une relance de l’économie et apportera à tous une amélioration des conditions de vie. » À l’horizon 2010-2015. Si tout va bien….

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