Présidentielle au Nigeria : la difficile bataille contre les « fake news »

Accusations falsifiées, vidéos détournées, révélations frelatées… Jusqu’au scrutin du 23 février, la campagne présidentielle aura été émaillée par une propagation de fake news sans précédent dans le pays. Et ce, en dépit des efforts des plateformes de « fact-checking », fruits de la collaboration entre les médias et les réseaux sociaux.

De nombreuses fake news ont été propagées durant la campagne présidentielle au Nigeria. © Soeren Stache/AP/SIPA

De nombreuses fake news ont été propagées durant la campagne présidentielle au Nigeria. © Soeren Stache/AP/SIPA

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Publié le 22 février 2019 Lecture : 4 minutes.

On l’annonçait démissionnaire à près de 48 heures du scrutin. Mahmood Yakubu, le président de la Commission électorale indépendante (INEC), a-il réellement quitté son poste ce 21 février, comme l’indiquait certains internautes sur les réseaux sociaux ? Bien au contraire. Loin d’annoncer son départ, le président de la commission a en réalité assuré ce jour-là que les élections auraient bien lieu le samedi 23 février.

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Une nouvelle fake news qui s’est ajoutée à la longue série de désinformation qui a émaillé toute la campagne présidentielle.

>>> À LIRE – [Tribune] Elles courent, elles courent, les « fake news »

Buhari obligé de démentir son décès

En décembre dernier, le président nigérian Muhammadu Buhari avait lui-même été obligé de démentir publiquement sa propre mort. « C’est vraiment moi, je vous assure », avait alors assuré le chef de l’État, pour faire taire les rumeurs selon lesquelles un sosie soudanais aurait pris sa place. La vidéo est toujours épinglée sur son compte Twitter officiel. « Cette histoire est apparue en ligne dès 2017, rappelle le journaliste nigérian Damilola Ojetunde, mais elle a subitement resurgi au début de la campagne et elle a été partagée par des hommes politiques influents ». Au final, la rumeur aura été partagée plus de 500 000 de fois sur Internet.

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Face à cette déferlante de fake news, les journalistes s’organisent pour vérifier les informations diffusées sur les réseaux sociaux. Il y a quelques mois, une quinzaine de médias ont lancé CrossCheck Nigeria, une plateforme réunissant plus de 40 journalistes. Des initiatives similaires ont déjà vu le jour ailleurs dans le monde, en France, au Brésil, et dans plusieurs pays africains. Chaque jour, l’équipe de CrossCheck Nigeria scrute les réseaux sociaux, surveille les pages des partis politiques, traque rumeurs et fausses informations.

Sur une version précédente de la vidéo, on peut entendre les gens acclamer le président. Personne ne le traite de voleur

Offensive citoyenne

Damilola Ojetunde fait partie de cette coalition. Depuis le lancement de l’initiative, il affirme avoir débusqué une vingtaine de fake news. La semaine dernière, l’équipe publiait un démenti sur une vidéo partagée sur les réseaux sociaux. Les images montraient le président Buhari, en campagne dans les rues de Lagos, se faire insulter de « voleur » par la foule. « Cette vidéo a été fabriquée, nuance Damilola Ojetunde. Les supporteurs du PDP [Parti démocratique populaire, principal parti d’opposition, ndlr] ont importé un fichier audio sur les images existantes. Sur une version précédente de la vidéo, on peut entendre les gens acclamer le président. Personne ne le traite de “voleur”. »

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En plus de leur site internet, sur lequel ils publient leurs démentis, les journalistes sont joignables via leur numéro WhatsApp. « Nous avons un groupe dans lequel les gens peuvent nous envoyer leurs questions, explique le journaliste. Rien que sur celui-ci, nous avons répondu à 126 demandes. »

Avec 24 millions d’utilisateurs sur Facebook, un taux de pénétration mobile de 84% pour 190 millions d’habitants, le Nigeria est une fourmilière d’internautes. « Je ne dirais pas que la propagation des discours haineux et des fausses nouvelles est spécifique à ce scrutin. Mais les réseaux sociaux portent le phénomène à un niveau qui n’a rien à voir avec tout ce que nous observions jusqu’ici », remarque Tope Ogundipe, directrice des programmes de Paradigm Initiative, un acteur d’entrepreneuriat social spécialisé dans le digital.

Parfois, les fausses informations sont déjà diffusées et virales bien avant d’avoir pu être vérifiées

Facebook renforce sa prévention en Afrique

Alertées par le phénomène, certaines plateformes se sont lancées dans une croisade contre les fake news. Facebook a annoncé déployer des ressources « sans précédent » dans la perspective des élections à venir en Afrique. « Les fake news n’ont pas leur place sur Facebook. Nous avons redoublé d’efforts pour prévenir la diffusion de fausses informations sur notre plateforme et expliquer aux internautes comment identifier et signaler ces contenus », assure l’entreprise, contactée par Jeune Afrique.

>>> À LIRE – [Tribune] Réprimer les réseaux sociaux ne réglera pas le problème des « fake news »

Collaboration avec des journalistes, campagnes de communication, ateliers de sensibilisation… Facebook met les bouchées doubles pour lutter contre un phénomène qui nuit à son image. « L’équipe grandit. Je rencontre de plus en plus de gens qui travaillent pour Facebook en Afrique », confie Tope Ogundipe, qui collabore régulièrement avec les plateformes de réseaux sociaux. Mais elle reste sceptique quant à la capacité de Facebook de réagir rapidement. « Parfois, les fausses informations sont déjà diffusées et virales bien avant d’avoir pu être vérifiées. »

Des fake news qui fracturent la société

Une course contre la montre difficile à gagner quand les rumeurs sont partagées sur des réseaux privés. Dans ce domaine, WhatsApp, l’une des applications de messagerie les plus utilisées au Nigeria, représente un véritable casse-tête pour les journalistes. Beaucoup de messages qui y sont partagés le sont dans des groupes privés, familiaux ou professionnels, inaccessibles aux organismes de fact-checking. À la différence de Facebook ou de Twitter, l’application est chiffrée de bout en bout, ce qui permet aux utilisateurs de partager des messages sans révéler leur origine. « Avec WhatsApp, nous sommes assis sur un baril de poudre. Le chiffrement fait que c’est très dur pour nous de remonter à la source de l’information. Et les politiciens le savent », confie Damilola Ojetunde.

Pour le journaliste, les partis politiques et leurs supporters sont à l’origine de la majorité des fake news disséminées durant la présidentielle. Une véritable arme de propagande, avec des conséquences dangereuses pour le pays. « La plupart de ces fake news ont exploité les divisions ethniques et religieuses et elles ont fracturé la société », estime Idayat Hassan, directrice du Centre pour la démocratie et le développement, un think tank basé à Lagos. « Elles ont aussi provoqué l’érosion de la confiance des Nigérians vis-à-vis de la gestion du processus électoral. » Une méfiance accentuée par le report du scrutin, qui a généré « encore plus de déception et de mécontentement dans le pays », selon la chercheuse.

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