[Tribune] Antisionisme : pourquoi Emmanuel Macron louvoie

Libertés menacées, lois déjà existantes, rôle joué par les dirigeants israéliens… Tout aurait dû inciter le président français Emmanuel Macron à plus de clarté le 20 février dernier, lorsqu’il a annoncé une modification de la définition de l’antisémitisme pour y inclure une partie de l’antisionisme.

Emmanuel Macron, lors d’un Conseil des ministres le 3 août 2018. © Michel Euler/AP/SIPA

Emmanuel Macron, lors d’un Conseil des ministres le 3 août 2018. © Michel Euler/AP/SIPA

dominique vidal
  • Dominique Vidal

    Journaliste et historien, auteur d’« Antisionisme = antisémitisme ? Réponse à Emmanuel Macron » (Libertalia)

Publié le 25 février 2019 Lecture : 4 minutes.

« Cher Bibi » : c’est ainsi que le président de la République accueille – pour la première fois – le Premier ministre israélien, le 16 juillet 2017, pour la commémoration de la rafle du Vél d’Hiv. Et, à la fin de son discours, il affirme : « Nous ne céderons rien à l’antisionisme, car il est la forme réinventée de l’antisémitisme. »

Le 20 février 2019, le même Emmanuel Macron déclare : « Je ne pense pas que pénaliser l’antisionisme soit une solution. » Il n’en annonce pas moins, le soir même, au dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), l’adoption de la définition de l’antisémitisme rédigée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA), qui fait allusion à l’antisionisme.

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La liberté d’opinion et d’expression menacées

Tout, pourtant, aurait dû l’inciter à plus de clarté. D’abord, la grossièreté de la provocation à l’origine de cette affaire. Le 16 février, une poignée de « gilets jaunes » agresse verbalement Alain Finkielkraut, et leurs insultes, antisémites, se présentent comme antisionistes. Le lendemain, tandis que les idiots utiles pinaillent pour savoir s’il s’agit bien d’antisémitisme, la machine médiatique se met en marche. Et, le surlendemain, un groupe de députés propose d’adopter une loi criminalisant l’antisionisme. La ficelle est quand même énorme.

Cette opération risque d’introduire un délit d’opinion qui n’existe plus depuis la guerre d’Algérie

Ensuite, ­l’extrême gravité de cette opération, qui menace en fait la liberté d’opinion et d’expression. Car elle risque d’introduire un délit d’opinion qui n’existe plus depuis la guerre d’Algérie. À l’époque, la censure intervenait, par exemple, tous les soirs dans les rédactions pour retirer directement des journaux ce qui ne convenait pas au pouvoir et à l’armée. À l’origine de cette proposition, Francis Kalifat, le président du Crif, rêverait-il d’un système totalitaire ?

Enfin, les lois antiracistes existantes sont plus que suffisantes pour poursuivre et condamner la propagande et les violences antisémites : la dimension antiraciste de la loi de 1881, la loi antiraciste de 1972, la loi antinégationniste de 1990, sans parler du Code pénal. Faut-il des textes supplémentaires ? Les légistes sont unanimes à répondre par la négative. La vraie question, c’est de savoir comment utiliser l’arsenal existant, la répression des menées racistes complétant le combat politique indispensable contre elles.

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Israël en quête d’alliés

Reste la toile de fond : le rôle joué par les dirigeants israéliens. Même après le rejet du projet de loi par Emmanuel Macron, l’ambassade de Tel-Aviv à Paris s’est permis, contre tous les usages diplomatiques, de publier un communiqué insistant ! Pour comprendre cette arrogance, il faut revenir à la radicalisation de la droite et de l’extrême droite israéliennes depuis qu’elles sont seules au pouvoir, après les élections de 2015.

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C’est une véritable fuite en avant : avec la loi « État-nation du peuple juif », qui réserve le droit à l’autodétermination aux seuls citoyens juifs, officialisant ainsi un système d’apartheid ; avec la loi de « régularisation », qui permet l’annexion de tout ou partie de la Cisjordanie, enterrant du même coup la solution à deux États ; avec la quinzaine de lois répressives votées récemment par la Knesset qui remettent en question les libertés des Israéliens, arabes et juifs ; avec les alliés que Benyamin Netanyahou se choisit : tous les nationalistes, populistes et néofascistes d’Europe et d’ailleurs. Et qu’importe qu’ils soient antisémites, du moment qu’ils soutiennent Israël et bloquent toute pression sur lui !

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Qu’en pensent les Israéliens ? On le saura le 9 avril, au terme des élections législatives. En revanche, il est clair que l’opinion internationale porte un jugement sévère sur cette politique aventuriste. En France, par exemple, selon l’Ifop, 57 % des Français ont « une mauvaise image d’Israël », 69 % « une mauvaise image du sionisme » et 71 % estiment que « Tel-Aviv porte les principales responsabilités » dans l’impasse des négociations.

Puisse Emmanuel Macron faire enfin preuve de courage pour ramener les inconditionnels d’Israël à la raison !

Benyamin Netanyahou et ses amis français souhaitent donc faire taire ces voix critiques. C’était le but de leur tentative de criminalisation de la campagne BDS (boycottage, désinvestissement et sanctions). Celle-ci ayant partiellement avorté, ils ont avancé une nouvelle proposition : l’interdiction de l’antisionisme. Puisse Emmanuel Macron faire enfin preuve de courage pour ramener les inconditionnels d’Israël à la raison ! Car il en va aussi de l’efficacité du combat contre l’antisémitisme et le racisme, auquel ces opérations politiciennes portent une atteinte durable.

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