Aung San Suu Kyi, la séquestrée de Rangoon

En résidence surveillée depuis mai 2003, la figure de proue de l’opposition a vu sa peine prolongée d’un an par la junte militaire.

Publié le 25 juin 2007 Lecture : 4 minutes.

C’est loin de sa famille et de ses partisans, dans la solitude de sa maison coloniale de Rangoon, au bord du lac Inya, où la junte militaire la retient prisonnière, que l’égérie de la résistance birmane Aung San Suu Kyi a fêté, le 19 juin, ses 62 ans. Assignée à résidence depuis quatre ans, après avoir déjà purgé, depuis 1989, deux peines de résidence surveillée de six ans et de vingt mois, celle qu’on appelle la « captive de Rangoon » a pris l’habitude de vivre coupée du monde. La troisième période d’incarcération de l’opposante, qui a débuté le 30 mai 2003, vient d’être prolongée d’un an par les militaires birmans, malgré les appels à sa libération lancés par le Collectif international, composé de cinquante-neuf anciens présidents et Premiers ministres.

Arrivés au pouvoir en 1962 à la faveur des velléités séparatistes de plusieurs minorités ethniques, les militaires ont mis le pays en coupe réglée. Pourtant riche en ressources, la Birmanie est devenue l’un des pays les plus pauvres de la planète. Les manifestations sont réprimées à coups de mitrailleuses et les opposants politiques jetés en prison. Bilan de quarante-cinq ans d’un règne fondé sur la terreur : 600 000 morts et plusieurs millions de déplacés.

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C’est un peu par hasard qu’Aung San Suu Kyi est devenue le fer de lance de l’opposition. Après avoir grandi à l’étranger, notamment en Inde et en Angleterre, où elle a fait des études de sciences politiques et d’économie, avant d’épouser un Anglais spécialiste du Tibet, elle rentre en Birmanie en 1988 pour soigner sa mère agonisante. Le pays traverse alors une période d’effervescence politique sans précédent. Une insurrection populaire finit par éclater. Elle est réprimée dans le sang. Fille d’un grand héros de l’indépendance birmane, Aung San Suu Kyi est happée par les turbulences. La population, qui n’a pas oublié les sacrifices du général Aung San, reconnaît en elle le leader dont elle a besoin pour retrouver les chemins de la liberté.
Très vite, Aung San Suu Kyi se révèle être une femme politique hors du commun. Adepte de Gandhi et de Martin Luther King, elle croit à la nécessité de lier politique et morale. Elle veut avant tout libérer son peuple de la peur, car, aime-t-elle à dire, « la peur n’est pas l’état naturel de l’homme civilisé ». C’est dans cet esprit qu’elle fonde, à la suite des événements de 1988, son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND). À ses yeux, démocratie et droits de l’homme sont les conditions mêmes de la « révolution de l’esprit » qu’elle veut provoquer.

Sa popularité grandissante inquiète les militaires, qui la font arrêter en juillet 1989 et l’assignent à résidence pour trouble à l’ordre public. Le régime n’annule pas pour autant les élections qu’il s’était engagé à organiser sous la pression populaire. Celles-ci se dérouleront en 1990 et seront étonnamment libres. La LND les remporte avec 82 % des voix. Mais les militaires refusent de reconnaître le verdict des urnes et de transférer le pouvoir aux vainqueurs, bloquant la situation politique.

Relayé par les médias, le combat du peuple birman finit par émouvoir la communauté internationale. Aung San Suu Kyi voit son courage et sa ténacité récompensés par le prix Nobel de la paix 1991. Tout au long des années 1990, on assiste à une forte mobilisation en faveur de la démocratie en Birmanie, notamment aux États-Unis. Sans doute parce que les intérêts économiques américains dans ce pays sont minimes. Washington cesse d’accorder des visas aux officiels birmans et présente au Conseil de sécurité des Nations unies plusieurs résolutions condamnant le régime de Rangoon. En 2005, Condoleezza Rice classe la Birmanie dans la catégorie des « avant-postes de la tyrannie ».

La dernière résolution dénonçant les exactions commises par la junte militaire date de janvier, mais elle n’a pu être adoptée à cause du double veto de la Chine et de la Russie, qui soutiennent à bout de bras un régime discrédité moyennant de gros contrats d’armements et des concessions d’exploitation juteuses dans le domaine du pétrole et du gaz. L’Inde, l’autre géant de l’Asie, qui voudrait, elle aussi, bénéficier des ressources gazières de son voisin, a récemment déroulé le tapis rouge au chef de la junte. Prompts à condamner le régime de Rangoon, les Occidentaux n’en font pas moins des affaires en Birmanie. À preuve, les activités très lucratives de la branche nationale de la compagnie pétrolière française Total, qui est une importante source de revenus pour le régime. Last but not least, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean), dont la Birmanie fait partie depuis 1997, se caractérise par sa politique de non-ingérence dans les affaires internes de ses États membres.

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Dans ces conditions, l’espoir de voir la situation évoluer est bien mince. Pour nombre d’observateurs, bien que l’opposition birmane ait été muselée, la junte militaire craint un nouveau soulèvement populaire tel que celui de 1988. D’où sa décision de prolonger d’un an la captivité d’Aung San Suu Kyi, dont la popularité ne se dément pas. Le gouvernement a également transféré la capitale à Pyinmana, dans l’hinterland, afin de pouvoir se retrancher dans la profondeur du territoire le cas échéant. Quant à la démocratisation, jugée inévitable, elle sera conduite selon les termes de la nouvelle Constitution, que rédige la Convention nationale, verrouillée par la junte. Le projet de Loi fondamentale, consultable sur le Net, prévoit que le futur président sera issu de l’armée et qu’un tiers des sièges parlementaires sera réservé aux militaires. On est bien loin de la république éthique et non violente dont rêvent les démocrates birmans.

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