Areva tisse sa toile en Afrique

Le champion français du nucléaire s’appuie sur l’envolée des cours de l’uranium pour accentuer sa stratégie sur le continent.

Publié le 25 juin 2007 Lecture : 5 minutes.

Doubler sa production d’uranium d’ici à 2012. Tel est le pari d’Areva, groupe français spécialisé dans le nucléaire, face à l’envolée de la demande de minerai sur le marché mondial. Une hausse alimentée par les besoins de la Chine mais aussi par la préférence énergétique que de nombreux pays retiennent désormais afin de prévenir la raréfaction des ressources pétrolières et lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. Heureusement, ou malheureusement pour ses détracteurs, le nucléaire est redevenu à la mode. Un contexte dont la présidente du groupe, ancienne secrétaire générale de l’Élysée auprès du président François Mitterrand, Anne Lauvergeon, entend tirer pleinement profit pour hisser la France « au premier rang des pays exportateurs ».
Pour ambitieux qu’il soit – il permettrait de faire passer sa production annuelle de 5 272 tonnes en 2006 à plus de 11 000 tonnes dans dix ans, soit 25 % de la production mondiale -, l’objectif n’en est pas moins réalisable. Les conditions actuelles du marché n’ont en effet jamais semblé aussi favorables. Malgré une forte demande insatisfaite, à l’origine d’une tendance haussière des cours, de nombreuses réserves prouvées restent inexploitées alors que les quantités de combustibles issus des stocks ou de l’arsenal militaire s’amenuisent. D’où une recomposition du paysage mondial de l’uranium. Compte tenu du potentiel de son sous-sol, l’Afrique devrait logiquement jouer sa partition dans cette course pour la mainmise sur le précieux minerai. Elle est déjà, comme c’est le cas pour d’autres matières premières, le théâtre d’une âpre compétition dans laquelle les grands groupes internationaux comme le canadien Cameco, l’anglo-australien Rio Tinto ou le russe Tvel voient désormais les entreprises de taille plus modestes passer à l’offensive.

En 2006, le continent a contribué à 7 % du chiffre d’affaires d’Areva, soit 778 millions de dollars, et le groupe entend bien en faire l’un des principaux leviers de sa croissance future. Présent dans une dizaine de pays, dont la Côte d’Ivoire, l’Afrique du Sud, le Soudan et le Niger, le groupe y emploie plus de 2 500 personnes, et sa direction n’hésite pas à s’appuyer sur des réseaux ou à recourir à des personnalités issues des milieux politiques pour préserver cette zone d’influence, voire y avancer ses pions. Cette approche a été soulignée par la désignation en début d’année du diplomate Dominique Pin, ancien collaborateur de la cellule africaine de l’Élysée sous la présidence de François Mitterrand, de 1991 à 1995. Il travaille en étroite collaboration avec le directeur chargé de l’Afrique et du Moyen-Orient, le Burkinabè Zéphirin Diabré, ancien administrateur associé du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud).

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Sur le terrain, le groupe français peut d’ores et déjà s’appuyer sur une présence significative en Afrique du Sud et au Niger. Il est le principal acteur du secteur depuis cinquante ans dans ce dernier pays, où sa filiale Cogema exploite deux importantes concessions situées dans la région d’Arlit (Nord), à travers la Compagnie minière d’Akouta (Cominak) et la Société des mines de l’Aïr (Somaïr). Fin 2006, l’entreprise a franchi la barre des 100 000 tonnes traitées depuis l’origine. Mais elle est de plus en plus concurrencée dans ce bastion historique. Actuellement sixième producteur mondial, le Niger veut tripler sa production, aujourd’hui de 3 000 tonnes par an et souhaite accueillir de nouveaux investisseurs. Alors que les concessions d’Areva expireront entre 2008 et 2009 et que les négociations pour leur renouvellement n’ont pas encore abouti, il y a fort à parier que les autorités de Niamey veuillent faire monter les enchères pour « diversifier les partenaires économiques », explique le porte-parole du gouvernement, Mohamed Ben Omar. « Cette situation ne nous inquiète pas outre mesure », rétorque l’un des responsables d’Areva, sous le couvert de l’anonymat.

De fait, le groupe multiplie les opérations pour intensifier sa présence ailleurs en Afrique. Fin janvier, il a signé un accord de coopération avec le Bureau national libyen pour la recherche et le développement en vue d’explorer les réserves potentielles d’uranium dans le sud du pays. Areva est par ailleurs fournisseur d’équipements de la Société tunisienne de l’électricité et du gaz (Steg), dans le cadre de deux contrats qui datent de 2005. Mais sa visibilité devrait surtout s’intensifier en Afrique du Sud, où il opère depuis une trentaine d’années. En 1985, le groupe français a construit la centrale de Koeberg, dans la région du Cap, et il est toujours lié au géant Eskom, l’électricien public, dans le cadre d’un contrat d’assistance technique. Unique centrale nucléaire du continent à ce jour, Koeberg produit actuellement 6 % de l’énergie électrique du pays (contre 90 % pour le charbon). En 2004, Eskom a annoncé un plan d’investissements portant sur la mise en service de 20 000 MW supplémentaires, qui seront en partie produits par un nouveau parc nucléaire comprenant quatre à six réacteurs. Areva est étroitement associé à ce chantier, ainsi qu’à plusieurs entreprises sud-africaines, notamment Lesedi Nuclear Services, société du Black Economic Empowerment (BEE), leader dans le secteur de l’ingénierie nucléaire, dont il détient 51 % du capital.

Un nouveau maillon pourrait bientôt s’ajouter à cet ancrage africain, si aboutit l’offre publique d’achat (OPA) amicale lancée par Areva le 15 juin sur le canadien UraMin, dont il détient déjà 5,5 %. Bien accueillie par les marchés boursiers, l’offre porte sur l’intégralité des actions d’UraMin sur la base d’un prix de 7,75 dollars, six fois ce qu’elles valaient lors de l’introduction en Bourse il y a un an. L’entreprise se voit ainsi valorisée à 2,5 milliards de dollars, soit seize fois la valeur de ses actifs ! C’est beaucoup – envolée des cours de l’uranium mise à part – pour une « junior », mais il est vrai qu’elle est déjà très impliquée en Afrique. En plus de plusieurs mines au Canada, UraMin explore les importants sites de Trekkopje en Namibie, de Bakouma en Centrafrique et de Ryst Kuil en Afrique du Sud. Dans ce dernier pays, elle a déposé des demandes de licence pour des gisements dans la région semi-désertique du Karro. Enfin, elle prospecte au Mozambique et au Tchad. Sans oublier le Niger, où UraMin a décidé d’investir plus de 8 millions de dollars après l’obtention en mai, en même temps que le canadien Global Uranium Corporation, de quatre permis couvrant 1 800 km2 dans le Nord, près d’Agadez. Ces chantiers ne figurent toutefois pas dans le périmètre de la reprise d’Areva, qui recherche avant tout « une diversification géographique ». La mise en production des sites sud-africain et centrafricain pourrait intervenir rapidement selon le groupe français. « Ces gisements offrent une perspective de production annuelle de 18 millions de livres d’uranium de type U308 », explique un porte-parole. À condition toutefois que l’opération aboutisse. D’après le Wall Street Journal, UraMin serait en négociation depuis plusieurs semaines avec la China National Nuclear Corporation. La Chine, elle aussi, veut augmenter la part du nucléaire dans sa production d’électricité et s’intéresse à l’Afrique.

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