Archéologue iconoclaste

Sur le chantier de la vallée du Bouregreg, Mohamed es-Semmar dirige les fouilles avant l’entrée en action des bulldozers.

Publié le 25 juin 2007 Lecture : 3 minutes.

« A l’époque du roi Hassan II, je ne faisais pas l’unanimité », se souvient en souriant Mohamed es-Semmar. Il est vrai que ce fier docteur en histoire médiévale et auteur d’une thèse d’archéologie islamique n’était pas bien vu. La cause de sa disgrâce ? Une théorie selon laquelle Rabat et Salé, même séparées par un fleuve, formaient à l’origine une seule et même ville. Comme Paris ou Londres, en somme. Pas de quoi l’envoyer en exil, certes. Seulement voilà, sa thèse dérangeait le discours dominant. Le fait que Rabat la royale et Salé la populeuse puissent être une seule et même agglomération rebutait l’entourage du roi. La cour, exclusivement constituée de R’batis à l’esprit de clocher, n’avait de cesse de bien séparer le bon grain de l’ivraie. À nous les allées majestueuses et les espaces verts, à eux la déchetterie et les rues sales. Comme si Rabat ne pouvait tenir son rang qu’en éloignant de sa vue l’autre rive. C’est ainsi qu’au fil des ans la partie « noble » s’est enfermée dans un immobilisme repu, pendant que, sur l’autre, s’accumulaient les problèmes d’urbanisme et de surpopulation.

Jusqu’à ce qu’un esprit nouveau, avec Mohammed VI, souffle enfin sur le Makhzen. Et aussi dans la vallée. Cette vallée du Bouregreg devenue subitement attractive, après avoir été longtemps délaissée. Et que Mohamed es-Semmar, dans son coin, n’a jamais cessé d’étudier. Au point d’être aujourd’hui considéré comme son meilleur spécialiste. Si bien qu’à la création de l’Agence pour l’aménagement de la vallée du Bouregreg c’est à lui qu’on a confié le soin de préserver, de restaurer et de mettre en valeur le patrimoine historique de ce domaine d’environ 6 000 hectares.
« Une première au Maroc, explique cet historien r’bati, qui a soutenu sa thèse à la Sorbonne (Paris) en 1994. Jamais, auparavant, l’archéologue et l’aménageur n’avaient travaillé ensemble. » Cette fois, Mohamed es-Semmar a donc son mot à dire avant l’entrée en action des bulldozers.
C’est ainsi que dès novembre 2001 des fouilles effectuées au pied de la muraille des Oudayas, à quelques mètres du tracé du futur tunnel qui passera sous la kasbah, mettent au jour un nouveau site : le Ribat Tachfin. Il y a là un cimetière datant de la première moitié du XIIe siècle (époque Almoravide), ainsi qu’un ancien entrepôt d’armes du XVIIe siècle. La découverte d’une porte voûtée sur ce même site lui a permis, en outre, d’établir avec certitude que la célèbre rue des Consuls, là où commence la médina, se prolongeait à l’époque jusqu’aux Oudayas. L’archéologue en jubile encore.

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Sur la muraille, les travaux ont déjà commencé. Ils se feront en quatre étapes, depuis le décapage des revêtements non authentiques jusqu’au lissage d’un enduit de finition qui rendra à l’enceinte l’aspect qu’elle avait au XIXe siècle, avant qu’elle ne soit restaurée avec des matériaux modernes. Mais il restera encore beaucoup à faire. Aussi bien du côté de Rabat (front fluvial de la médina – bab al-Bahr -, façade maritime des Oudayas, skalas, phares, esplanade de la tour Hassan, Chellah, etc.) que du côté de Salé (enceinte de la médina et son arsenal mérinide, cimetière, mausolée de Sidi Ben Achir, etc.). Du travail pour au moins dix ans. Mohamed es-Semmar assure que non. Tout devrait être terminé vers 2012. Et peut-être même avant.
Reste à espérer que rien ne soit fait dans la hâte. On pourrait craindre, par exemple, que sous l’effet d’une réhabilitation trop rapide, ou trop voyante, le Chellah perde un peu de cette beauté si particulière qui fait son charme aujourd’hui. Avec son jardin ombragé à l’ancienne, ses recoins oubliés, ses ruines romaines écroulées dans leur nid d’herbes folles, il est l’endroit rêvé pour une déclaration d’amour. Les jeunes couples r’batis le savent bien. Si vous vous promenez au Chellah, marchez en silence. Et tendez l’oreille. On peut entendre leurs murmures derrière le feuillage. Ce serait bien dommage qu’ils se taisent.

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