Guinée : à Kaporo-Rails, un déguerpissement qui « ira jusqu’au bout »

L’État a lancé une opération de déguerpissement musclée dans la banlieue de Conakry, en vue de poursuivre le développement du centre directionnel de Koloma, qui doit permettre de décongestionner le quartier administratif et des affaires de Kaloum. Plusieurs commerces ont été démolis et des habitations sont en sursis, au grand désarroi des occupants.

Une vendeuse du marché Kaporo-Rails, dans la banlieue de Conakry, emporte ses affaires avant l’intervention des buldozzer, le 20 février 2019. © Abou Bakr

Une vendeuse du marché Kaporo-Rails, dans la banlieue de Conakry, emporte ses affaires avant l’intervention des buldozzer, le 20 février 2019. © Abou Bakr

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Publié le 22 février 2019 Lecture : 3 minutes.

Mercredi, au marché de Kaporo-rails, dans la banlieue de Conakry. La circulation est difficile sur l’axe Bambéto-Kipé. En cause, un incessant va-et-vient de dizaines de personnes, des femmes pour la plupart, traversant en tous sens, les bras chargés de tôles, de portes, de morceaux de bois ou de denrées alimentaires. Ce sont les vendeuses qui s’affairent pour sauver leurs marchandises et leurs meubles de l’avancée des bulldozers.

La veille, Ibrahima Kourouma, ministre de la Ville et de l’aménagement du territoire, a prévenu : le déguerpissement « ira jusqu’au bout ». Venu sur place accompagné d’un contingent d’agents de sécurité dirigé par le haut commandant de la gendarmerie nationale, le général Ibrahima Baldé, le ministre a donné ses ordres, qui ont été suivis à la lettre dès le lendemain. Kiosques, hangars, bicoques… tout a été démonté par les propriétaires eux-mêmes avant même que les machines n’entrent en action.

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Déguerpissement dans l’urgence

Opération de déguerpissement dans le quartier de Kaporo-Rails, dans la banlieue de Conakry, le 21 février 2019. © Abou Bakr

Opération de déguerpissement dans le quartier de Kaporo-Rails, dans la banlieue de Conakry, le 21 février 2019. © Abou Bakr

Nous sommes sensibles à la situation de ces femmes, mais la priorité est de récupérer les domaines de l’État

« J’ai mis trois mois à édifier les deux kiosques qu’occupaient ma femme et sa belle-sœur. On a dû tout démonter en une seule journée », raconte, presqu’en larmes, Bhoye Barry. Chauffeur de profession, il est actuellement au chômage. Ce petit commerce était jusqu’à présent l’unique source de revenus pour les huit membres que compte sa famille.

Assise sur des décombres, Fatoumata Binta jette un regard désolé sur les ruines de ce qui fut sa boutique. Elle regrette que les délais aient été si court qu’ils ne lui ont pas permis de s’organiser. « Nous n’avons pas eu beaucoup de temps. Hier, un gendarme est passé nous dire de vider nos étals, en prévenant qu’ils viendraient aujourd’hui pour tout raser. On a commencé tout de suite à transporter nos marchandises à la maison », assure-t-elle.

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« Les gens ont été prévenus depuis longtemps », affirme au contraire Ibrahima Kourouma. « Nous sommes sensibles à la situation de ces femmes, mais la priorité, actuellement, est de récupérer les domaines de l’État », insiste le ministre de la Ville et de l’aménagement du territoire, contacté par Jeune Afrique. Jusqu’ici, les maisons d’habitation n’ont pas été touchées. La croix rouge tracée sur leurs murs rappelle toutefois que leur démolition n’est qu’une question de jours voire d’heure, comme l’a confirmé Ibrahima Kourouma.

La famille Dem, qui réside dans l’une de ces maisons, est déjà en alerte. « J’ai quatre femmes et plus de dix-huit enfants qui vivent dans cette maison, sans compter ceux qui sont à l’aventure », détaille Thierno Oumar Dem, père de famille âgé d’une soixantaine d’années qui affirme avoir acheté la parcelle sous le régime de Sékou Touré, il y a près de quarante ans. « Quand j’ai construit ma maison, la route n’existait pas, pas plus que ce marché », continue le sexagénaire, qui assure n’avoir pas pris le temps de manger de la journée. « Je suis trop soucieux de savoir où je logerai tout ce beau monde. »

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« Tous ceux qui s’y sont installés l’ont fait illégalement »

Le programme « Grand Conakry vision 2040 » du président Alpha Condé prend forme. Et cette partie du quartier Kaporo-Rails, zone réservée de l’État, y est intégré. L’État veut en effet y développer le centre directionnel de Koloma, qui accueillera les départements ministériels, avec pour objectif de décongestionner le quartier administratif et des affaires de Kaloum. C’est un site de 265,7 hectares

Les sièges de la télévision d’État, de l’Autorité de régulation des postes et télécommunication et de l’ambassade des Etats-Unis y ont déjà été construits. D’autres chantiers sont en cours.

Les projets de rénovation urbaines sont en outre anciens, insiste le ministre de la Ville et de l’aménagement du territoire, qui juge que les personnes déguerpies étaient prévenues. « Kaporo-Rails est un domaine réservé de l’État conformément au décret 211 pris en 1989. Les occupants le savent bien. Il y a eu un premier déguerpissement en 1998 qui a partiellement libéré le site. Tous ceux qui s’y sont installés l’ont fait illégalement. Pour preuve, les constructions ne sont pas durables », insiste Ibrahima Kourouma, qui dit s’étonner de l’écho médiatique sur ce déguerpissement, qui s’inscrit dans une opération de plus grande envergure. « Nous sommes engagés depuis un bon moment dans un travail de récupération des domaines de l’État. Le site de Kaporo-Rails porte sur 265 ,7 hectares, et au total, il y a plus de 46 000 hectares qui ont été immatriculées. »

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