Les hommes de l’ombre de la crise libyenne

Ils ne disposent pas de mandat, ni de poste officiel mais pèsent sur des dossiers internationaux hautement sensibles. La crise libyenne, qui se prolonge notamment du fait de la rivalité entre leaders politiques, a donné matière à agir à ces hommes d’influence, affairistes, lobbyistes, intermédiaires et autres consultants.

Des combattants libyens dans l’Est, en 2015 (photo d’illustration). © Mohamed Ben Khalifa/AP/SIPA

Des combattants libyens dans l’Est, en 2015 (photo d’illustration). © Mohamed Ben Khalifa/AP/SIPA

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Publié le 24 février 2019 Lecture : 5 minutes.

« C’est de la diplomatie parallèle », tranche Jean-Yves Ollivier, dans une interview accordée à JA en août 2018, lorsqu’on lui demande de définir son rôle de médiation entre les parties libyennes. L’homme d’affaires français, proche du président congolais Denis Sassou-Nguesso, est à l’origine d’une initiative de dialogue inter-libyen et défend l’idée d’une réconciliation nationale préalable à toute sortie de crise. À travers sa « Fondation Brazzaville », il organise des rencontres avec différents protagonistes de la crise libyenne entre 2017 et 2018, comme à Dakar en mai 2018.

C’est sous ses auspices que Béchir Saleh, ancien cacique du régime Kadhafi, et Abdelhakim Belhadj, ex-membre d’Al-Qaïda à la tête du parti islamiste Al Watan, se retrouvent à Istanbul en août 2017. La réunion entre les deux extrémités du spectre politique est caractéristique de la méthode Ollivier : brasser large et rassembler le plus de Libyens possible. N’exclure personne, pas même les kadhafistes, dont il dénonce la mise à l’écart lors des accords de Skhirat au Maroc en 2015.

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S’il se défend de prendre son parti, Jean-Yves Ollivier n’hésite pas à dépeindre Seif al-Islam Kadhafi en « symbole de la réconciliation ». Pourquoi un tel activisme ? Le médiateur assure jouer les facilitateurs de façon désintéressée. « Si des possibilités [économiques, ndlr] se présentent demain en Libye, pourquoi devrais-je y renoncer ? », admet-il cependant au cours de son interview. Il affirme ne pas vouloir aller à contre-courant de la diplomatie française en Libye, mais n’en critique pas moins l’approche trop centrée sur les têtes d’affiche que sont Fayez al-Sarraj et Khalifa Haftar.

Le rôle de Michel Scarbonchi

La réunion des deux principaux rivaux de la scène libyenne sous la houlette du président français Emmanuel Macron à la Celle Saint Cloud près de Paris en 2017 doit beaucoup à Michel Scarbonchi, même s’il n’a pas directement participé aux préparatifs de la rencontre. Cet ancien député européen chevènementiste est aujourd’hui consultant. Une activité qui, assure-t-il, n’a rien à voir avec son rôle dans le dossier libyen : « Un intermédiaire, ça veut dire qu’il y a transaction. Or, tout ce que j’ai fait en Libye découle d’une conviction forte. »

En 2011, alors que le régime de Kadhafi est menacé, il se prononce dans les colonnes du quotidien Le Monde contre l’intervention de la coalition et part même en août à Tripoli avec quelques élus français. « J’avais écrit à François Hollande pour qu’il fasse une tribune contre cette guerre. Il n’a pas bougé un doigt », se souvient-il. Après la chute du régime, quelques années passent avant que la personnalité du maréchal Haftar n’attire son attention, en 2016 : « J’avais compris que la clé de la Libye future, c’était lui. Quand vous connaissez la géopolitique vous comprenez tout de suite où est l’homme fort. Sarraj est un pantin aux mains de l’ONU et des milices islamistes. Haftar lui se battait contre les jihadistes. »

C’est grâce à la journaliste Roumiana Ougartchinska, l’une des rares alors en contact avec le maréchal Haftar, que le premier lien entre Michel Scarbonchi et le clan Haftar se noue. Fin 2016, elle lui présente le conseiller diplomatique du maréchal, Fadel el-Deeb. À Paris, le courant entre les deux hommes passe, et Michel Scarbonchi lui fait rencontrer Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense : « Jean-Yves Le Drian l’a débriefé et là il s’est aperçu de l’importance du bonhomme (Haftar, ndlr). Tout part de là. »

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Michel Scarbonchi est ensuite invité à Benghazi pour rencontrer Khalifa Haftar. »J’ai passé à peu près 4 heures avec lui, et je m’aperçois que ce type est un peu le De Gaulle libyen », estime Michel Scarbonchi. Emmanuel Macron vient alors d’être élu. Fin mai, Michel Scarbonchi publie une tribune dans le Huffington Post titrée « Pourquoi Macron doit s’emparer du dossier libyen pour enfin y trouver une issue ». Le consultant conseille aussi au maréchal d’écrire une lettre de félicitations au nouveau président, tâche dont il s’acquitte lui-même avec Fadel el-Deeb. Michel Scarbonchi se charge de remettre la lettre au secrétariat de la cellule diplomatique du président français – « je n’ai jamais rencontré Macron en personne », assure-t-il. « Le président a été touché je crois. Un mois après, il invitait Sarraj et Haftar à la Celle-Saint-Cloud. »

Michel Scarbonchi a-t-il touché de l’argent au titre de ses efforts ? « J’ai travaillé gratuitement, pour le plaisir de me sentir utile. Ca m’a probablement évité beaucoup d’ennuis ! » se félicite-t-il. Que pense-t-il des avancées de son favori, dans le Sud du pays ? Michel Scarbonchi assume de ne pas croire au processus politique libyen et appuie la méthode forte du maréchal. Selon lui, les récents bombardements français au Tchad étaient également destinés à soutenir son offensive dans le Sud.

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Le consultant évoque également sa relation avec Paul Soler, parfois décrit comme le « Monsieur Libye » de l’Elysée, avec qui il reconnaît une communauté de vues sur le dossier libyen. Cet ancien des forces spéciales françaises, aujourd’hui commandant dans l’armée de terre, serait très courtisé par différentes parties libyennes soucieuses d’influer la position française. « Il a probablement contribué à resserrer les liens entre Haftar et les Français », affirme Scarbonchi.

Le Tunisien Mohammed Ayachi Ajroudi

Autre habitué du Congo-Brazzaville, dont le président Sassou-Nguesso dirige le Comité de Haut-niveau de l’Union africaine sur la Libye, le Tunisien Mohammed Ayachi Ajroudi. L’homme, qui possède des affaires dans les domaines du traitement des eaux, de l’import-export et de l’immobilier, conseille des industriels français désireux d’investir au Congo. Lui qui se présente comme un « dirigeant engagé et philanthrope » est chaudement remercié le 26 novembre 2017 par Ageli Abdulslam Breni le président du Haut conseil des villes et tribus libyennes, lors d’une réunion dans la capitale congolaise qui se tient sous l’égide de Denis Sassou-Nguesso. « C’est un patriote qui nous a toujours prêté main-forte », affirme le responsable libyen, proche des cercles kadhafistes. Le Tunisien a en effet joué un rôle clé dans l’organisation de la rencontre.

Parmi les soutiens français du clan kadhafiste, Marcel Ceccaldi, avocat de Marine Le Pen, du couple Gbagbo et surtout de Seif al-Islam Kadhafi. L’homme s’était lui aussi opposé à une intervention contre le régime du Guide, dont la chute est pour lui le fruit d’un complot international. Le 13 décembre dernier, il organise un colloque au Méridien à Paris dont l’objectif central est de déplorer les conséquences de l’intervention onusienne en Libye. Fort de son entregent africain, notamment au sein de l’Union africaine, il joue aujourd’hui un rôle de médiation entre différents clans. Il s’est notamment rendu à Tunis en février 2014 pour y rencontrer des représentants de Tawerghas victimes de révolutionnaires libyens, lesquels perçoivent les membres de cette tribu comme des soutiens de l’ancien régime.

Les relations de l’homme d’affaires Maroco-suisse Mohamed Benjelloun avec la Libye remontent à loin. Déjà en 2005, il recevait sur les bords du lac Léman une délégation libyenne afin de discuter de l’organisation d’événements continentaux (rencontres sportives, conférences…), dans l’idée de faire revenir Tripoli sur la scène internationale. Son entreprise General Orient se consacre à l’intermédiation et à la mise en contact d’hommes d’affaires européens, africains et arabes, une compétence utile dans le dossier libyen. Ce proche du roi Mohammed VI a notamment joué les intermédiaires entre le Comité des cheikhs et dignitaires libyens et l’Elysée.

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