Scène de ménage

Poursuite de la colonisation de la Cisjordanie, conséquences de la guerre en Irak, menace nucléaire iranienne… Depuis quelques mois, tout est prétexte à fâcheries entre les alliés jadis indéfectibles.

Publié le 25 avril 2005 Lecture : 6 minutes.

Bien que les deux parties fassent ce qu’elles peuvent pour le dissimuler, de sérieuses tensions commencent à se faire jour dans les relations à la fois étroites et complexes entre les États-Unis et Israël. Le point de divergence le plus évident concerne, bien sûr, la création de nouvelles colonies en Cisjordanie, en violation flagrante de la feuille de route. Le président George W. Bush l’a dit et répété : « Il ne devrait pas y avoir d’extension des colonies. » Comme si de rien n’était, le Premier ministre israélien Ariel Sharon va de l’avant.
L’autre semaine, Israël a annoncé un programme de construction de 50 logements dans la colonie d’Elkana, qui fait partie du bloc Ariel, situé très à l’intérieur de la Cisjordanie, à quelque 6 km de la Ligne verte. Encore plus controversé est le plan de construction de 3 500 logements à Maale Adumin. L’objectif de l’opération est de relier la colonie à Jérusalem, en isolant du même coup la ville de son arrière-pays arabe et en coupant la Cisjordanie en deux.
Le pari de Sharon est que, dans le climat de violence suscité en Israël par le désengagement de Gaza, Bush n’osera pas trop le bousculer. Une vraie querelle israélo-américaine risquerait de provoquer une crise politique à Jérusalem et, accessoirement, la chute de Sharon et l’abandon du plan de désengagement de Gaza. Ce que Bush veut à tout prix éviter. Pour lui, le départ d’Israël de Gaza doit être la première étape d’un règlement global.
Les États-Unis demandent à Israël d’achever le retrait de Gaza au cours de cet été, puis d’entreprendre l’élimination de 45 avant-postes illégaux et de mettre en oeuvre la feuille de route. Or Sharon n’a rien fait concernant lesdits avant-postes et semble fort peu pressé d’appliquer la feuille de route, qui prévoit un gel total des colonies. Au contraire, il profite de la situation actuelle pour favoriser leur extension et parachever la construction de la barrière de sécurité. Au bout du compte, l’opération se traduira par la mainmise d’Israël sur 10 % de la Cisjordanie, sans parler de l’annexion de la Jérusalem-Est arabe et de ses environs. Manifestement, la vision sharonienne d’une entité palestinienne tronquée, mutilée et sous domination israélienne est très différente de l’État palestinien indépendant et viable que Bush appelle de ses voeux.
Ce qui trahit un désaccord plus profond. L’administration américaine est opposée à une nouvelle expansion territoriale israélienne parce qu’elle a le sentiment que la mort de Yasser Arafat et la fin de l’Intifada armée représentent une occasion unique de régler de façon durable le conflit israélo-palestinien. Si Bush parvenait à ses fins, ce serait politiquement un coup de maître, qui effacerait, au moins en partie, les bévues de la guerre d’Irak. Il se taillerait dans les livres d’histoire une place de grand président. Mais Sharon est davantage soucieux de consolider l’environnement géopolitique de son pays que de signer un accord qui impliquerait inévitablement des concessions territoriales – y compris à Jérusalem-Est. De fait, le chef du gouvernement israélien a déjà entrepris de saborder Mahmoud Abbas, le nouveau président de l’Autorité palestinienne, en le présentant comme faible, inefficace et incapable de tenir en main les extrémistes de son camp, encore moins de démanteler ce qu’il se plaît à appeler « l’infrastructure du terrorisme ».
D’autres signes d’une tension entre Washington et Jérusalem sont perceptibles. Le FBI poursuit ainsi son enquête sur les liens suspects, proches de l’espionnage, existant entre certains fonctionnaires du département de la Défense et Israël, prétendument par l’intermédiaire de l’Aipac, le puissant lobby pro-israélien.
Par ailleurs, l’administration Bush a exclu Israël du projet de développement du Joint Strike Fighter, la prochaine génération de l’avion militaire américain, pour le punir d’avoir livré des armes à la Chine, notamment des technologies militaires de pointe développées ou financées par les États-Unis. Il y a enfin l’héritage de la guerre d’Irak. Nul n’ignore, à Washington, qu’Israël a largement influencé, soit directement, soit par l’intermédiaire de ses amis bien placés au sein de l’administration, la décision d’attaquer, d’envahir et d’occuper l’Irak. Le résultat est que ce pays a été écrasé, qu’il se trouve aujourd’hui gravement affaibli et qu’il ne réussira sans doute pas à se relever avant au moins une génération. Il ne représente certes plus la moindre menace pour Israël, mais le prix en hommes et en argent que l’Amérique a été contrainte de payer est lourd. D’autant que la guerre a suscité un antiaméricanisme exacerbé dans une grande partie du monde arabo-musulman.
Les États-Unis sont désormais en train de corriger le tir. En douceur. Paul Wolfowitz, le secrétaire adjoint à la Défense (et principal architecte de la guerre), a été déplacé à la Banque mondiale. Et son collègue Douglas Feith, autre ardent « ami d’Israël », dont le Bureau des plans spéciaux a fabriqué de faux renseignements sur les prétendues armes de destruction massive de Saddam Hussein, doit quitter le Pentagone au cours de l’été. Last but not least, la Maison Blanche a nommé un spécialiste des relations publiques doté de pouvoirs considérables pour tenter de recoller les morceaux avec les Arabes et les musulmans. Tout cela n’est pas vraiment du goût d’Israël.
Autre grande divergence israélo-américaine : l’évaluation de la menace représentée par le présumé programme nucléaire iranien. Pendant une grande partie de l’année dernière, des personnalités israéliennes de premier plan ont clamé que ce programme constituait une menace « existentielle » pour l’État hébreu, thème repris presque quotidiennement par la presse. Pour Israël, la capacité de l’Iran à fabriquer des armes atomiques se rapproche inexorablement du « point de non-retour ». Sharon a insisté auprès de Bush pour qu’il règle le cas de l’Iran, soit en bombardant ses sites nucléaires, soit en obtenant du Conseil de sécurité de l’ONU qu’il décrète des sanctions. Mais le point de vue américain – tel qu’il est apparu lors de la récente rencontre entre Sharon et Bush, dans son ranch de Crawford, au Texas – est que l’Iran ne sera pas capable de fabriquer une bombe avant le début de la prochaine décennie. Il n’y a donc pas de menace immédiate, et sûrement pas de risque « existentiel ». C’est en vain que Sharon a étalé les cartes de ses services de renseignements montrant de prétendus sites nucléaires en Iran. La vérité est que Washington a aujourd’hui acquis la conviction qu’Israël, pour la première fois, peut-être, de son histoire, n’est plus le moins du monde menacé par aucun de ses voisins.
Les preuves en sont évidentes. L’Irak a été détruit ; l’Égypte et la Jordanie ont fait la paix depuis longtemps ; la Libye a volontairement désarmé ; et la Syrie, chassée du Liban par la pression internationale, est affaiblie et déstabilisée.
Les responsables iraniens sont engagés dans une négociation avec les Européens en vue de l’éventuelle suspension de leur programme d’enrichissement de l’uranium. Même si les pourparlers échouent, il existe certainement des moyens de contrer les velléités agressives des mollahs. Naguère menaçant, l’axe Téhéran-Damas-Sud-Liban ne fait plus peur à grand monde. Sans doute le Hezbollah n’a-t-il pas encore désarmé, mais ce n’est qu’une question de temps, dans la mesure où il cherche à obtenir sa juste place sur la scène politique libanaise. Selon des sources dignes de confiance, la position de Washington est qu’Israël devrait saisir cette occasion unique de conclure une paix globale avec tous ses voisins, et même envisager une réduction partielle de ses armes conventionnelles et non conventionnelles. À quoi lui aurait servi le Joint Strike Fighter ? Et l’Iran se laisserait assurément plus facilement convaincre de renoncer à ses ambitions nucléaires si Israël, de son côté – première étape vers une zone moyen-orientale dénucléarisée -, acceptait de se laisser contrôler, comme le Dr Mohamed al-Baradei, le patron de l’Agence internationale de l’énergie atomique, le demande depuis longtemps.

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