[Tribune] Relevons le niveau du débat politique ivoirien !

Débats télévisés rares, recrudescence de la violence verbale entre hommes et femmes politiques, peu de propositions formulées dans les médias… Cette propension au rabaissement du débat public en Côte d’Ivoire doit cesser.

Ces dernières semaines en Côte d’Ivoire ont été marquées par une recrudescence de la violence verbale entre certains dirigeants politiques. © REUTERS/Thierry Gouegnon

Ces dernières semaines en Côte d’Ivoire ont été marquées par une recrudescence de la violence verbale entre certains dirigeants politiques. © REUTERS/Thierry Gouegnon

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  • André Silver Konan

    Journaliste et éditorialiste ivoirien, collaborateur de Jeune Afrique depuis Abidjan.

Publié le 27 février 2019 Lecture : 3 minutes.

L’image est saisissante. Nous sommes le 8 février, au palais de l’Assemblée nationale ivoirienne. Guillaume Soro, président de l’institution depuis sept ans, est sur le point de démissionner. Dans la salle, une élue se prête au petit jeu des selfies avec ses collègues : c’est Mariame Traoré, une députée issue du Rassemblement des républicains (RDR, le parti d’Alassane Ouattara). Quelques jours plus tôt, dans une vidéo qui a affolé les réseaux sociaux, elle a injurié sans retenue Sita Coulibaly, la responsable de l’Union des femmes du Parti démocratique de Côte d’Ivoire [UFPDCI], proche d’Henri Konan Bédié.

Sa diatribe, aussi violente que grossière, aurait pu indigner. N’importe où ailleurs, cela aurait suffi à l’ostraciser. Mais en Côte d’Ivoire, pour une partie de ses pairs de l’hémicycle, son acte relève de l’héroïsme.

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Cette députée de Tengréla, dans l’extrême nord du pays, est devenue le visage de l’injure publique, et l’accueil dont elle bénéficie au sein de son parti est la preuve de la dégradation du niveau du débat politique dans le pays.

>>> À LIRE – Côte d’Ivoire : quand des femmes du RHDP militent pour la pacification du débat politique

Politiques, médias, opinion publique : tous responsables

Ces derniers mois, hommes et femmes politiques de tous bords ont échangé noms d’oiseaux et adjectifs dévalorisants, voire injurieux. Ils en portent bien sûr la responsabilité première. Mais les médias, qui s’en délectent, n’en sont pas moins coupables. Au même titre finalement que l’opinion publique, qui se montre bien trop peu exigeante à l’égard des politiques.

Les acteurs significatifs de la scène politique préfèrent conduire les masses sur le chemin de la violence verbale pour ne pas avoir à réfléchir à des propositions concrète

Comment en est-on arrivé là ? « Les acteurs significatifs de la scène politique préfèrent conduire les masses sur le chemin de la violence verbale pour ne pas avoir à réfléchir à des propositions concrètes dans le cadre de la gouvernance publique », résume l’analyste politique Innocent Gnelbin. Et alors que « le débat public devrait permettre la sélection naturelle des figures politiques en fonction de la pertinence de leur argumentation », selon les mots de l’essayiste Geoffroy-Julien Kouao, les médias peinent à organiser des discussions contradictoires de qualité.

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Des débats télévisés annulés

Ainsi, à plusieurs reprises, un présentateur vedette de la Radiodiffusion télévision ivoirienne (RTI) a été contraint d’annuler son émission de débat (l’une des rares encore diffusées sur la chaîne publique, qui, par moments, se transforme en télévision du parti présidentiel), faute d’intervenants – lesquels ont esquivé l’invitation par crainte de tracasseries administratives autant que par peur d’étaler au grand jour les limites de leur propre argumentation.

Il est rare que, sur les sujets d’actualité ou les questions de fond, les citoyens comprennent le positionnement de leurs dirigeants

On se souvient du débat télévisé qui, avant la présidentielle de 2010, avait opposé Laurent Gbagbo à Alassane Ouattara. Mais depuis, plus rien ou presque ! Les Ivoiriens n’ont pas vu quelqu’un comme Henri Konan Bédié participer à une joute verbale depuis… son entrée en politique, il y a un demi-siècle ! Il est donc rare que, sur les sujets d’actualité ou les questions de fond, les citoyens comprennent le positionnement de leurs dirigeants (à l’exception peut-être de celui de Mamadou Koulibaly, président de l’Assemblée nationale sous Laurent Gbagbo, qui développe régulièrement son projet de société).

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Qui peut dire ce que pensent Guillaume Soro, Pascal Affi N’Guessan, le président du Front populaire ivoirien [FPI], Henriette Dagri Diabaté, la présidente du RDR, ou Albert Toikeusse Mabri, le chef de l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire [UDPCI], du franc CFA ? Qui sait ce que les uns et les autres proposent pour régler la crise qui secoue depuis plusieurs semaines l’Éducation nationale et l’Enseignement supérieur ? À dire vrai, personne. Les acteurs politiques ivoiriens sont certes omniprésents dans les médias, mais c’est le plus souvent pour réagir à l’annonce de funérailles ou parler des cérémonies qu’ils parrainent. Il est rare qu’ils formulent des propositions. Cette propension au rabaissement du débat public doit cesser.

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