Opération « mains propres »

Personne n’échappe à la campagne anti-corruption engagée par le chef de l’État. Ni les membres de son gouvernement, ni même ceux de sa famille.

Publié le 25 avril 2005 Lecture : 3 minutes.

D’aucuns l’ont pensé va-t-en-guerre et uniquement soucieux de se ménager l’opinion internationale, mais le président nigérian Olusegun Obasanjo s’accroche à son opération « mains propres » et marque des points. La lutte contre la corruption est désormais bien engagée. La dernière affaire en date éclabousse sa propre épouse, Stella. La famille de cette dernière était en passe de bénéficier d’une vente discrétionnaire de maisons appartenant à l’État et situées à Ikoyi, le quartier chic de Lagos. Dans la lettre de limogeage adressée, le 4 avril, à sa ministre du Logement, Alice Mobolaji Osoma, Obasanjo explique qu’il « dispose d’un document qui [lui] a été envoyé anonymement où figurent les noms de 207 personnes auxquelles ont été alloués des terrains ou des propriétés en cachette, pour certaines après paiement, pour d’autres après versement d’un simple dépôt, parfois même sans rien. […] » « Je me sens aussi personnellement gêné, ajoute-t-il, puisqu’il apparaît que la plupart des membres de ma belle-famille figurent sur cette liste. » Celle-ci contiendrait les noms de plusieurs autres ministres et de gouverneurs. La vente a été annulée, et les fonds versés restitués. L’alerte a été chaude pour tout le monde, même pour les innocents. Le vice-président Atiku Abubakar et le gouverneur de la Banque centrale du Nigeria, Charles Soludo, se sont sentis tenus de préciser qu’on leur avait fait une offre qu’ils ont stoïquement refusée.
Personne – ni dans le camp présidentiel, ni dans l’opposition – ne semble pouvoir échapper aux enquêteurs de la Commission sur les crimes financiers et économiques (EFCC). Ce qui semblait, il y a encore quelques mois, une bataille perdue d’avance contre une hydre insaisissable, prend des allures d’irréversible progrès dans les mentalités. Le 5 avril, le président du Sénat, Adolphus Wabara, a dû démissionner à cause des soupçons qui pesaient sur lui. Il est, à ce jour, le plus haut personnage de l’État à faire les frais de la croisade anticorruption. Loin d’être particulier, son cas constitue un « dommage collatéral » dans l’affaire qui a causé la perte du ministre de l’Éducation, Fabian Osuji. Ce dernier, ancien professeur de zoologie, brillant, intelligent, est aujourd’hui convaincu d’avoir versé des pots-de-vin – l’équivalent de 316 000 euros – à plusieurs parlementaires afin de leur faire approuver un budget ultragonflé pour son ministère. Tous les accusés, qui plaident non coupables, risquent des peines pouvant aller jusqu’à sept ans de prison.
Au moment où Osuji était limogé, le 4 avril, l’ancien chef général de la police, Tafawa Balogun, comparaissait devant la Haute Cour de justice. Il s’est vu notifier quelque soixante-dix chefs d’accusation au titre de détournements de fonds et blanchiment d’argent, pour un montant total de près de 76 millions d’euros. On lui reproche également de s’être livré à un chantage contre la Société générale Bank of Nigeria Ltd (SGBN) : il aurait contraint cet établissement financier à lui verser l’équivalent de 175 000 euros sous peine de se voir retirer tous les agents de sécurité qui assuraient la surveillance de ses filiales.
Le 12 avril, dans une adresse à la nation, le président Olusegun Obasanjo a mis l’accent sur le fait que personne, quels que soient ses opinions politiques ou son rang dans l’appareil d’État, n’est désormais à l’abri. « Ceux qui pratiquent la corruption ne sont pas mes ennemis personnels, mais ceux du Nigeria », a-t-il déclaré. Il n’a pas hésité non plus à évoquer un rapport paru dans la presse selon lequel son fils, Gbenga Obasanjo, aurait placé plusieurs millions de dollars sur un compte en banque aux États-Unis. « Que ceux qui en ont la preuve me l’apportent », a-t-il martelé. Au Nigeria, la corruption est presque le sport national favori, pratiqué à tous les échelons de la société. Triste prouesse qui lui fait tenir le troisième rang, après le Bangladesh et Haïti, au palmarès peu enviable de l’ONG Transparency International. Lors de sa réélection, en 2003, Obasanjo en avait fait un thème majeur de sa campagne. Il semble non seulement tenir ses promesses, mais également mettre en place un système susceptible de perdurer.

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