Soudan : changements dans les hautes sphères du pouvoir, mais la contestation perdure

Le président soudanais Omar el-Béchir a procédé samedi à des changements dans les hautes sphères du pouvoir au lendemain de l’annonce de l’état d’urgence et du limogeage des gouvernements fédéral et provinciaux, après deux mois de contestation antigouvernementale.

Le président soudanais Omar el-Béchir, lors d’un discours à Djouba en janvier 2014. © Ali Ngethi/AP/SIPA

Le président soudanais Omar el-Béchir, lors d’un discours à Djouba en janvier 2014. © Ali Ngethi/AP/SIPA

Publié le 24 février 2019 Lecture : 4 minutes.

Les organisateurs de la contestation ont réagi à ces mesures choc en assurant qu’elles n’empêcheraient pas les manifestants de poursuivre leur mouvement pour réclamer le départ du chef de l’État, qui selon des experts fait face à son plus grand défi en trois décennies.

Vendredi, le président Béchir a annoncé, dans un discours à la nation, « la dissolution du gouvernement aux niveaux fédéral et provincial » et décrété l’état d’urgence pour un an, affirmant que le Soudan traversait la situation « la plus difficile de son histoire ».

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Le Soudan est depuis le 19 décembre le théâtre de manifestations quasi quotidiennes déclenchées par la décision du gouvernement de tripler le prix du pain en plein marasme économique.

La contestation s’est vite transformée en un mouvement réclamant le départ du chef de l’État, âgé de 75 ans, qui tient le pays d’une main de fer depuis 1989 et envisage de briguer un troisième mandat lors de la présidentielle de 2020.

M. Béchir a limogé vendredi les gouvernements central et locaux, affirmant que le pays avait besoin de « gens qualifiés ».

Cinq ministres, dont ceux des Affaires étrangères, de la Défense et de la Justice, conserveront leur portefeuille, a-t-il dit.

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Il a en outre nommé à la tête des 18 provinces du pays 16 officiers de l’armée et deux responsables de la sécurité.

Samedi, il a limogé son premier vice-président et allié de longue date Bakri Hassan Saleh, le remplaçant par le ministre de la Défense Awad Ibnouf qui conserve son portefeuille.

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Il a en outre nommé au poste de Premier ministre Mohamed Taher Ela, ancien gouverneur de l’État agricole d’Al-Jazira, selon la présidence.

Nouvelles manifestations

« Béchir va concentrer les pouvoirs et cela va ouvrir la voie à une confrontation avec le mouvement de protestation qui pourrait devenir plus violente », craint Murithi Mutiga, de l’International Crisis Group.

Les manifestations, qui ont touché la capitale Khartoum et de nombreuses villes du pays, ont été réprimées par le puissant Service national du renseignement et de la sécurité (NISS).

Selon un bilan officiel, 31 personnes sont mortes depuis le 19 décembre. L’ONG Human Rights Watch (HRW) évoque le chiffre de 51 morts, dont des enfants et des personnels médicaux.

Aussitôt après l’annonce des mesures du président Béchir, les organisateurs de la contestation ont réaffirmé leur détermination à poursuivre leur mouvement.

« Le fait d’imposer l’état d’urgence montre la peur au sein du régime », a jugé l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), qui regroupe des partis d’opposition et l’Association des professionnels soudanais (APS), fer de lance de la contestation.

« Nous continuerons (…) à descendre dans la rue (…) jusqu’à ce que nos demandes soient entendues », a-t-elle ajouté.

Pour le parti al-Oumma de l’ancien Premier ministre Sadek al-Mahdi, qui fait partie de l’alliance, les dernières mesures ne sont « rien d’autre qu’un (nouveau signe) de l’échec » du régime.

« Rien ne satisfera le peuple qui sort dans les rues hormis la chute de ce régime », a ajouté dans un communiqué cette formation.

L’APS, qui regroupe notamment des médecins, enseignants et ingénieurs, avait appelé vendredi après le discours du président à poursuivre les manifestations jusqu’à la chute du régime.

Samedi soir, des foules de manifestants sont descendus dans la rue dans la ville d’Omdourman, voisine de Khartoum, et dans un quartier de la capitale, ont indiqué des témoins.

Les manifestants ont scandé « liberté, paix, justice », slogan de la contestation, et les forces de l’ordre ont tenté de les disperser à coups de gaz lacrymogène, selon ces mêmes sources.

« Ampleur de la crise »

Le NISS a arrêté depuis décembre des centaines de manifestants, leaders de l’opposition, militants et journalistes, d’après des ONG.

Vendredi encore, le rédacteur en chef du journal indépendant d’Al-Tayar, Osmane Mirghani, a été arrêté, a indiqué à l’AFP son frère Ali Mirghani. Le NISS a également confisqué samedi le tirage d’Al-Tayar, selon Ali Mirghani.

Le journaliste avait déclaré plus tôt que les mesures annoncées par le président ne parviendraient pas à stopper le mouvement de contestation.

La contestation a été largement motivée par la mauvaise situation économique du pays.

Au-delà de la baisse des subventions du pain, le Soudan, amputé des trois quarts de ses réserves de pétrole depuis l’indépendance du Soudan du Sud en 2011, est confronté à une inflation de près de 70% par an et fait face à un grave déficit en devises étrangères.

Les Soudanais doivent composer avec des hausses de prix et des pénuries d’aliments et de carburants.

« Le régime n’a jamais rien compris à l’économie », estime Eric Reeves, spécialiste du Soudan à l’université de Harvard pour qui l’état d’urgence ne va pas améliorer la situation économique.

Pour M. Mutiga, si les Soudanais, « soutiennent quasi unanimement les revendications des manifestants », c’est en raison notamment de « l’ampleur de la crise économique ».

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