[Décryptage] Présidentielle au Sénégal : le jour où Abdoulaye Wade est devenu abstentionniste

Il avait appelé au boycott d’une élection qu’il estimait jouée d’avance, en l’absence de son fils Karim et de Khalifa Sall. Pourtant le taux de participation a été nettement plus élevé qu’en 2012. Une stratégie « kamikaze » forgée quatre ans plus tôt, au climax de l’affaire Karim Wade…

Abdoulaye Wade a réitéré son appel à « brûler les bulletins de vote » à quelques jours de la présidentielle du 24 février au Sénégal, lors du comité directeur du PDS. © Sylvain Cherkaoui pou JA

Abdoulaye Wade a réitéré son appel à « brûler les bulletins de vote » à quelques jours de la présidentielle du 24 février au Sénégal, lors du comité directeur du PDS. © Sylvain Cherkaoui pou JA

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  • Mehdi Ba

    Journaliste, correspondant à Dakar, il couvre l’actualité sénégalaise et ouest-africaine, et plus ponctuellement le Rwanda et le Burundi.

Publié le 1 mars 2019 Lecture : 4 minutes.

Dans un bureau de vote à Fatick, lors du premier tour du scrutin pour la présidentielle 2019 au Sénégal. © Sylvain Cherkaoui pour Jeune Afrique
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Présidentielle au Sénégal : un « coup KO » réussi pour Macky Sall

La Commission nationale de recensement des votes a proclamé le jeudi 28 février Macky Sall vainqueur au premier tour de la présidentielle. Le président élu a aussitôt annoncé « tendre la main » à l’opposition, dont ses quatre adversaires avaient renoncé à contester les résultats devant le Conseil constitutionnel.

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Au lendemain de la proclamation des résultats provisoires de la présidentielle sénégalaise, les avis sont partagés au sujet du « ndigueul » abstentionniste prononcé par le guide spirituel de l’opposition. Les uns y voient la preuve de sa clairvoyance. N’avait-il pas annoncé, dans une vidéo postée le 5 février sur les réseaux sociaux (à 3’30 ») : « Certains, qui sont très avertis, ou des personnes de son entourage affirment qu’il [Macky Sall] a déjà choisi d’être élu à 55 % ou à 60 %, et au premier tour » ?

Ce qui avait conduit le patriarche de la scène politique sénégalaise à appeler au boycott d’une élection qu’il estimait « programmée par Macky Sall » et « déjà verrouillée ». De fait, son vieux rival l’a emporté sans vraiment combattre avec 58,27 % des suffrages.

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D’autres se montrent plus sceptiques, voire critiques, estimant qu’Abdoulaye Wade est sans doute le principal perdant de l’élection. Avec un taux de participation de 66,23 % au premier tour (contre 51,5 % en 2012), n’a-t-il pas fait la preuve que sa voix, devenue chevrotante, ne portait plus ? Et de conclure – sans doute un peu vite, quand on connaît la résilience de « Gorgui » – à sa finitude politique.

Un épisode oublié

Une chose est sûre : pour l’opposition sénégalaise, l’élection présidentielle du 24 février s’est en partie jouée près de quatre ans plus tôt, lors d’un épisode quasiment oublié de l’affaire Karim Wade. Ce samedi 21 mars 2015, il y a foule à la permanence nationale du Parti démocratique sénégalais (PDS), à Dakar. Au sortir du week-end, le 23 mars, la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) doit rendre son verdict dans l’affaire Karim Wade.

Aux yeux du Parti démocratique sénégalais (PDS), sur lequel règne toujours le patriarche Abdoulaye Wade, qui l’a fondé en 1974, Karim Wade est un « prisonnier politique ». Soupçonné d’avoir amassé un trésor siphonné dans les caisses de l’État durant les deux mandats de son père, Karim Wade, accusé d’enrichissement illicite, est incarcéré à la maison d’arrêt de Rebeuss depuis avril 2013. Malgré les failles de l’instruction, au terme d’un procès épique qui aura duré sept mois, il  risque jusqu’à dix années de prison.

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Une quinzaine de jours plus tôt, faute de pouvoir influer sur le cours de la justice, Abdoulaye Wade a décidé de jouer son va-tout. Dans l’urgence, il a convoqué un congrès du PDS afin de désigner le candidat du parti libéral à la prochaine présidentielle. À l’époque, nul ne sait encore si elle se tiendra en 2017 – Macky Sall ayant initialement promis d’écourter son septennat à 5 ans – ou en 2019. Au fond, peu importe à Abdoulaye Wade, car sa motivation ne concerne que secondairement le scrutin à venir.

Prendre la CREI de court

Karim Wade, fils de l'ancien président sénégalais Abdoulaye Wade. © STR/AP/SIPA

Karim Wade, fils de l'ancien président sénégalais Abdoulaye Wade. © STR/AP/SIPA

En faisant de Karim le candidat officiel du PDS, Abdoulaye Wade entérine son statut de « prisonnier politique »

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En déclenchant cette procédure de désignation, l’ancien président a un objectif prioritaire : prendre de court la CREI, dont chacun devine, au vu du déroulement électrique des audiences, qu’elle s’apprête à condamner lourdement Karim Wade. En faisant de ce dernier le candidat officiel du PDS, Abdoulaye Wade entérine le statut de « prisonnier politique » de son propre fils.

La désignation d’un candidat à la présidentielle est donc organisée à la hâte. Mais les dés sont pipés. Parmi les principaux cadres du parti, plusieurs font connaître leur ambition de concourir. C’est notamment le cas du président du groupe parlementaire Libéraux et démocrates, Modou Diagne Fada, de l’ancien Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye ou de l’ex-porte-parole de la présidence, Serigne Mbacké Ndiaye.

Une primaire jouée d’avance

Mais en coulisses, comme l’admettent à l’époque, sous couvert d’anonymat, certains des candidats, « Gorgui » use de son autorité morale pour les dissuader d’aller au bout. Le PDS, dit-il, doit s’unir derrière son fils, victime d’une cabale judiciaire qu’il estime orchestrée au Palais de la République.

Les uns après les autres, les candidats sérieux se désistent donc. Le 21 mars, seul un quatuor de seconds couteaux brigue les suffrages des grands électeurs du PDS, dans le cadre d’une primaire jouée d’avance.

L’issue du vote est conforme aux pronostics : Karim Wade est déclaré vainqueur avec 257 voix sur 268 votants. Deux jours plus tard, c’est donc le candidat du parti libéral à la présidentielle qui sera condamné à six années de prison et 138 milliards de francs CFA d’amende – et pas seulement le fils de l’ancien président.

Il n’existe pas de plan B pour le Parti démocratique sénégalais

Dès ce mois de mars 2015 émerge le leitmotiv auquel se sont accrochés depuis Abdoulaye Wade et ses lieutenants. « Il n’existe pas de plan B pour le Parti démocratique sénégalais. Nous irons à l’élection présidentielle avec le candidat qui a été investi par ce congrès », assure alors Babacar Gaye, le porte-parole du PDS.

Ainsi est née la stratégie – kamikaze ? – du « Karim ou rien », qui a valu au PDS, ce 24 février, de ne compter aucun candidat dans la course à la présidence, pour la première fois de son histoire. Cramponné depuis quatre ans à ce mot d’ordre, Abdoulaye Wade avait annoncé à ses partisans, début février, que lui-même s’abstiendrait d’aller voter, les appelant à faire de même.

Ralliements à Macky Sall

Parmi ceux qui désavouaient à l’époque, en silence, ce congrès taillé sur mesures pour Karim Wade, un certain nombre ont depuis quitté le PDS, avant de se rallier sur le tard à Macky Sall. C’est notamment le cas de Souleymane Ndéné Ndiaye, Modou Diagne Fada ou Serigne Mbacké Ndiaye.

Quant à Babacar Gaye, toujours porte-parole du PDS, il s’est désolidarisé in extremis de la ligne prônée depuis 2015 par son parti. À la veille du scrutin, tout en se disant « écartelé », en raison de sa fidélité à Abdoulaye Wade, il a décidé de s’aligner sur la position arrêtée fin janvier par la fédération départementale de Kaffrine, appelant à voter pour l’un des deux candidats issus des rangs du PDS: Idrissa Seck ou Madické Niang.

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