Le retour des ex

Deux anciens chefs de l’État écartés du pouvoir, Nino Vieira et Kumba Yala, bravent l’interdiction de faire de la politique et s’invitent à la présidentielle de juin prochain. Non sans inquiéter.

Publié le 25 avril 2005 Lecture : 5 minutes.

Un hélicoptère militaire de Guinée-Conakry qui entre sans crier gare dans l’espace aérien de la Guinée-Bissau et qui se pose sur un terrain de football de la capitale, ce n’est pas très courant. C’est pourtant ce qui s’est passé le 7 avril dernier. À bord de ce MI-24 de fabrication soviétique immatriculé RG 1086 – RG pour République de Guinée -, une vieille connaissance : l’ancien président bissauguinéen João Bernardo Vieira, dit « Nino ». Après six ans d’exil au Portugal, l’un des héros de la guerre de libération des années 1970 est rentré chez lui sous les acclamations de plusieurs milliers de ses partisans rassemblés sur la pelouse du stade du 24-Septembre. Et Nino vient de déposer sa candidature à la présidentielle prévue le 19 juin prochain.
Au-delà de son côté rocambolesque, ce retour à Bissau via Conakry montre combien Nino Vieira et Lansana Conté sont unis par des liens forts et anciens. Avant l’indépendance de la Guinée-Bissau, le chef des opérations militaires de la rébellion du front Sud allait fréquemment se ravitailler dans le camp militaire que commandait Lansana Conté, à Boké. Vingt-cinq ans plus tard, le président Conté vole au secours de Nino Vieira. Il lui envoie deux mille hommes pour l’aider à résister à la tentative de putsch du général Ansumane Mané. Puis, après la défaite de mai 1999, les mille hommes de la milice de Nino – les Aguentas – se replient sur Conakry.
Mais plus encore, ce retour en fanfare montre à quel point l’armée fait la loi en Guinée-Bissau. Ce 7 avril, le gouvernement de Carlos Gomes avait pourtant interdit tout survol de son territoire par un appareil en provenance de Guinée-Conakry. L’armée a passé outre. Et Nino est rentré avec la bénédiction de l’état-major bissauguinéen.
En fait, depuis la chute de Nino Vieira, l’armée est omniprésente dans la vie politique du pays. Certes, le civil Kumba Yala a « tenu » trois ans à la tête de l’État, mais en 2003 il a fini par être renversé par la grande muette, et le plus souvent la réalité du pouvoir est entre les mains du chef d’état-major. Le poste est à hauts risques. Deux de ses titulaires ont déjà été assassinés par leurs frères d’armes : Ansumane Mané en novembre 1999, et Verissimo Correia Seabra le 6 octobre 2004. Aujourd’hui, l’homme fort dans les casernes s’appelle Tagmé Na Wai. C’est l’officier que les jeunes mutins du 6 octobre ont imposé à la tête de l’armée. D’ailleurs, en mars dernier, le général Tagmé n’a pas hésité à défier le gouvernement : « Je me fiche de ce que pense le Premier ministre. De toute façon, ce n’est pas lui qui est à l’origine de ma nomination », a-t-il lancé en pleine conférence de presse.
Quand on connaît le passé de cet officier balante – l’ethnie majoritaire dans le pays -, on a du mal à comprendre pourquoi il vient d’aider Nino Vieira à rentrer à Bissau. Sorti du rang, Tagmé Na Wai était un petit guérillero analphabète jusqu’au jour où le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) d’Amilcar Cabral l’a propulsé au commandement de l’une de ses unités du front Sud. Entre deux opérations contre les Portugais, le jeune Tagmé apprend alors « l’alphabet fonctionnel des guérilleros ». A comme arma (« arme »), B comme bala (« balle »), C comme canao (« canon »)…
Chef de la police militaire après l’indépendance, il est arrêté en 1985 pour complot présumé contre le président Vieira. Torturé, il échappe à la mort de justesse et est enfermé pendant dix ans sur l’île-prison de Caraxe, dans l’archipel des Bijagos. À la chute de Nino Vieira en mai 1999, sa soif de vengeance est telle que plusieurs témoins affirment l’avoir vu pleurer de rage en apprenant que le chef de l’État déchu avait réussi à se réfugier à l’ambassade du Portugal. Mais six ans et trois putschs plus tard, le nouveau patron de l’armée accepte de rencontrer son ennemi juré dans une villa de Conakry mise à sa disposition par Lansana Conté. Quelques jours après, Nino rentre.
Est-ce le signe que l’armée votera Nino Vieira le 19 juin prochain ? Pas si simple. Certes, comme beaucoup de Bissauguinéens, le général Tagmé Na Wai a été déçu par les trois années calamiteuses pendant lesquelles Kumba Yala a exercé le pouvoir. Mais le 19 avril dernier, le même Tagmé a signé avec treize autres membres du Comité militaire une lettre demandant à la Cour suprême de valider la candidature de Kumba Yala à la présidentielle. Sans doute le chef d’état- major veut-il ménager les jeunes mutins du 6 octobre qui, pour beaucoup d’entre eux, sont balantes et rêvent d’un retour au pouvoir de Kumba Yala. Sans doute aussi veut-il se garder de plusieurs côtés… Avec deux fers au feu, le général essaie de jouer gagnant à tous les coups le 19 juin prochain.
Aujourd’hui, à deux mois du scrutin, trois favoris se profilent. Kumba Yala s’est montré incapable de gouverner, mais il appartient à l’ethnie majoritaire. Nino Vieira n’a pas laissé non plus que de bons souvenirs, mais le pays ne se porte pas mieux depuis son départ et il est l’un des derniers dépositaires de la légitimité issue de la guerre de libération. Enfin Malam Bacaï Sanha a été largement battu en 2000 par Kumba Yala, mais il bénéficie encore cette année du soutien du parti le mieux structuré du pays, le PAIGC. Pour l’heure, aucun des deux anciens chefs de l’État ne peut se présenter. Selon la charte de transition adoptée en septembre 2003, Kumba Yala est interdit de toute activité politique jusqu’en 2008. Et aux termes de la Constitution, Nino Vieira est frappé de la même interdiction jusqu’en 2009. La Cour suprême va-t-elle quand même valider leurs candidatures ? À Bissau, les avis sont partagés. « Non à leur retour. Ils nous ont fait trop de mal. Il faut les juger et les condamner », criaient un millier de jeunes devant la présidence, le 20 avril dernier. « Si on les exclut, ça va mal se passer », s’inquiètent d’autres habitants de la capitale. Leur mise à l’écart serait plus facile à justifier si l’économie du pays allait mieux depuis deux ans. Or ce n’est pas le cas. Comme disait le défunt chef de file de la rébellion angolaise, Jonas Savimbi, « quand on est au fond du trou et qu’une main se tend, on ne cherche pas à savoir si c’est la main du diable ou du Bon Dieu ».

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