[Tribune] L’augmentation du taux directeur en Tunisie, une solution incomplète

Après le relèvement de 100 points de base du taux directeur de la banque centrale de Tunisie (BCT), ce professeur de sciences économiques estime que la mesure ne suffira pas à lutter efficacement contre l’inflation.

Siège de la banque centrale de Tunisie. © DrFO.Jr.Tn/CC/Wikimedia Commons

Siège de la banque centrale de Tunisie. © DrFO.Jr.Tn/CC/Wikimedia Commons

Aymen Belgacem
  • Aymen Belgacem

    Maître de conférences en sciences économiques à l’Université d’Orléans

Publié le 5 mars 2019 Lecture : 3 minutes.

Deux semaines après l’accord dans la fonction publique visant la revalorisation des salaires, le conseil d’administration de la banque centrale de Tunisie (BCT) a décidé de relever son taux directeur de 100 points de base, passant à 7,75 %, en soulignant sa volonté de tracer un chemin plus clair pour lutter contre l’inflation.

Cependant, l’instrument utilisé permettra-t-il vraiment d’atteindre cet objectif ?

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Pour qu’une décision inattendue fasse bouger les habitudes, et parler donc d’un effet de surprise, il faudrait un marché financier développé, pour une répercussion rapide sur les prix des titres, et aussi des agents capables d’interpréter correctement l’impact de cette nouvelle information sur leur pouvoir d’achat. Ce n’est pas le cas en Tunisie, dans un contexte où des ménages ayant des crédits à taux fixe en côtoient d’autres bénéficiant de taux variables, et où des entreprises verront leur marge bénéficiaire se contracter.

Une étude préalable aurait été nécessaire pour savoir comment serait perçue cette hausse du taux directeur, le risque étant d’alimenter encore plus la crise sociale et le sentiment d’injustice sociale.

Il faut pourtant reconnaître que la BCT n’avait en fait pas d’autre choix que de s’aligner à un taux d’inflation de l’ordre de 7,5 %, sans quoi les établissements financiers, dont la valeur réelle de ce qu’ils empruntaient auprès de la BCT était plus élevée de ce qu’elles remboursaient, n’auraient pas manqué de s’endetter davantage.

Mais le choix de la BCT affectera, outre les banques, les emprunteurs finaux, puisque la plupart des crédits octroyés sont à taux variable. La question qui se pose est de savoir si, pour limiter l’incitation à donner des crédits, la BCT n’aurait pas mieux fait d’agir plutôt sur la réglementation bancaire prudentielle, encore embryonnaire ?

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De même, si la BCT visait, outre la lutte contre l’inflation, l’endiguement du déficit commercial, qui a explosé de 90 % entre 2011 et 2017, n’aurait-elle pas dû s’occuper  de la réglementation de change plutôt que du taux directeur ? Pour rappel, le dinar a perdu plus de 40 % de sa valeur par rapport à l’euro, monnaie du principal partenaire commercial de la Tunisie, ce qui explique en grande partie l’augmentation du déficit commercial tunisien, exprimé en dinars.

Dernier point mis en avant par la BCT, les augmentations de salaires, qu’elle considère comme un facteur de risque qui pèse sur l’inflation, notamment parce qu’elles entraîneraient la hausse des importations. Sur ce point, ne pourrait-on pas avancer d’autres pistes d’explication ? Entre autres, une politique gouvernementale maigre en matière d’incitation à la production locale, et surtout une politique concurrentielle défaillante en Tunisie, qui donne le pouvoir à certains groupes et cartels. La hausse des salaires n’est pas responsable de la hausse des importations, mais constitue une réponse sociale et inévitable à un système défaillant.

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C’est au gouvernement, et non aux ménages, que doit revenir la facture de ces défaillances.

Au final, on pourrait être d’accord avec la banque centrale sur certains constats négatifs quant à l’évolution des chiffres économiques en Tunisie. Malheureusement, comme à chaque fois, on se tourne vers les solutions les plus faciles à mettre en place. Le problème est que ces solutions ne touchent pas le problème dans son origine, mais nuisent aussi à grande échelle aux plus fragiles.

L’action sur le taux directeur permet certes dans le contexte actuel de sortir de la spirale du taux réel négatif, éventuellement de stabiliser le taux d’inflation, mais pas de lutter contre ce dernier. Il faudra pour cela un effort conjoint entre la BCT et le gouvernement.

Retrouvez une version plus complète de ce texte sur le blog de l’auteur, Parlons économie.

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