Dix questions pour comprendre

Chinois, Japonais, Sud-Coréens, Indiens et Américains se livrent à une délicate partie d’échecs. Enjeu : l’avenir de la région la plus dynamique du monde.

Publié le 25 avril 2005 Lecture : 5 minutes.

1. De quelles grandes idées l’Inde et la Chine sont-elles porteuses ?
La Chine a renoncé au communisme, l’Inde à son flirt, engagé au temps de la guerre froide, avec une hypothétique « troisième voie » entre socialisme et économie de marché. Ce qui n’est pas encore très clair, c’est la direction qu’elle entend proposer pour la gestion des affaires du monde. Tant que les États-Unis auront le monopole de la « grande idée », ils domineront les imaginations, que celles-ci soient attirées ou repoussées par eux.

2. Les États-Unis vont-ils utiliser l’Inde pour contenir la Chine ?
C’est une hypothèse à la mode. Robert Blackwill, un ancien ambassadeur en Inde, écrivait récemment dans le Wall Street Journal que les États-Unis avaient le plus grand intérêt à coopérer militairement avec l’Inde et à ne pas remettre en question sa capacité en matière de missiles, parce que cela donnerait à la Chine une prédominance nucléaire permanente dans la région. Il est certain que la démocratie, l’usage de la langue anglaise et leur commune vulnérabilité au terrorisme islamique créent des liens entre les États-Unis et l’Inde. Mais la Chine est aujourd’hui le deuxième partenaire commercial de l’Inde, après les États-Unis. Et les deux géants asiatiques se sont aujourd’hui ralliés au pragmatisme. « L’Inde coopérera avec les États-Unis et avec la Chine, estime le Pr Raja Mohan, de l’université Nehru, à New Delhi. Elle ne fera pas contrepoids à cette dernière pour le compte de Washington.

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3. Quel est le rôle dévolu au Japon ?
Washington et Tokyo ont renforcé leurs liens face à cette montée en puissance. Le Japon est aujourd’hui dans une situation comparable à celle du Royaume-Uni : c’est une île située à proximité immédiate d’un continent, il passe pour plus proche des États-Unis que de ses voisins et il est régulièrement traité de « larbin de l’Amérique ». Le Premier ministre Junichiro Koizumi est, avec Tony Blair, l’un des meilleurs amis de George W. Bush. Les États-Unis et le Japon ont irrité les responsables chinois en déclarant que le maintien de la paix dans le détroit de Taiwan était pour eux « un objectif stratégique commun ». Tokyo est le représentant des intérêts américains dans la région, mais cela lui vaut de payer un lourd tribut diplomatique : ses relations avec la Chine se détériorent et sa candidature à un siège de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies suscite dans la région une opposition de plus en plus vive. Son économie hésitante et son passé colonial ne contribuent pas à accroître son influence.

4. Le passé colonial du Japon est-il un handicap ?
Ces dernières semaines, des émeutes ont éclaté en Chine et en Corée du Sud pour protester contre le refus des Japonais de reconnaître les horreurs auxquelles leur occupation de ces pays pendant la Seconde Guerre mondiale a donné lieu. Contrairement à l’Allemagne, le Japon n’a pas été capable de se réconcilier avec ses voisins : il n’a pas trouvé son Konrad Adenauer. Or on imagine difficilement qu’il puisse aujourd’hui faire acte de contrition, alors qu’il paraît sur le point de renoncer à son pacifisme d’après-guerre, qu’il supporte de moins en moins qu’on lui rappelle son passé et qu’il s’agace de ne pas se voir attribuer la place qu’il estime mériter. Des intérêts économiques partagés imposent au Japon, à la Chine et à la Corée du Sud de vivre en paix. Mais cette paix ne peut être que froide, pas du tout chaleureuse.

5. La stabilité de la Chine est-elle assurée ?
Pas sûr. Le système est aujourd’hui sous pression. Le fossé s’élargit entre les riches et les pauvres, la pollution industrielle devient insupportable, le système bancaire est fragilisé par l’abondance des créances douteuses et les frictions sont vives entre un système économique pratiquement sans entrave et un système politique autoritaire. Jusqu’ici, les dirigeants sont brillamment parvenus à surmonter toutes les difficultés. Et l’organisation des jeux Olympiques, en 2008, et de l’Exposition de Shanghai, en 2010, devrait contribuer à renforcer la stabilité. La Chine sait que le déclenchement d’une guerre avec Taiwan ou un soulèvement intérieur ruineraient ses positions sur la scène mondiale. Le système du parti unique va donc, selon toute apparence, perdurer, même si la qualité de ses dirigeants risque de diminuer à mesure que le secteur privé attirera les meilleurs esprits.

6. La Chine va-t-elle collaborer avec les États-Unis pour résoudre le problème nord-coréen ?
Elle est l’hôte des conversations à six qui tentent de convaincre Pyongyang de renoncer à ses armes nucléaires. Et les Américains considèrent que les Chinois souhaitent vraiment trouver une solution. Pourtant, la Chine n’apprécie ni les ventes d’armes américaines à Taiwan, ni les leçons de démocratie, ni les menaces de sanctions commerciales sur le textile. Alors, elle s’amuse discrètement des inquiétudes qu’inspirent aux Américains les gesticulations nord-coréennes… La vérité est que les discussions ne s’annoncent pas sous les meilleurs auspices. Comme le dit le politologue Nicholas Platt : « Le bâton n’est pas convaincant et la carotte est empoisonnée. » En d’autres termes, la guerre est impensable et l’ouverture économique de la Corée du Nord condamnerait inéluctablement le régime stalinien. Dans ces conditions, il faudrait que la Chine joue le jeu à fond. Est-elle disposée à le faire ? Rien n’est moins sûr.

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7. Le ralliement de la Chine à l’économie de marché et la présence de troupes américaines dans la région suffiront-ils à préserver la paix ?
Ce sont les deux principales forces qui jouent en faveur de la stabilité. L’économie de marché chinoise apporte la prospérité, favorise les rapprochements et constitue une considérable incitation à la paix. La présence des troupes américaines tempère les rivalités régionales et permet à la Chine de se concentrer sur son économie. Comme le disait récemment la secrétaire d’État Condoleezza Rice, les États-Unis « défendent le Pacifique ». Certes, la paix ne paraît pas menacée, mais pour que la guerre soit aussi impensable en Asie qu’elle l’est en Europe, il faudrait que ce continent constitue une communauté plus homogène. Qu’il ne soit pas la simple juxtaposition de pays en pleine expansion.

8. La Chine et les États-Unis peuvent-ils resserrer leurs liens ?
Les signaux actuels ne sont guère encourageants, mais il est évident qu’un tel rapprochement est extrêmement souhaitable. Il permettrait de jeter les bases de la paix et de la prospérité mondiales pour le siècle à venir. Un jour viendra où la lutte contre le terrorisme n’apparaîtra plus que comme un épisode secondaire. L’Amérique doit oublier la notion d’« endiguement » et songer à s’impliquer plus directement.

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9. L’Indonésie peut-elle devenir la « Turquie de l’Asie », un pays musulman démocratique où l’islamisme radical est marginalisé ?
Oui, si l’actuelle amélioration de ses relations avec l’Amérique se confirme, si l’on évite les maladresses et encourage l’émergence de partis islamiques modérés. Les États-Unis ont le plus grand intérêt à ce que le pays musulman le plus peuplé du monde devienne une démocratie stable. Mais ils doivent pour cela tendre la main plutôt que donner des leçons.

10. L’Australie et la NouvelleZélande font-elles partie de l’Asie ?
Oui, leur place dans les organisations régionales ne doit pas être contestée sous des prétextes culturels ou autres. C’est dans l’intérêt même de l’Asie. Comme l’Europe en a fait l’expérience, la création d’institutions internationales aussi larges que possible contribue de manière décisive à apaiser les tensions nationalistes.

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