Ainsi soit-il !

Benoît XVI succède à Jean-Paul II sur le trône de saint Pierre. Les catholiques conservateurs pavoisent, les modernistes s’inquiètent. On verra bien.

Publié le 26 avril 2005 Lecture : 7 minutes.

« Voici le vrai visage de Jean-Paul II », disent les déçus du conclave – en tout cas les plus caustiques d’entre eux. Le très conservateur cardinal Josef Ratzinger (78 ans), un proche parmi les proches de feu Karol Wojtyla, a été porté sur le trône de saint Pierre, le 19 avril. Cent quinze cardinaux venus de cinquante-deux pays se sont prononcés, à la majorité des deux tiers et au bout de seulement quatre tours de scrutin, en faveur du doyen du Sacré Collège, préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi depuis vingt-quatre ans et numéro deux du Vatican. Ce choix est tout sauf surprenant. Orpheline d’un pape particulièrement charismatique, l’Église catholique, exposée de surcroît au risque d’une division entre conservateurs et modernistes, avait besoin d’un homme fort, énergique et expérimenté, en même temps que d’un brillant intellectuel à la spiritualité inattaquable, toutes qualités que réunit Josef Ratzinger.
Cela n’empêche pas les catholiques de s’alarmer. Les deux tendances qui traversent la communauté s’affirment désormais avec force. L’abondance des réactions positives montre qu’une large majorité de croyants, y compris dans les pays du Sud, est avant tout soucieuse du respect du dogme et de la morale de l’Église et désireuse de voir se perpétuer l’oeuvre de Jean-Paul II. Du coup, l’aile progressiste ne craint plus d’exprimer ses attentes et ses craintes. À l’évidence, Benoît XVI – nom que le nouveau pontife s’est choisi – a un « programme », qu’il s’est efforcé de résumer lors de la messe pro eligendo papa qu’il a concélébrée le 18 avril, juste avant l’ouverture du conclave. Les réactions de tous ordres – politiques, sociales ou spirituelles – qu’il a suscitées lui fournissent une photographie assez précise de la communauté chrétienne d’aujourd’hui. Et du monde, en général.
À en juger par les déclarations passées du cardinal Ratzinger, on ne voit pas comment l’Église pourrait échapper à un rigorisme accru. Certes, l’exercice de l’autorité incite parfois à la souplesse, mais ses prises de position ont été jusqu’ici tellement intransigeantes qu’un infléchissement marqué paraît improbable. Ceux qui connaissent le nouveau pape le disent courtois, affable. Sa voix est douce et ses gestes mesurés. Main de fer dans un gant de velours ? De gants, en tout cas, il ne prend point pour dire ce qu’il pense des grands problèmes de société du moment, comme la contraception, l’usage du préservatif, l’avortement ou l’homosexualité, qualifiée par lui d’« intrinsèquement diabolique ». Pendant la campagne pour les dernières élections américaines, il s’est prononcé pour le refus du baptême et de la communion à tous les hommes politiques qui se prononceraient en faveur de l’interruption volontaire de grossesse. Son cheval de bataille : la rechristianisation de l’Europe. Selon lui, l’admission éventuelle de la Turquie dans l’Union européenne serait une « grave erreur » (voir encadré page 26).
Sa désignation traduit-elle une tendance de fond, réactionnaire, puritaine et liberticide, du monde d’aujourd’hui, dont un George W. Bush serait en quelque sorte l’un des hérauts ? La volonté, partagée par toutes les communatés spirituelles, d’en finir avec la flambée libertaire des années 1960 et 1970 ? Il est au moins permis de se poser la question.
Dans de nombreux domaines, et notamment le dialogue interreligieux, Benoît XVI apparaît plus « pur et dur » que son prédécesseur. Entamée avec bien des difficultés, la tentative de réconciliation avec l’Église d’Orient se trouve actuellement bloquée – pas seulement de son fait, il est vrai. Alors que Jean-Paul II, lors de sa visite en Grèce, en mai 2000, avait demandé pardon aux orthodoxes pour les conséquences du grand schisme du XIe siècle, le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi avait, dès le mois suivant, publié à l’intention des évêques et des théologiens une lettre pastorale intitulée Dominus Jesus. Il y précisait avec force que l’Église catholique apostolique et romaine était « la mère de toutes les Églises chrétiennes », ravalant au rang d’« Églises particulières » celles nées de la Réforme. Pour lui, seul le christianisme est une « vraie foi », les autres religions n’étant que des « croyances ».
En revanche, les réactions des juifs à l’élection de Benoît XVI sont, dans l’ensemble, plutôt favorables. Ils lui savent gré d’avoir été l’ami de Jean-Paul II, l’homme de la réconciliation historique entre les deux communautés.
D’où lui vient ce rigorisme, qui l’a fait méchamment surnommer Panzer Kardinal. Josef Ratzinger est né à Marktl-am-Inn, en Basse-Bavière (sud de l’Allemagne), le 16 avril 1927. Son père était gendarme et ses grands-parents de modestes paysans. En 1941, à 14 ans, il est membre des Jeunesses hitlériennes, ce qui ne traduit pas une inclination politique particulière : un adolescent allemand n’avait, à l’époque, tout simplement pas le choix. Enrôlé dans la Wehrmacht, il ne prend pas part aux combats à cause d’une infection des doigts. En 1944, sur le front bulgare, en dépit des risques, il déserte avant d’être capturé par l’armée américaine.
Doté de capacités intellectuelles hors du commun, il mène ses études tambour battant. Entre 1946 et 1951, l’année de son ordination et du début de sa carrière d’enseignant, il étudie la philosophie et la théologie à l’université de Munich et à l’École supérieure de Freising. Docteur en théologie en 1957, il occupe la chaire de dogmatique et de théologie fondamentale de Freising, puis enseigne successivement à Bonn, Münster et Tübingen, où il rencontre le théologien Hans Küng, brillant contestataire dont il sera, des années plus tard, l’ennemi juré (voir J.A.I. n° 2310). Conseiller en théologie de l’archevêque de Cologne lors du Concile Vatican II, il professe d’étonnantes idées réformatrices, notamment sur la décentralisation de l’Église : il souhaite voir les évêques prendre davantage de poids. Par ailleurs, il ne ménage pas ses critiques au Saint- Office, l’ex-« Sainte Inquisition », dont les « méthodes et comportements » ne lui paraissent « pas conformes à l’ère moderne » et être « une source de scandale pour le monde ». Pourtant, la mise en oeuvre quelque peu anarchique et excessive des recommandations de Vatican II le heurte : il se rallie à une opposition modérée au Concile. Survient mai 1968. Les « événements » sont pour lui le symbole de la fin d’un monde et, partant, profondément déstabilisateurs. Rien de bon ne peut, selon lui, sortir de cette « foire ». Seulement des « déviations nihilistes ».
Le 24 mars 1977, il est nommé archevêque de Munich. Et cardinal deux mois plus tard (le 28 mai). Le 25 novembre 1981, Jean-Paul II en fait le gardien de l’orthodoxie vaticane, le « Rottweiler de Dieu » diront les – très – méchantes langues. Sa première cible : la « théologie de la libération », une tendance de l’Église surtout vivace en Amérique latine qui s’efforçait d’associer une analyse marxisante du phénomène capitaliste à la théologie latine. Si Jean-Paul II s’est parfois montré sinon indulgent, du moins patient, avec les membres de ce mouvement, dont il reconnaissait volontiers la contribution à la lutte contre les dictatures et la pauvreté, le cardinal Ratzinger, lui, ne fait pas de quartier : les « théologiens de la libération » sont mis à l’index et interdits d’enseignement. Ses adversaires l’accusent de ne voir le catholicisme qu’à travers la lorgnette européenne et de méconnaître les problèmes du Tiers Monde…
Cette méconnaissance explique l’inquiétude et la déception qui se sont manifestées ici et là en Afrique, en Amérique latine et en Asie, après sa nomination. L’avenir apparaît chargé de nuages pour ces continents dits « missionnaires », notamment en matière d’« inculturation » de la liturgie. Le cardinal Ratzinger ne supportait pas de voir Jean-Paul II « faire le pitre », selon ses propres termes, dans des pays où chants et danses d’inspiration traditionnelle ont été intégrés à la pratique chrétienne. On peut penser que Benoît XVI appellera à la vigilance et au respect du dogme. Et que la marge de manoeuvre des prêtres se trouvera singulièrement réduite. Le cardinal sud-africain Wilfrid Napier devra-t-il abandonner sa mitre ornée de deux mains, une noire et une blanche, symboles de la nation Arc-en-Ciel ? En 1997, après l’abandon par Paul VI de la messe en latin, il avait commenté : « Je suis convaincu que la crise que traverse actuellement l’Église est la conséquence de la désintégration de la liturgie. » Depuis, il a pris parti en faveur d’une nouvelle génération d’évêques désireux de restaurer l’usage du latin dans la liturgie. La première messe du nouveau pape, le 20 avril dans la chapelle Sixtine, a d’ailleurs été célébrée dans cette langue.
L’âge avancé de Benoît XVI pourrait faire de lui un pape de transition. Mais, si court que soit son règne, il se traduira sans nul doute par la pérennisation des grandes décisions de Jean-Paul II, lesquelles n’étaient pas toutes réformistes. Il va mettre à profit le charisme de ce dernier pour ancrer les positions de l’Église sur toutes les grandes questions de société, de la bioéthique à la lutte contre le sida, en passant par le statut des divorcés et l’exclusion des femmes de l’ordination. Guide spirituel de la communauté catholique, ce pape est porteur d’un projet de renforcement des valeurs fondamentales de la foi chrétienne et de retour à une morale stricte. Benoît XVI ne désavouera certainement pas la pensée du cardinal Ratzinger, même s’il se montre moins rigide et plus pédagogue dans la forme. Pour lui, l’Église catholique est la seule institution capable de donner du sens à la modernité. Ce qui laisse augurer bien des conflits…

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