Adieu aux armes ?

Premier résultat de l’accord de Pretoria du 6 avril, l’appel lancé aux combattants de rendre leur arsenal n’a jamais eu autant de chances d’être entendu qu’aujourd’hui. Si, bien sûr, les chicaneries politiques ne viennent s’en mêler.

Publié le 25 avril 2005 Lecture : 5 minutes.

La scène est encore dans les mémoires. C’était un jour de février 2004, à Yamoussoukro. Le Premier ministre ivoirien Seydou Elimane Diarra, flottant dans un treillis, un kalach dans les mains, se fait symboliquement « désarmer », en présence de représentants des Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci) et des Forces nouvelles – FN, l’ex-rébellion. Il indique le numéro de série de son arme et se présente comme « l’ex-combattant numéro un » Un préposé note scrupuleusement son nom, tandis que ses empreintes digitales sont enregistrées dans la base de données informatiques. Une carte lui est remise, qui certifie qu’il est un ancien combattant recensé au registre des combattants bénéficiaires du programme de Désarmement, démobilisation, réinsertion (DDR). Mais il ne prend pas l’enveloppe du pécule de sortie, dont il préfère même taire le montant. Il se contente simplement de dire que « la Côte d’Ivoire est dans une phase active de réunification », après dix-huit mois d’une confrontation politico-militaire ouverte le 19 septembre 2002.
Depuis, le DDR, dont le lancement officiel, annoncé le 9 janvier 2004, devait avoir lieu le 8 mars, n’a véritablement vu le jour que le 14 avril dernier, après que toutes les autres tentatives ont fait long feu. À Bouaké, après avoir officiellement repris langue les 14 et 16 avril, en présence de Diarra, d’une délégation du médiateur Thabo Mbeki et de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Pnuci), Fanci et FN ont décidé, le 21 avril, de retirer les armes lourdes de part et d’autre de la ligne de front. Ils sont également convenus de se retrouver en séminaire, du 2 au 6 mai à Yamoussoukro, pour la mise en place d’un Plan national de désarmement, démobilisation, réinsertion (PNDDR). L’opération DDR proprement dite commencera le 14 mai pour s’achever le 31 juillet. Et reposera sur les épaules d’une Commission nationale (CNDDR) dirigée par Alain Donwahi et composée de 26 membres. Elle doit désarmer et offrir des chances de reclassement à des combattants estimés entre 30 000 et 41 000 adultes, dont quelque 25 000 rebelles. Plus environ 3 000 enfants et 1 000 « cas spéciaux », probablement la dénomination pudique de mercenaires.
Il faudra à Donwahi – nommé par le Premier ministre, dont il est l’un des fidèles – et à son équipe recenser les effectifs ; répertorier les matériels militaires sur la base de listes fournies par les belligérants ; regrouper les ex-combattants sur onze zones disséminées à travers le pays ; récupérer et garder les armes qu’ils détiennent dans des armureries ; statuer sur le maintien de chaque homme armé dans les forces loyalistes ou sa reconversion professionnelle… Selon un Plan d’opération conjoint (PCO) « l’ensemble des recrues enrôlées depuis le 19 septembre 2002 sont à démobiliser. Les membres des Forces de défense et de sécurité en activité avant cette date et bénéficiaires de la loi d’amnistie sont maintenus en service. Les groupes civils nationaux (milices et dozos – les chasseurs traditionnels – n’appartenant à aucune des forces en présence) sont à désarmer et à démanteler. Les mercenaires et enrôlés étrangers en Côte d’Ivoire sont à désarmer et à démobiliser ». Dans le collimateur : les quelque 4 000 nouveaux soldats incorporés dans les rangs des forces régulières au lendemain de l’insurrection du 19 septembre 2002, ainsi que les milices comme le Groupement des patriotes pour la paix (GPP) qui prolifèrent à Abidjan. Mais aussi celles qui se sont manifestées dans l’ouest du pays à la fin de février. Pas moins de 6 milliards de F CFA ont été jusqu’ici décaissés, notamment pour la réhabilitation et les investissements sur les sites de regroupement, l’acquisition de d’équipements, le fonctionnement…
Pour que tout soit fin prêt, il faudrait environ 4 milliards de F CFA. Sans oublier « le filet de sécurité », l’enveloppe de 15 milliards de F CFA à réunir pour la prise en charge pendant six mois des ex-combattants et le versement d’un pécule de 499 500 F CFA à chacun d’entre eux. Contre seulement 300 dollars au Liberia voisin. L’État participe dans l’opération à hauteur de 7,5 milliards de F CFA. La Banque mondiale, qui n’est pas impliquée dans le financement du volet strictement militaire, est disposée à revoir à la hausse le montant de sa contribution au volet civil du programme DDR : de 65 millions de dollars (32,5 milliards de F CFA) à 80 millions de dollars (40 milliards de F CFA). À l’issue des opérations de désarmement, dont le budget est évalué à 150 millions de dollars (environ 75 milliards de F CFA), elle pourrait ainsi allouer à chaque ex-combattant une somme comprise entre 900 et 1 000 dollars pour aider à sa réinsertion.
Outre la Banque mondiale, la Commission européenne a mis 5 millions d’euros (3,3 milliards de F CFA) à la disposition de la CNDDR, dont 2,6 millions engagés avec le Programmes des Nations unies pour le développement (Pnud), notamment pour l’équipement des sites de regroupement et la prise en charge des enfants-soldats. L’institution onusienne a par ailleurs débloqué 1,256 million de dollars pour la communication de la CNDDR, le recensement et le profilage des ex-combattants. Des États ont également ouvert le tiroir-caisse, dont le Japon qui a mis sur la table 1,5 milliard de F CFA. Il n’en demeure pas moins que les 19 milliards de F CFA que doit débourser la Côte d’Ivoire restent lourds pour un pays dont les finances publiques sont gravement éprouvées par le conflit politico-militaire. Mais c’est le prix de la paix, et ce n’est pas la seule difficulté. D’autres, comme le recensement exhaustif des hommes armés ainsi que l’établissement des armements que détiennent les deux camps, ne sont pas plus simples à surmonter. Sauf si, cette fois, une réelle volonté politique d’aboutir venait à se manifester concrètement. Au-delà des contraintes de toutes natures, elle a jusqu’ici fait défaut, notamment au lendemain de l’accord de Marcoussis en janvier 2003, comme après celui d’Accra à la fin juillet 2004. Selon le document paraphé dans la capitale ghanéenne, qui réactivait celui de Marcoussis, le désarmement aurait dû commencer le 15 octobre.
Le compromis que les principaux protagonistes de la crise ont signé le 6 avril à Pretoria résistera-t-il à l’épreuve de cette énième relance du processus DDR ? En tout cas, les FN, qui souhaitent sortir de l’impasse, n’en tiennent pas moins à préciser, comme hier, qu’elles iront jusqu’au bout « sous réserve de contraintes financières, techniques et des exigences de l’accord de Pretoria ». Tandis que le président Gbagbo, qui bouclera le 27 avril ses consultations avec les groupes socioprofessionnels et les différentes institutions de la République commencées le 18 avril, semble déterminé à aller aux élections d’octobre prochain.

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