Qui sont les nouveaux terroristes

Il comptait dans ses rangs des commerçants, des enseignants, un journaliste, un commissaire de police et même des responsables politiques apparemment au-dessus de tout soupçon. Le réseau djihadiste démantelé le 18 février inquiète. Parce qu’il ne ressembl

Publié le 25 février 2008 Lecture : 5 minutes.

Les attentats-suicides du 16 mai 2003 à Casablanca, qui firent quarante-cinq morts, avaient visiblement surpris les services de sécurité. Ne répugnant pas à l’autocritique, le roi avait même parlé de « laxisme ». Depuis, on s’est rattrapé. On ne compte plus aujourd’hui les groupes terroristes neutralisés (sans doute plus de vingt). Pourtant, le réseau dont le démantèlement a été annoncé le 18 février ne ressemble en rien aux précédents. Histoire, stratégie, recrutement, financement, liaisons extérieures, dimension politique À tous égards, il s’agit d’un terrorisme d’un nouveau genre, inconnu jusqu’ici dans le royaume.
Né dans le Rif, le chef du réseau, Abdelkader Belliraj (51 ans), alias Ilyass ou Abdelkrim, a naguère émigré en Belgique, comme nombre de ses compatriotes du nord du pays. Ayant socialement bien réussi et bénéficiant de la double nationalité belge et marocaine, il a monté plusieurs affaires dans son pays d’origine. Rien d’étonnant, donc, qu’il le sillonne en permanence ou qu’il prenne l’avion régulièrement pour Bruxelles. Hélas ! le businessman se doublait d’un gangster. À son actif, six assassinats commis en Belgique entre 1986 et 1989, et dont les auteurs n’avaient jamais été identifiés. On en saura bientôt davantage, le dossier de l’enquête marocaine ayant été transmis à la justice belge. Aux dernières nouvelles, cinq des six assassinats ont été confirmés aux Marocains par les autorités belges.

Des vies en danger
Le réseau Belliraj était surveillé depuis des années. Comme l’a précisé, le 20 février, Chakib Benmoussa, le ministre de l’Intérieur, les autorités ont décidé de passer à l’action parce que « la vie des gens était en danger ». Les cibles des assassinats projetés étaient des « personnalités en vue », des ministres, des officiers, mais aussi de simples citoyens juifs. Le Parlement et plusieurs sites touristiques étaient également visés.
Au total, trente-deux personnes sont aujourd’hui sous les verrous. Un premier constat : elles n’ont rien à voir avec les pauvres hères et les kamikazes paumés de Sidi Moumen, le tristement célèbre bidonville de Casablanca. Outre le chef du réseau, on trouve parmi elles deux autres « MRE » (Marocains résidant à l’étranger) de Belgique possédant la double nationalité. À quelques exceptions près, toutes ont bien réussi dans la vie. Figurent notamment dans la liste plusieurs commerçants, quatre professeurs, deux instituteurs, deux pharmaciens, un informaticien, un technicien des télécoms, un orfèvre, un journaliste, un commissaire de police
L’arsenal saisi, en particulier à Casablanca et à Nador, confirme qu’on n’est plus en présence de cellules hâtivement constituées pour lancer des opérations kamikazes plus ou moins improvisées. « C’est le matériel qu’on trouvait dans les années 1970, note un expert européen, chez les groupes d’Abou Nidal ou de Carlos » : neuf kalachnikovs, deux fusils-mitrailleurs Uzi, sept pistolets-mitrailleurs Scorpio, dix pistolets automatiques, des munitions de divers calibres, des silencieux, des détonateurs, sans oublier un impressionnant lot de faux papiers
Le financement n’est pas moins sophistiqué : au départ, il s’agissait de fonds provenant de braquages et de recels investis ensuite dans des opérations immobilières, commerciales et touristiques dans tout le Maroc. Ainsi, en 2000, au Luxembourg, le braquage d’un fourgon de la Brink’s a permis à ses auteurs d’empocher 17,5 millions d’euros (200 millions de DH), dont une partie (30 millions de DH) a servi à monter de bonnes affaires. Dans le même objectif, des bijoux volés en Belgique ont été transformés en lingots par les soins de l’orfèvre du groupe et écoulés dans le royaume. Ce système permettait à la fois de financer les activités du réseau et de fournir des planques commodes – hôtels ou immeubles – dans diverses villes.
Qu’en est-il des liaisons extérieures ? Selon les révélations du ministre de l’Intérieur, Belliraj avait noué des contacts avec Al-Qaïda en Afghanistan depuis 2001. Il a entretenu des relations suivies avec le Groupe islamique des combattants marocains (GICM) de 2001 à 2003, et, plus important, avec le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), qui, en 2005, a accueilli des membres du réseau dans ses camps en Algérie. Belliraj a également tenté de faire entraîner ses hommes dans les centres du Hezbollah au Liban. En vain. On voit mal en effet l’organisation de Hassan Nasrallah se prêter à de telles aventures
Mais c’est surtout sa stratégie complexe, dans laquelle le temps joue un rôle important, qui donne au réseau démantelé son caractère exceptionnel. En jetant les premières bases de son organisation, en 1992, Belliraj a choisi deux orientations parallèles : d’une part, « un plan à long terme visant à infiltrer des institutions de l’État, des partis politiques et la société civile » ; d’autre part, des cellules secrètes se préparant à passer à l’action (terroriste), le jour venu.
C’est le premier volet de cette stratégie – l’« ouverture », ou l’« entrisme », comme disaient les trotskistes – qui expliquerait la présence dans le réseau d’hommes politiques apparemment au-dessus de tout soupçon : Mustapha Moatassim, leader du parti Al-Badil al-Hadari (Alternative civilisationnelle), et Mohamed Amine Ragala, son porte-parole, tous deux professeurs et figures respectées de la vie politique. Les deux hommes se réclamaient de la « gauche islamiste » et personne n’avait jusqu’ici mis en doute leur attachement aux institutions.

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Accointances iraniennes
Al-Badil n’a été légalisé qu’en 2005 et a participé aux dernières élections. Ses accointances iraniennes et/ou chiites expliquaient, disait-on, les réticences de l’administration à le reconnaître. Mais ces soupçons, alimentés par les vieilles polémiques qui agitent le mouvement islamiste, notamment avec Cheikh Abdessalam Yassine, ont été oubliés. Et voilà que tout est remis en question avec la découverte du réseau terroriste et l’interdiction, prononcée le lendemain, d’Al-Badil. Quel rôle ont joué les deux hommes ? Ont-ils été manipulés ou ont-ils été consciemment complices ? Ne s’agit-il pas d’erreurs de jeunesse commises dans les années 1980, lorsqu’ils animaient un groupe clandestin dénommé Jound Allah (Soldats de Dieu) ?
Toutes ces interrogations valent pour un troisième homme, lui aussi arrêté : Mohamed Marouani. Son itinéraire est pratiquement le même, à ceci près que son parti (Al-Oumma) n’a jamais été autorisé. Et que le ministre de l’Intérieur l’a gravement mis en cause : il a participé, aux côtés de Belliraj aux réunions constitutives de Tanger et de Casablanca, en 1992, et a été élevé au rang suprême d’émir de l’organisation djihadiste.
L’implication des islamistes légalistes (dont un député du PJD), comme celle du correspondant d’Al-Manar, la chaîne très populaire du Hezbollah libanais, a jeté le trouble dans l’opinion. On ne doute pas du professionnalisme des services de sécurité ni de la bonne foi du ministre de l’Intérieur : « Chakib Benmoussa n’est pas Driss Basri », répète-t-on. Sans doute, mais on aimerait comprendre. Le « premier flic » du Maroc est certainement de cet avis : « Nous continuons les investigations, a-t-il fait savoir, afin d’avoir une meilleure et plus exacte compréhension. »

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