Pour qui roulent les étudiants ?

Alors que les différentes forces politiques sont déjà en campagne pour la présidentielle, la Fesci, la plus puissante fédération estudiantine du pays, historiquement proche du parti au pouvoir, reste muette sur le choix de son camp. Et compte faire monter

Publié le 25 février 2008 Lecture : 7 minutes.

La Fesci se serait-elle assagie ? Depuis son sixième congrès ordinaire (du 20 au 23 décembre 2007, à Abidjan), la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci) a prouvé qu’elle pouvait renouveler ses instances sans éclats de voix ni effusions de sang. Le secrétaire général sortant, Serge Koffi, et son successeur, Augustin Mian, avaient promis un congrès civilisé, signe d’une nouvelle ère pour l’organisation. Pari tenu. En attendant toutefois l’entrée dans la ligne droite de la campagne électorale de cette année et les manuvres de récupération de la part des différentes écuries politiques Comme par le passé, notamment au début des années 1990, quand la Fesci battait le pavé d’Abidjan au côté des chefs de file de l’opposition – pour la plupart des enseignants – et les invitait à ses congrès. Très tôt, le combat politique avait gagné l’université et ne la quittait plus, professeurs et étudiants, objectivement alliés, se faisant fort de harceler le pouvoir. Et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, alors à la tête du pays) accusant le Front populaire ivoirien (FPI, de Laurent Gbagbo) de « manipuler les jeunes ».
Le temps des collusions est-il aujourd’hui révolu ? À entendre Augustin Mian, il semblerait que oui. Pour lui, il n’est plus question que la Fesci s’acoquine avec un quelconque parti. Encore moins qu’elle soit financée par les hommes de pouvoir. Alors, de quoi l’organisation vit-elle ? Réponse pour le moins évasive : « Nous bénéficions de dons, de legs et des cotisations des membres. » Point de bilan financier. « La carte de membre coûte 300 F CFA pour les étudiants et 500 F CFA pour les dirigeants L’argent récolté sert à financer nos activités et les nombreux voyages à l’intérieur du pays », indique Mian, avant d’avouer toutefois avoir géré « beaucoup de millions » lorsqu’il était secrétaire aux finances. Mais ça, c’était avant. Du temps de Jean Serge Kuyo. Les choses ont changé. Tout au plus le nouveau patron de la Fesci pourra-t-il disposer du 4×4 Mitsubishi Pajero « offert gracieusement par un riche planteur de riz » à son prédécesseur Serge Koffi.
Ces quelques avantages dont bénéficient les dirigeants de la Fesci ont longtemps fait du fauteuil de secrétaire général un poste convoité et de celui qui l’occupait un personnage incontournable du pays. Force est de constater, en effet, que ce n’est pas par l’excellence de leur cursus universitaire que l’actuel Premier ministre Guillaume Soro, le chef de file des Jeunes Patriotes Charles Blé Goudé (tous deux anciens patrons de la Fesci, voir encadré p. 43) et leurs condisciples sont devenus aujourd’hui des hommes politiques de premier rang, prêts à succéder à leurs professeurs et mentors d’antan, le président Laurent Gbagbo en tête, quand celui-ci dirigeait le FPI. Et que Soro avait son quart d’heure de gloire dans la plupart de ses grands meetings. Mais là encore, pour Augustin Mian, le syndicat étudiant n’a plus vocation à servir de tremplin politique. Au lendemain de son élection, le nouveau secrétaire général a promis de renvoyer la Fesci à ses premières amours : la lutte pour l’amélioration du système universitaire.
« Nous devons rompre avec les vieilles méthodes qui donnaient de l’étudiant l’image d’un être inintelligent, violent, violeur et casseur, martelait-il début février devant les étudiants de l’université d’Abobo-Adjamé. La Fesci a 18 ans, c’est l’âge de la maturité et nous devons jeter les bases d’une lutte responsable, qui reflète nos valeurs : une Fesci qui respecte tout le monde et se fait respecter. Je n’accepterai pas de m’humilier devant un commissaire de police pour demander la libération d’un étudiant qui a violé ou volé. » Et le leader syndical de revenir sur le terrain de la revendication : « À peine 5 milliards de F CFA de bourses et seulement 9 600 lits pour 250 000 étudiants Les bibliothèques universitaires sont vides, plus de manuels depuis 1965, tandis que les professeurs vendent des fascicules et que le photocopillage fait florès » Le discours est bien rodé.

Le temps de la rupture
Aujourd’hui, si tout le monde espère que cette volonté de rupture sera suivie d’effets, d’aucuns s’inquiètent déjà des tensions politiques qui pourraient naître à l’approche des élections générales. Et risqueraient de mettre un terme à la trêve entamée en décembre 2007. « Les élections ne nous concernent pas », tente de rassurer Augustin Mian, avant d’ajouter : « Chaque étudiant vote selon sa conscience. Mais nous soutiendrons celui qui nous mettra au centre de ses préoccupations et nous nous réservons le droit de nous prononcer sur les questions qui engagent l’avenir du pays. »
À l’exception – et encore – des formations politiques comme le PDCI dont les mouvements de jeunesse cherchent non sans quelque succès à se faire une place dans les campus, beaucoup peinent à y croire. À la veille du congrès, fin décembre, nombre d’étudiants avaient déserté leurs résidences en prévision des affrontements et des pillages qui accompagnent d’ordinaire tous les rassemblements « fescistes ». Derniers témoins de la furie qui s’empare parfois du mouvement estudiantin : les habitants de Logobia, localité de l’ancien secrétaire général Jean Serge Kuyo, mort en juillet 2007 dans un accident de la route. Ses obsèques, organisées quelques semaines plus tard, avaient viré au cauchemar. Désireux d’en découdre avec les parents du disparu qu’ils accusaient de l’avoir tué « par la sorcellerie », les étudiants avaient saccagé plusieurs maisons ainsi que l’école. Non sans avoir, au passage, tabassé quelques villageois. Avec 522 sections, près de 10 000 adhérents et plus de 1 million de membres de facto, la Fesci est une organisation très puissante. Particulièrement violente aussi. « Nous le reconnaissons, affirme Michaël Gbozé, premier secrétaire général adjoint de 2005 à 2007. Et nous l’assumons car le mouvement lui-même est né dans la répression. »

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Bête noire des régimes d’hier
La Fesci est portée sur les fonts baptismaux le 21 avril 1990 – quelques jours après le retour du multipartisme – dans les locaux de la chapelle Sainte-Famille de la Riviera, à Abidjan. En un temps record, elle parvient à mettre le vieux Mouvement des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire (Meeci), prolongement du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, alors au pouvoir), en minorité dans les écoles et les universités. Très vite, son premier secrétaire général, Joseph Martial Ahipeaud, passe pour un trouble-fête aux yeux du président Félix Houphouët-Boigny, quelque peu ébranlé par les mouvements de contestation qui secouent alors le pays. Le pouvoir en place est d’autant plus méfiant que la Fesci ne se montre pas insensible aux thèses des partis d’opposition. Martial Ahipeaud se rappelle : « Un jour, je me suis retrouvé avec le FPI sur une plate-forme de revendications. Nous demandions la même chose : la démocratie intégrale pour notre pays. Rapidement, nous avons travaillé ensemble. » Ensemble aussi, ils subiront les représailles du PDCI : emprisonnements, descentes de police dans les résidences universitaires, tortures, viols
Au fil de la répression se développent alors ce que Michaël Gbozé appelle « des réflexes d’autodéfense qui font partie intégrante de la stratégie du mouvement » : les dirigeants prennent des noms de guerre, érigent des bunkers dans les cités universitaires, nomment des responsables chargés de la sécurité, puis renforcent leurs attributions. À tel point que les secrétaires généraux qui se succèdent à la tête de l’organisation entre 1993 et 1999 deviennent les nouvelles bêtes noires du régime. Pour certains syndicalistes, c’en est trop. « Nous ne comprenions plus leurs motivations, raconte Arsène Séry, ancien fesciste. Nos revendications initiales ont été reléguées au second plan, nous n’entendions parler que de politique. Mes parents ont eu peur que je sois arrêté. J’ai quitté le mouvement. »
Parallèlement, dans les cités s’installe une véritable mafia qui régule les petits trafics, attribue – ou retire – les chambres, enrôle de force les manifestants, édicte ses lois, exécute sa propre justice Sous le regard impuissant des autorités, qui, au nom du respect de la sacro-sainte franchise universitaire, hésitent à intervenir à l’intérieur des campus. Les étudiants de la Fesci bénéficient, en outre, du soutien de leurs professeurs, dirigeants des partis d’opposition d’alors. Devant la force de frappe de ce mouvement capable de mobiliser des milliers de jeunes, de remplir un stade, de bloquer des rues et de paralyser une ville entière, Laurent Gbagbo (FPI), Francis Wodié (Parti ivoirien du travail, PIT) ou encore Bamba Moriféré (Parti socialiste ivoirien, PSI) se frottent les mains. Le PDCI, quant à lui, commence à s’inquiéter sérieusement de la capacité de nuisance de l’organisation, qui casse, brûle, pille, répond aux coups de matraque des forces de l’ordre par les poings, aux grenades lacrymogènes de la brigade antiémeute par des cocktails « baoulé », ce fameux mélange de poudre de latérite et de piment
Lorsque la population, médusée, découvre l’ampleur du mouvement, il est déjà trop tard. La Fesci est devenue un monstre politique. Un syndicat « viscéralement attaché au FPI auquel il a scellé son destin, affirme un professeur de la faculté des lettres de Cocody. L’un ne va pas sans l’autre. Le FPI a fait de la Fesci son bras armé du temps de l’opposition. Et, une fois arrivé au pouvoir en 2000, il a récompensé ses dirigeants en leur accordant une protection au-delà de toute mesure. » En d’autres termes, l’impunité et une certaine sécurité financière. En sera-t-il encore de même en cette année d’élections générales ?

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