Moi, Rachid Taha, « algérien pour toujours, et français tous les jours »

Rachid Taha est décédé mardi 11 septembre à Paris. En 2008, Jeune Afrique consacrait un portrait à cet écorché vif, à l’occasion de la publication de son autobiographie.

Rachid Taha, sur scène dans le sud de la France, en juillet 2000. © Reuters

Rachid Taha, sur scène dans le sud de la France, en juillet 2000. © Reuters

Publié le 25 février 2008 Lecture : 4 minutes.

Article initialement publié en septembre 2008. 

« Algérien pour toujours, et français tous les jours », c’est le titre du dernier chapitre de Rock la Casbah, l’autobiographie, qui vient de paraître chez Flammarion, de celui qu’on a souvent appelé le premier rockeur arabe. Une autobiographie « un peu déjantée », de l’aveu même de son auteur. Mais pas seulement. « Un prétexte pour raconter des histoires », surtout Rachid Taha revient sur son enfance algérienne, sur l’émigration et les préjugés, sa vie lyonnaise puis parisienne, et bien sûr sa carrière haute en couleur.

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En filigrane de ses débuts avec Carte de séjour se révèlent l’histoire et les personnages du Paris rock des années 1980. Le lecteur (re)découvre : Philippe Constantin, patron de Barclay et ancien journaliste à Jeune Afrique et Rock&Folk, décédé trop tôt, qui lui loua une chambre de bonne à son arrivée dans la capitale ; Alain Lahana, son producteur, qui travailla avec Iggy Pop et David Bowie ; Francis Kertékian, manager et éditeur, également proche de Fela Kuti ; ou encore Yves Aouizerate, qui se fit renvoyer de Radio Chanson française pour avoir diffusé la reprise de « Douce France », un soir de 1986, avant de devenir quelques années plus tard l’un de ses musiciens.

Celui qui dit avoir chanté pour ne pas finir à l’usine s’est forgé une carrière faite de coups de gueule, que l’on pourrait tenter de synthétiser en trois titres : « Douce France », acide reprise de Charles Trénet qu’il « vomit » avec Carte de séjour (1986), distribuée à l’Assemblée nationale mais boycottée par les radios. « Voilà, voilà », salutaire estocade anti-Front national (1993), et « Ya Rayah », reprise de Dahmane el-Harrachi, parue la même année mais qui deviendra un tube quatre ans plus tard lors de la parution de la compilation Carte Blanche. Messages qui ne cachent pas les doutes et les regrets d’un déraciné attachant, d’un personnage atypique, dandy nocturne, fondateur à Lyon du Refoulé, une boîte « qui acceptait tout le monde », puis une dizaine d’années plus tard à Paris du Pulp, gay mais pas seulement, fermé aujourd’hui.

Entre le Bénin et Nashville

Rachid, ses chemises pailletées et ses blousons scintillants, ouragan rock’n roll au Festival gnaoua d’Essaouira voici deux ans, a créé l’événement quelques mois plus tard lors d’un concert à l’Astoria (Londres) contre la guerre et au profit des enfants irakiens, avec Mick Jones des Clash et même Brian Eno, producteur de Bowie, John Cale ou U2, qui n’était pas monté sur scène depuis vingt ans. Si, en France, le grand public ne l’a vraiment découvert qu’avec 1, 2, 3 Soleils, en 1999, aux côtés de Faudel et Khaled – succès commercial annoncé par celui de Ya Rayah deux ans plus tôt -, et hâtivement placé dans la case « raï », Taha est avant tout un rocker.

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Mais il s’en moque : « C’est à croire que tous les Français ont un disque de 1, 2, 3 Soleils chez eux, comme un couscoussier d’ailleurs. » Sa renommée a depuis longtemps franchi les frontières de l’Hexagone. En attestent « Barah, Barah », utilisée par Ridley Scott dans La Chute du faucon noir, ou bien sûr « Kelma », reprise par Carlos Santana et vendue à plus de 20 millions d’exemplaires. Et ce n’est pas parce qu’on fait du rock qu’on a oublié ses racines : il a consacré les deux volumes de Diwan aux chansons arabes de son enfance, en 1998 et 2006.

Rachid Taha offre aujourd’hui une plongée dans sa vie, son uvre et ses passions, mais aussi ses doutes et ses regrets, son mal du pays : « Le retour est toujours plein de douleur. » Comme d’habitude, le rockeur grande gueule qui aime la bouteille est aussi un mec sensible, nostalgique, romantique. Mais ne se prive toujours pas de mettre un bon coup de pied aux fesses à cette France qui l’a vu grandir : « J’ai la désagréable sensation que la culture française est en déclin, écrit-il, j’en suis d’autant plus attristé que c’est la richesse de cette diversité qui m’a enrichi. »

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Quand on l’interroge sur la situation des émigrés, lui qui fut l’un des instigateurs de la marche des Beurs, il fustige ceux qui veulent « résumer les problèmes de la France à l’émigration clandestine et aux étrangers. Je trouve ça un peu lamentable. [] C’est toujours le même problème, quand tu cherches du boulot, du fait de ta gueule et de ton nom, on ne t’en donne pas. Il y a toujours cette espèce d’apartheid. »

Ce qui le fait encore courir ? « La curiosité, l’envie de raconter des histoires et de changer un peu le monde. » En attendant un prochain album annoncé comme « un voyage entre le Bénin et Nashville, c’est [son] côté ethnologue et historien », voici quelques passages de Rock la Casbah, recueil de confessions d’un type qui n’a toujours pas sa langue (ni sa plume) dans sa poche.

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