L’audit qui dérange

La Cour des comptes jette un pavé dans la mare en mettant au jour toute une série de graves dysfonctionnements au sein de la fonction publique.

Publié le 25 février 2008 Lecture : 5 minutes.

Mauvaise gestion, manque de transparence dans la passation des marchés, non-recouvrement de taxes, enrichissement personnel, abus de biens sociaux, clientélisme, petits arrangements entre amis, absentéisme Le premier rapport de la Cour des comptes à paraître au Journal officiel relève un large éventail de graves dysfonctionnements au sein de la fonction publique marocaine. Quelque 220 magistrats ont travaillé à la réalisation de ce volumineux document de 346 pages. Passé inaperçu à sa sortie, le 20 décembre 2007, il suscite de plus en plus de réactions et promet de faire couler beaucoup d’encre. « Nous sommes entrés dans une période d’exploitation politicienne. Certains partis n’ont pas encore digéré la défaite des législatives de septembre 2007 et font tout pour affaiblir le gouvernement de Abbas El-Fassi », explique un diplomate européen. De fait, ce rapport est pain bénit pour tous ceux qui soufflent sur les braises d’une contestation sociale déjà très vive en raison de la hausse des prix (environ 3 %) et de la stagnation des salaires. Il ne se passe pas une semaine sans que ne soit déclenchée une grève dans l’enseignement, les ports de pêche, les administrations, les collectivités locales Les acteurs politiques agitent le chiffon rouge avec, en ligne de mire, les élections municipales de 2009, et le Premier ministre, quelque peu sonné par les coups, a tendance à s’enfermer dans sa tour d’ivoire.
Pour ne pas entrer dans une polémique et préserver sa juridiction, le premier président de la Cour des comptes de l’histoire du royaume, Ahmed El-Midaoui, ne cesse de vanter publiquement les vertus pédagogiques du travail de ses magistrats (lire p. 48). « Notre rôle consiste à dire la vérité à Sa Majesté, au gouvernement, au Parlement et à l’opinion publique. Est-ce que les politiques décidées, budgétisées, programmées et exécutées ont respecté les lois et l’intérêt général ? Nous étudions les forces et les insuffisances des institutions, leur transmettons nos observations ainsi qu’à leur tutelle. L’objectif est d’amener les acteurs publics à être plus performants pour assurer la bonne gouvernance et la transparence », insiste ce grand serviteur de l’État que le roi Mohammed VI a nommé à la tête du ministère de l’Intérieur de 1999 à 2001 pour rompre avec l’ère Basri. Des arguments imparables qui témoignent de la volonté du Palais d’inaugurer une période vertueuse à l’heure de la libéralisation économique et de l’ouverture du marché marocain. Mais qui ne sauraient calmer toutes les inquiétudes soulevées par ce rapport qui passe en revue deux départements ministériels, huit entreprises publiques et une association.

Irrégularités et négligences
En tête des « cancres », la Direction des pêches, à laquelle il est reproché son incapacité à recouvrer plus de 42,5 millions de dirhams d’amendes (100 DH = 8,80 euros), l’octroi injustifié de 14,5 millions de DH de primes, des détournements de carburant et l’inefficacité des mesures de préservation des ressources halieutiques. Pour toute réponse, le ministère incriminé s’est fendu d’un communiqué d’une dizaine de lignes indiquant qu’il avait pris les mesures nécessaires pour rectifier le tir. Au ministère de la Culture, on s’est montré plus loquace pour justifier les négligences en matière de protection des monuments historiques et l’inefficacité dans la collecte des recettes. À la décharge de cette administration, le manque cruel de personnel et de moyens financiers.
Beaucoup plus alarmant, le rapport de la Cour des comptes déplore le déficit structurel de la Caisse marocaine des retraites (CMR) et ses placements hasardeux à la Bourse de Casablanca. Une situation préoccupante, le nombre de pensionnaires ne cessant d’augmenter. « L’insuffisance de trésorerie devrait se manifester dès 2011 et l’épuisement total des réserves est prévu vers 2019 », estiment les magistrats. Du côté du ministère de l’Économie et des Finances, on ne nie pas le problème, mais on se veut rassurant : « Les Marocains n’ont pas à s’inquiéter. Nous allons sécuriser et améliorer les placements de la CMR. »
Par ailleurs, la brigade de contrôle de la Caisse de compensation, organisme chargé de la stabilisation des prix, ne remplit pas sa mission de manière satisfaisante. Des irrégularités sont enregistrées en matière de contrôle des subventions, de recrutement du personnel, d’octroi de crédits au logement et d’achat de véhicules. L’Agence des logements et équipements militaires ne réunit pas régulièrement son conseil d’administration, gère mal ses programmes locatifs et sociaux et accuse de grands retards dans l’exécution de ses programmes. L’Office national du tourisme n’a pas de stratégie claire, 150 hôtels publics sur 1 300 ne paient pas de taxes de nuitées. L’Agence du Nord, établissement de développement fonctionnant avec des fonds publics et privés, ne contrôle pas suffisamment l’attribution des marchés et verse des indemnités de fonction sur des critères pour le moins mystérieux. La Société d’aménagement Ryad a, quant à elle, attribué des lots collectifs à plusieurs sociétés immobilières de façon répétitive sans appel à la concurrence. La palme du ridicule pourrait être décernée à l’Office régional de mise en valeur du Gharb : le véhicule Kangoo immatriculé 134305 M a servi à dix-huit agents le même jour et à la même heure pour se rendre à des destinations différentes. Plus sérieusement, l’Office a échoué dans sa politique de remembrement des terres.

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Le PJD monte au créneau
La deuxième partie du rapport présente les conclusions des missions réalisées pour la première fois par six Cours régionales des comptes (Rabat, Fès, Settat, Tanger, Oujda et Agadir). Les magistrats rapportent de nombreuses anomalies de gestion, des retards dans l’exécution des travaux, l’utilisation de véhicules officiels à des fins personnelles, de la surfacturation, et l’attribution clientéliste de logements de fonction et terrains communaux.
Les économistes du Parti de la justice et du développement (PJD) ont passé le rapport au peigne fin et comptent demander des éclaircissements sur l’utilisation des fonds et les sanctions prises. « Nous soutenons l’action de la Cour des comptes et nous demanderons que des structures qui brassent des dizaines de milliards de dirhams comme la Caisse de dépôt et de gestion (CDG), Al-Omrane, le premier promoteur immobilier public, et l’Office chérifien des phosphates (OCP) fassent également l’objet d’un contrôle public », avertit la direction du parti, qui s’érige en héraut de l’ordre moral et de la bonne gouvernance. Des requêtes qui seront déposées au Parlement dans les mois à venir et qui promettent des débats houleux.

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