Jonathan Le Henry (PwC) : « Les politiques de développement en silo ont freiné l’industrialisation de l’Afrique »
Rôle des États et des organisations, révolution numérique… Jonathan Le Henry (PwC), auteur du rapport « Industrialisation en Afrique : réaliser durablement le potentiel du continent », revient pour Jeune Afrique sur l’important défi que représente l’industrialisation du continent.
Le cabinet de conseil PwC a publié le 28 février un rapport sur la trop faible contribution du secteur industriel à la création de richesse sur le continent. En effet, en 2015, la valeur ajoutée manufacturière dépassait à peine 11 % du PIB en Afrique subsaharienne et 17 % du PIB en Afrique du Nord, contre une moyenne de 45 % dans la région Asie-Pacifique.
À l’occasion de la sortie de ce rapport, Jeune Afrique s’est entretenu avec son auteur, Jonathan Le Henry, directeur au sein de Strategy&, l’entité de conseil en stratégie de PwC, et basé à Casablanca.
Jeune Afrique : Vous pointez le déficit d’industrialisation du continent. Est-ce un problème de volonté politique ? D’investissements ?
Jonathan Le Henry : La politique industrielle a été menée en silo, aux bornes des États, alors que seule une approche régionale intégrée peut vraiment faire la différence. En faisant chacun son propre plan, les pays sont passés à côté de beaucoup d’externalités ou d’effets de levier qu’ils auraient pu obtenir en se concertant. J’en veux pour preuve le secteur automobile : tous les pays peuvent avoir leur place dans la filière, mais pas forcément disposer d’une chaîne de production de bout en bout, car ils n’ont pas tous le marché qui la rendrait rentable.
L’autre problème qui s’est posé est que les politiques économiques ont souvent été menées avec plus de dogmatisme que de pragmatisme : c’était souvent soit tout-libéral, soit tout-État, quand il aurait fallu des nuances.
Les services ne suffiront pas à fournir les 12 à 13 millions de nouveaux emplois nécessaires pour absorber la croissance démographique africaine
Du côté des entreprises, notamment internationales, il y aurait aussi des changements à opérer en termes d’approche du continent. Une approche spécifique doit être recherchée là où encore beaucoup de groupes cherchent à répliquer les solutions qui ont fonctionné ailleurs.
Certains États, comme l’Algérie, ont pris des mesures fortes pour limiter les importations et encourager la production locale. Est-ce un exemple à suivre ?
Les États ont bien un rôle durable à jouer, mais plutôt en tant que facilitateurs. Leur rôle est de créer les conditions favorables à la venue d’entreprises, en matière d’infrastructures, de climat des affaires ou d’accès au foncier par exemple. Par contre, il ne faut pas tout attendre des pouvoirs publics. C’est aux opérateurs privés de mener le développement industriel au quotidien.
Les organisations régionales ont-elles aussi leur place dans ce processus ?
Oui, je pense que les bailleurs et les institutions internationales ont un rôle à jouer, notamment pour qu’on ne se trompe pas de priorité. Il est nécessaire de rappeler que l’Afrique a besoin de plus d’intégration régionale. L’exemple européen, c’est Airbus. Il faut faire la même chose en Afrique de l’Ouest.
Vous semblez sceptique quant au rôle des services dans la croissance des économies. Ne pensez-vous pas que la révolution numérique en cours représente un vrai changement pour les économies africaines ?
L‘industrie 4.0, c’est une vraie chance pour le continent. Mais en Afrique, il faut créer tous les ans 12 à 13 millions de jobs pour absorber la croissance démographique. Les services ne suffiront pas. L’industrie est nécessaire pour que tous ces gens puissent se nourrir et avoir un emploi. Mais je crois que l’industrie 4.0, avec les solutions techniques qu’elle apporte, va donner un coup de boost à ce développement industriel. On a vu par exemple comment le mobile-money avait permis l’essor d’un secteur financier jusque-là très marginal.
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