Tunisie : les chiffres de 2018 augurent une année délicate pour 2019
Conjoncture mauvaise et perspective morose, c’est le constat des experts libéraux réunis par le Conseil d’analyses économiques tunisiens, l’Arab Financial Consultants (AFC), et l’agence de coopération internationale allemande, GIZ, le 28 février à Tunis. Tour d’horizon des données macroéconomiques qui ne poussent pas à l’optimisme.
Taux de croissance en légère amélioration, déficit commercial record, hausse de la dette publique et chute du dinar tunisien. Le bilan économique de la Tunisie pour l’année 2018 laisse présager des difficultés auxquelles le pays fera face en 2019.
- Une croissance très fragile
Le gouvernement table sur une croissance de 3,1 % en 2019, contre 2,5 % en 2018, où le PIB a atteint 41 milliards de dollars en parité nominale. Une hausse modeste mais pourtant perçue comme plutôt optimiste par les experts. En 2018, l’économie a été tirée principalement par le tourisme/restauration (+8,9 %) et l’agriculture (+9,8 %). Concernant ce dernier secteur, c’est l’exportation d’huile d’olive qui a joué les locomotives avec près de la moitié de la valeur des exportations agricoles, pour un apport en devises de 637,7 millions d’euros (730 millions de dollars au 31 décembre 2018). Mais le rendement des oliviers n’atteignant son pic qu’une année sur deux, la prochaine saison devrait donc être moins productive.
Le tourisme est certes reparti à la hausse avec 8,3 millions de touristes, soit quasiment autant que l’année de référence 2010 (9,3 millions de visiteurs). Mais les recettes en devises n’ont pas augmenté dans la même proportion : en 2010, le secteur a rapporté 1,85 milliard d’euros, contre 1,30 milliard en 2018. « Le croissance de 3,1 % est réaliste, mais les chiffres du premier trimestre seront importants », prévient Zouheir el Kadhi, directeur général de l’Institut tunisien de la compétitivité et des études quantitatives (Itceq).
>>> À LIRE – Tunisie : le tourisme repart à la hausse
- Une balance commerciale qui dévisse
5,5 milliards d’euros (19 milliards de dinars) de déficit commercial. Un triste record plombé par une balance énergétique largement négative : les importations ont progressé de 39,9 %, tandis que les exportations n’ont bondi que de 13,7 %. Plus que la hausse des importations, c’est la baisse des exportations qui alarme les spécialistes. Le poids du secteur énergie/lubrifiants dans les exportations a baissé de 14,1 % en 2010 à 5,7 % en 2018 ; celui des produits miniers/phosphatés de 9,2 % à 3,4 %.
Les mouvements sociaux sont les principaux accusés. Au point que Moez Labidi, professeur d’économie et membre du CAE Tunisie, dénonce un « banditisme syndical » et propose que l’armée soit chargé de protéger les sites miniers et pétroliers pour faire revenir les investisseur étrangers : les opérateurs énergétiques sont passés de 54 à 24 depuis 2011.
- Des déficits rouge vif
« La soutenabilité des finances publiques est mise à rude épreuve », avertit Lamia Zribi, présidente du Conseil national de la statistique. La loi de finance 2019 prévoit une baisse du déficit budgétaire par rapport au PIB de -4,9 % en 2018 à -3,9 % en 2019, « mais ce calcul n’inclut pas les dernières hausses de salaires octroyées » note l’ancienne ministre des Finances. Les salaires représenteront, selon la loi de finances 2019, 41 % des dépenses totales de l’État, soit une progression de 11,5 %. Le montant des dépenses publiques s’est élevé, en 2018, à 29,8 milliards de dinars (8,6 milliards d’euros).
Autre ligne de débit qui ne cesse de progresser, celle de la dette publique qui culminait à 76 milliards de dinars (22 milliards d’euros) en 2018. Le stock des emprunts en cours augmentera de 9 % en 2019, avec une explosion du service de la dette extérieure de plus de 30 % par rapport à 2018. « L’échéancier des remboursements vis-à-vis de l’Union européenne serra très serré pour les deux-trois prochaines années », prédit Philippe Martin, président du Conseil d’analyse économique français, évoquant pour la Tunisie l’éventualité de négocier un moratoire.
- La bombe à retardement du refinancement
Depuis le 1er janvier 2018, le dinar a perdu 15 % de sa valeur face à l’euro et le taux directeur de la Banque centrale est passé de 5% à 7,75%. Résultat, il n’a jamais été aussi compliqué et cher pour l’État de se refinancer. Sur le marché intérieur, l’État avait budgétisé pour 2018, 2 milliards de dinars d’émissions de Bons du trésor assimilables (BTA), principal levier de refinancement. Il n’en a collecté que 1,4 milliard de dinars, malgré un taux de rendement très attractif de 9,74 % des BTA à dix ans, à cause du manque de liquidité des banques.
Ces dernières octroient plus de crédits (25 milliards d’euros en juin 2018) qu’elles ne perçoivent de dépôts (20,3 milliards d’euros à la même date). Sur le marché international, l’attractivité de la dette tunisienne pâlit de plus en plus. En octobre 2018, le pays a récolté 500 millions d’euros de prêt à un taux de 6,75 % sur cinq ans. En 2017, la Tunisie avait obtenu 850 millions d’euros à 5,75 % remboursables sur sept ans.
Les agences de notations Moody’s, Fitch et R&I maintiennent leur perspective négative.
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