Cameroun : des acteurs de la société civile dénoncent un « pic de répressions inimaginable »

Interdictions de manifester, arrestations arbitraires, atteintes à la vie privée… La litanie des dérives autoritaires liberticides dont s’alarment les organismes camerounais de défense des droits de l’homme ne cesse de se multiplier. Des acteurs de la société civile ont décidé de braver l’« oppression ».

Marche des femmes au Cameroun, le 6 mars. © Facebook Kah Walla

Marche des femmes au Cameroun, le 6 mars. © Facebook Kah Walla

Franck Foute © Franck Foute

Publié le 8 mars 2019 Lecture : 4 minutes.

En quittant son domicile ce 26 janvier 2019 pour se rendre à l’hôpital général de Douala, afin d’y rejoindre l’opposant Célestin Djamen, l’avocate Michèle Ndoki n’imaginait nullement se retrouver au cœur d’une procédure judiciaire qui allait la conduire jusque dans les cellules de la police camerounaise. Blessée par balles au cours d’une marche pacifique organisée par le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), l’avocate, interpellée par les forces de sécurité le 26 février dernier, est depuis devenue l’une des victimes de la violente répression exercée par les forces de sécurité ce jour-là.

Près de 200 militants du MRC ont été placés en détention au cours des deux derniers mois, selon le Centre pour les droits de l’homme et de la démocratie en Afrique (CHRDA). Une centaine d’entre eux, parmi lesquels Maurice Kamto – le leader du mouvement et le principal opposant du président Paul Biya -, ont notamment été accusés de « rébellion », « hostilité contre la patrie », « trouble à l’ordre public » et « d’incitation à l’insurrection ». Des arrestations de politiques qui s’ajoutent aux interdictions de manifestations, aux atteintes à la vie privée et aux humiliations, toutes dénoncées par les organismes de défense des droits de l’homme.

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Un front citoyen contre la répression

« La situation a atteint des proportions de crise inimaginable », dénonce auprès de Jeune Afrique Edith Kah Walla, première signataire de l’acte de création du « Front citoyen », présenté le 28 février. Ce mouvement d’acteurs de la société civile et de la vie politique camerounaise entend « défendre les droits, les principes et le respect des libertés fondamentales ». En tête de file de cette initiative, des noms réputés de la place publique, à l’instar des avocats Alice Nkom et Felix Agbor Balla, du cinéaste Jean-Pierre Bekolo, ou encore du prélat Ludovic Lado, tous réunis pour un même objectif, apaiser le climat social au Cameroun.

Pour faire entendre leur voix, des dizaines de femmes vêtues de noir se sont réunies à Douala le 8 mars, date de célébration de la journée internationale du droit des femmes. « Le gouvernement doit savoir que nous ne sommes pas contentes de la situation que vivent les femmes dans ce pays », a martelé Edith Kah Walla à cette occasion, annonçant plusieurs autres actions actuellement en préparation.

Tous ceux qui ne sont pas d’accord avec le régime peuvent désormais se faire arrêter

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« Les arrestations ont commencé avec les Anglophones, et puis ça continue avec les militants du MRC. Nous savions que nous étions dans une dictature, mais aujourd’hui le pic des répressions a atteint une intensité considérable, explique la membre du « Front citoyen ». L’État ne respecte même plus la loi, ni les procédures légales. On note une montée des appareils répressifs et judiciaires. Tous ceux qui ne sont pas d’accord avec le régime peuvent désormais se faire arrêter ».

Michèle Ndoki a ainsi passé le 7 mars sa première nuit à la prison principale de Kondengui, où elle a été déférée après une audition au tribunal militaire. Elle y a rejoint Maurice Kamto, Christian Penda Ekoka, le rappeur Valsero, Célestin Djamen, Paul-Eric Kingue et Alain Fogue, dont la demande de liberté provisoire a été rejetée par le tribunal de première instance de Yaoundé le même jour.

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Bataille juridique

Le régime ne manque cependant pas de soutiens. Selon Charles Atangana Manda, un haut cadre du ministère de la Communication, l’avènement de cette plateforme est un épiphénomène. « Ces soi-disant acteurs de la société civile sont dans leur rôle habituel, c’est-à-dire celui de jeter l’anathème sur le gouvernement, a-t-il nuancé. Le Cameroun a fourni une réponse claire au sous-secrétaire d’État américain qui a tenu des propos à ce sujet [Tibor Nagy a notamment jugé « inacceptable » la détention de Maurice Kamto pour « ses activités politiques », ndlr], et il le fera également en ce qui concerne les déclarations de l’Union européenne. Voilà où se trouve la vérité », a-t-il certifié.

Pour d’autres, la justice ne doit pas être remise en cause. « Tout ce que le gouvernement entreprend respecte la loi. On ne peut pas être garant d’une loi et la bafouer, a estimé Me Jacques Mbuny, du barreau du Cameroun. Cessons de jaser et laissons faire la justice. Abus ou pas, elle est l’instance compétente pour réparer tous les torts, et non la rue ». Selon lui, Maurice Kamto, dont la société civile dénonçait sa présentation devant un juge du tribunal militaire, car n’étant qu’un civil, « a lui-même porté plainte contre le président de l’Assemblée nationale, qui est un civil dans cette juridiction », souligne-t-il.

Mais la question ne cesse de diviser. « Comment peut-on parler de respect des lois lorsque des personnes sont arrêtées et détenues de manière illégale, dans des conditions absolument arbitraires ? Le juge militaire n’a pas compétence pour juger des civils », a rétorqué Me Emmanuel Simh, l’un des avocats des militants du MRC, qui compte faire appel de la décision du tribunal après le rejet de la demande de libération provisoire.

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