La bise et le choc des cultures

Publié le 25 février 2008 Lecture : 2 minutes.

Le choc des cultures Ouououh, ça fait peur, hein ? Pourtant, il peut parfois prendre, ce fameux choc, des formes assez comiques. Ainsi, pas plus tard que vendredi dernier, j’étais à une soutenance de thèse, quand s’est produit un incident assez curieux. Il y avait le jury, dont je faisais partie – on portait tous des toges, comme les sénateurs romains dans Astérix, c’était très mignon -, et puis, il y avait la personne qui soutenait sa thèse, l’impétrant, comme on dit.
À un certain moment – tout cela est très codifié -, l’un des membres du jury remet solennellement le diplôme au candidat qui a répondu à toutes les questions. Mais voilà qu’ayant remis le diplôme, le membre du jury se penche et fait la bise au candidat, qui était en fait une candidate – je ne l’ai pas dit tout de suite pour faire durer le suspense.
Catastrophe ! Le président du jury se fige quelques secondes, se dresse, suspend la séance et nous emmène délibérer dans la salle voisine. Il y a un os, chers collègues ! La question est de savoir si, en faisant la bise à la candidate, le membre du jury n’a pas failli à son devoir d’objectivité. Peut-être faut-il annuler toute la procédure ? Alerter le président de l’université ? Pendre quelqu’un ?
Je précise que l’embrasseur, tout comme la candidate, est d’origine turque. Je ne l’ai pas dit tout de suite pour faire durer le suspense. L’Ottoman, outré, frise sa moustache, se remue sur sa chaise et objecte qu’il n’y a aucun mal à se faire la bise entre Turcs. « On est tous les enfants de Mustafa Kemal. »
Le président – calviniste – du jury ajuste son regard bleu délavé, dans lequel on lit le désarroi de celui qui voit approcher à grands coups de bisous la fin du monde, et couine que cette soudaine promiscuité entre un candidat et un professeur n’est pas prévue par le protocole très strict des soutenances de thèse dans le royaume de Beatrix. Sans vouloir en faire un cas de péché mortel – on est malheureusement dans une université d’État, donc chez les laïques, ces cousins du diable -, c’est au moins un accroc dans le déroulement de la cérémonie.
La Turquie rétorque que tout cela est absurde. En quoi une bise, du bout des lèvres, même pas mouillée, pourrait-elle annuler quatre ans d’efforts et de recherche ? Les autres membres du jury donnent raison à Soliman le Magnifique, qui frise de plus belle sa moustache. Le président s’incline. Mais il ne peut s’empêcher de poser une question :
– C’est votre culture ? C’est comme ça que ça se passe chez vous ?
Et le Turc de répondre, du tac au tac :
– Oui, c’est comme ça que ça se passe chez moi, ici, aux Pays-Bas.
La candidate a reçu la mention très bien.

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