Présidentielle au Sénégal : « La diaspora d’Europe et d’Amérique du Nord vote globalement pour l’opposition »
« Jeune Afrique » revient cette semaine sur les grandes leçons du scrutin. Dans ce deuxième volet, Étienne Smith, maître de conférences en sciences politiques, analyse le vote de la diaspora sénégalaise.
Présidentielle au Sénégal : un « coup KO » réussi pour Macky Sall
La Commission nationale de recensement des votes a proclamé le jeudi 28 février Macky Sall vainqueur au premier tour de la présidentielle. Le président élu a aussitôt annoncé « tendre la main » à l’opposition, dont ses quatre adversaires avaient renoncé à contester les résultats devant le Conseil constitutionnel.
Autorisée à voter depuis 1993, la diaspora a participé cette année à son cinquième scrutin présidentiel. Contrairement aux électeurs présents sur le territoire national, les Sénégalais de l’étranger ont plébiscité l’opposition et accordé à peine plus de 48% des suffrages au président sortant Macky Sall, soit dix points de moins que sa moyenne nationale.
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Consigne de vote sur le territoire national, vote communautaire, soutien à l’opposition dans les pays du Nord : Étienne Smith, maître de conférences en sciences politiques à Sciences Po Bordeaux, décrypte pour Jeune Afrique la sociologie électorale de la diaspora et son poids durant le scrutin du 24 février 2019.
(Tout au long de la semaine, JA reviendra, avec d’autres experts, sur les résultats les plus emblématiques de la présidentielle. Retrouvez le premier volet ici.)
Jeune Afrique : Quelle est l’influence du vote de la diaspora sur les élections ? Peut-on lier son poids électoral à son poids économique ?
Étienne Smith : La diaspora a représenté 4,6% des inscrits de cette présidentielle, et 3,3% des votants. Cela paraît peu mais c’est l’équivalent d’une région moyenne du Sénégal, ce qui n’est pas négligeable. C’est pourquoi les candidats font des campagnes actives auprès de la diaspora. Ils ont d’ailleurs souvent l’occasion de commencer avant la date de début de campagne sur le territoire national.
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On prête souvent un effet multiplicateur au vote de la diaspora, mais il ne faut pas surestimer cet impact. On dit souvent que le vote d’un émigré représente dix voix d’électeurs au pays, et on s’imagine ainsi que la diaspora donne des consignes de vote à ceux qu’elle fait vivre. C’est pourquoi en 2000 déjà, le candidat Abdoulaye Wade faisait distribuer des cartes téléphoniques pour que les émigrés appellent au pays pour les faire voter.
Mais nous manquons d’études sur l’impact effectif de la diaspora. Une enquête collective menée en 2012 auprès des Sénégalais de New York et de Paris à la sortie des bureaux de vote montrait qu’environ 30% des sondés disaient avoir donné une consigne de vote aux membres de leur famille au Sénégal. Mais cela n’indique pas pour autant que ces consignes sont respectées.
À l’étranger, Macky Sall n’a pas atteint 50% des voix, le vote de la diaspora est-il souvent en décalage avec les résultats nationaux ?
À chaque élection, le vote à l’étranger est plutôt atypique. Contrairement à ce qu’on pense généralement, la diaspora prise dans son ensemble vote plus massivement pour le candidat sortant que le reste du pays. En 2000, au premier tour, elle a voté à 47% pour Abdou Diouf, contre 41% pour le reste du pays. En 2007, Abdoulaye Wade a enregistré 69% des voix à l’étranger contre 56% au Sénégal. En 2019, on observe une inversion. Macky Sall a obtenu 58% au Sénégal contre 49% dans la diaspora.
Il n’y a pas une diaspora mais bien des diasporas sénégalaises
Cette inversion s’est faite à la faveur d’Ousmane Sonko, arrivé deuxième à l’étranger. Comment l’expliquez-vous ?
Il n’y a pas une diaspora mais bien des diasporas sénégalaises. On constate un clivage électoral important entre les Sénégalais d’Europe et d’Amérique du Nord d’une part, et ceux qui vivent en Afrique subsaharienne d’autre part. Ceux vivant en Afrique du Nord et au Moyen-Orient présentent un profil intermédiaire.
Généralement, la diaspora en Afrique subsaharienne vote majoritairement pour le sortant. Cette année encore Macky Sall est en tête en Afrique de l’Ouest, Centrale et Australe. Alors qu’il est battu par l’ensemble de l’opposition réunie presque partout ailleurs dans le monde.
La diaspora en Afrique vote plutôt comme les régions de l’intérieur du pays
En résumé, la diaspora d’Europe et d’Amérique du Nord vote globalement comme Dakar, c’est-à-dire majoritairement pour l’opposition. Au contraire de la diaspora en Afrique, qui vote plutôt comme les régions de l’intérieur du pays, avec souvent des scores fleuves pour le sortant, quel qu’il soit. En 2019, les scores obtenus par Macky Sall dans ces régions entre 58% et 78% sont semblables à ceux qu’il a enregistrés dans des régions comme Kaolack, Saint-Louis ou Fatick.
Comment expliquer cette diversité parmi « les diasporas » ?
Il y a une variable communautaire qui joue parfois au sein de la diaspora. Il existe des bastions de vote hal pular, mouride ou étudiant par exemple. Djibo Leyti Kâ en 2000 ou Macky Sall en 2012 et 2019 ont bénéficié d’un vote hal pular de la diaspora das certaines localités. Mais cela ne permet pas d’en tirer des tendances générales.
Le critère le plus important reste le profil sociologique des électeurs et notamment le niveau d’études. En Europe du Nord et Amérique du Nord, les membres de la diaspora les plus qualifiés et diplômés votent davantage pour l’opposition, comme au Canada par exemple, qui se distingue à chaque élection.
Avec 746 bureaux à l’étranger, le Sénégal est l’un des pays au monde qui en compte le plus hors de son territoire
Comment expliquer que le taux de participation au sein de la diaspora – de 46% environ – a été plus faible que sur le territoire national, où il est de près de 66% ?
C’est un phénomène récurrent qui s’explique par le « coût » de l’acte de vote. Par exemple la distance entre l’électeur et son lieu de vote.
Avec 746 bureaux à l’étranger, le Sénégal est l’un des pays au monde qui en compte le plus hors de son territoire, mais il n’y en a évidemment pas partout dans les endroits où vivent les Sénégalais malgré les efforts réels de proximité de la carte électorale externe. Il y a aussi la question de l’accès à l’information et l’inscription sur les listes électorales, qui est plus compliquée qu’au pays.
Depuis 2017, l’obtention de députés pour la diaspora a-t-elle selon vous favorisé Macky Sall lors du vote ?
Faire de la diaspora la quinzième région du Sénégal était une promesse de campagne du candidat en 2012. Elle a plutôt pesé sur les législatives de 2017 où la coalition Benno Bokk Yakaar a remporté l’ensemble des sièges de la diaspora sauf en Europe du Sud. Mais on ne peut pas dire que cela ait fait gagner des voix à Macky Sall à la présidentielle car les enjeux étaient tout autres.
Quel sera donc l’enjeu lors des prochaines législatives ?
Cela dépendra de la stratégie de l’opposition et de la tenue ou non de législatives anticipées. En 2007 l’opposition avait boycotté les législatives, il faut voir si le même scénario se produit. En cas de législatives anticipées, l’opposition pourrait tirer son épingle du jeu à l’étranger. L’Europe du Sud a reporté son vote cette année sur Idrissa Seck et Ousmane Sonko et reste donc majoritairement hostile à Macky Sall. L’Europe du Nord et l’Amérique du Sud soutiennent l’opposition aux présidentielles, mais la mobilisation de la diaspora est moindre lors des législatives. Le vote à l’étranger sera donc au minimum compliqué pour Macky Sall. Si en revanche il n’y a pas de dissolution de l’Assemblée nationale, les prochaines législatives auront lieu en 2022 et nul ne peut prévoir la configuration du jeu politique d’ici là.
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Présidentielle au Sénégal : un « coup KO » réussi pour Macky Sall
La Commission nationale de recensement des votes a proclamé le jeudi 28 février Macky Sall vainqueur au premier tour de la présidentielle. Le président élu a aussitôt annoncé « tendre la main » à l’opposition, dont ses quatre adversaires avaient renoncé à contester les résultats devant le Conseil constitutionnel.
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