Dans le cloaque de Gaza…

Tel-Aviv, le Hamas, l’Autorité palestinienne, la France et, bien sûr, les Gazaouis, toutes les composantes impliquées dans le destin tragique de cette région se disent « déçues »… pour des raisons différentes.

Publié le 25 février 2008 Lecture : 4 minutes.

Cela n’avait pas été le cas lors de son précédent voyage, il y a six mois, et d’ailleurs l’ancien « French Doctor » de la maternité de Bethléem ne passe pas pour donner dans la morosité. Mais, au terme de sa visite éclair en Israël et en Palestine les 16 et 17 février dernier, Bernard Kouchner, le ministre français des Affaires étrangères, s’est déclaré « déçu » et « inquiet » en avouant que « là-bas, tout est bloqué ».
Point n’est en effet besoin de multiplier les entretiens pour constater que le processus de paix est en panne depuis la victoire d’Ismaïl Haniyeh aux élections législatives du 25 janvier 2006. Et plus encore depuis ce 15 juin 2007, où le « blitz » islamiste a chassé le Fatah de la bande de Gaza, établissant, sur un territoire grand comme trois fois la ville de Paris, un « Hamasland » d’un million et demi d’habitants, aussitôt soumis à l’embargo de ses principaux fournisseurs et au blocus de l’ancien occupant.
Gaza, dépourvue de ressources autres que démographiques, transformée dès l’exode palestinien de 1948 en un immense camp de réfugiés et conquise à l’Égypte par les Israéliens durant la guerre des Six Jours de juin 1967, n’a jamais pu trouver ses propres moyens de survie. On conserve dans le registre d’un humour douteux les déclarations qui avaient, un temps, fleuri sur ce « Singapour du Moyen-Orient » que des capitaux arabes allaient édifier sur les rives de la Méditerranée sitôt que l’étau israélien aurait été desserré. Malgré le retrait unilatéral effectué en août 2005 par Ariel Sharon, la réalité est celle d’un territoire dévasté par la misère et le sous-emploi – le taux de 51 % de chômeurs ayant été franchi à Gaza, on a cessé d’y publier des statistiques jugées « peu significatives » -, dépendant à plus de 80 % d’une aide extérieure qu’Israël, en rétorsion des bordées de roquettes reçues sur le sud de son territoire, n’y laisse entrer qu’avec une parcimonie calculée. Bref, un « cloaque comportemental » engendré par le confinement dans un espace trop exigu, propice à tous les phénomènes de « stress » collectifs.
Le « mur » s’y entrouvre pour la nourriture, mais très peu pour le fioul et encore moins pour le lait, les médicaments, ou ce qui serait susceptible d’adoucir la longue réclusion de la population. Les produits rapportés de Rafah par les Gazaouis qui s’étaient engouffrés dans la brèche lors de la grande évasion de janvier dernier dressent le catalogue pitoyable de la pénurie : du lait chocolaté, de l’aspirine, des cahiers, des jouets.

Où sont les dons promis ?
Outre le ministre français, la cohorte des « déçus » rassemble donc à peu près toutes les composantes impliquées dans le destin tragique de cette région. Ainsi, le Premier ministre palestinien Salam Fayyad, à qui la conférence des donateurs de Paris, fin 2007, avait donné quelques raisons d’espérer, se dit lui aussi consterné par l’extrême lenteur avec laquelle lui parviennent les fonds. « Il faut accélérer le mouvement », s’égosille-t-il jusque devant les présidents des principales organisations juives américaines, tout en suggérant – en vain – que l’Autorité palestinienne prenne le contrôle des principaux postes frontaliers de Gaza.
Côté israélien, on n’est pas plus enthousiaste : après Rafah, des voix s’élèvent pour transférer à l’Égypte la charge humanitaire d’un territoire dont beaucoup souhaiteraient ici que lui non plus n’ait jamais existé ! D’autres s’alarment, sur Internet et dans la presse, de l’évolution d’une gauche israélienne visiblement traumatisée par l’impuissance de Tel-Aviv à faire cesser les tirs de fusées Qassam, et dont il semble que les nerfs sont en train de lâcher au spectacle réitéré (et télévisé) des enfants amputés. Pour preuve, les énormités proférées par d’anciennes « colombes » en voie de fascisation, tel Yaron London, qui exige, à l’instar du ministre de l’Intérieur Shimon Sheetrit, « le bombardement d’un quartier peuplé » de Gaza comme ultime dissuasion, ou la suppression des dernières limites que s’impose Tsahal dans ses « exécutions ciblées ». En réponse, Tel-Aviv augmente les crédits destinés à blinder les maisons de Sderot, ce qui en dit long sur ses perspectives d’avenir.
Quant au Hamas, s’il se déclare lui aussi déçu, c’est d’abord par l’Égypte, qui refuse de lui laisser gérer la frontière forcée il y a un mois, au motif que Mahmoud Abbas et Ehoud Olmert s’y opposent. D’où ces nouvelles menaces, formulées par Ahmed Youssef, un haut responsable du mouvement islamiste à Gaza, qui promet qu’à la prochaine crise « Israël aura à faire face à un demi-million de Palestiniens en marche vers le point de passage d’Erez ! » Une hypothèse propre à séduire ce qui reste des organisations pacifistes israéliennes, volontaires pour se joindre au défilé et compliquer encore la tâche de l’armée ! Dans cette attente, le Hamas qualifie les rencontres Abbas-Olmert de simple « perte de temps » en réaffirmant que « la résistance constitue la réponse naturelle aux crimes israéliens »
Bref, peu de sourires dans ce concert de plaintes et de menaces. Ou plutôt, un seul, terrible, celui du jeune kamikaze de l’attentat-suicide de Dimona revendiqué par le Hamas le 4 février dernier, dont les Brigades Ezzeddine al-Qassam évoquent « le corps déchiqueté, mais le sourire de satisfaction encore dessiné sur le visage »

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